Avant de lancer la projection de Gabrielle sur la Piazza Grande lundi soir, les organisateurs du Festival de Locarno avaient programmé un hommage au cinéaste géorgien Otar Iosseliani. Une fois son Léopard d'honneur en main, le réalisateur de Et la lumière fut s'est lancé - en français - dans un discours évidemment très flatteur pour l'organisation, mais quand même assez désespérant pour l'ensemble des cinéphiles. Après avoir fustigé les orientations désormais plus «commerciales» de la Mostra de Venise, de la Berlinale et du Festival de Cannes, le cinéaste a en effet affirmé que celui de Locarno est en vérité le seul festival européen «sérieux». «Il respecte encore des standards de qualité et de curiosité», a-t-il déclaré avant d'annoncer aussi que le cinéma était cliniquement mort.

«Le cinéma est malade, a-t-il entonné. Le cinéma est souffrant. Il est à bout de souffle. Les clichés se répandent dans les films comme un cancer.»

Et sur ce, heille, bon film!, aurait-on été tenté d'ajouter. On peut évidemment comprendre le désarroi de certains vétérans cinéastes qui doivent dorénavant s'adapter à un contexte créatif dont les règles ont radicalement changé. Il est vrai que certains grands films produits il y a 30 ou 40 ans ne pourraient plus être mis en chantier de la même façon aujourd'hui.

Un casting tout étoiles

Heureusement, les cinéastes issus des nouvelles générations parviennent quand même à raconter leurs histoires. À leur façon. Dans le cas de Monia Chokri, dont le court métrage Quelqu'un d'extraordinaire, présenté hier, est en lice pour un Léopard d'or, la démarche de réalisation consiste aussi à aborder des thèmes très contemporains, auxquels les femmes peuvent particulièrement bien s'identifier.

«J'avais envie de parler des femmes d'environ 30 ans, de la façon dont elles doivent gérer tous les aspects de leur vie, expliquait celle qui tient aussi un rôle dans la coproduction franco-québécoise Gare du Nord (Claire Simon), sélectionnée aussi à Locarno.

Pour ce faire, Monia Chokri a réuni huit actrices de sa génération, toutes des femmes qu'elle connaissait déjà très bien, et leur a donné des rôles plus éloignés de leur emploi habituel. Autour de Magalie Lépine-Blondeau gravitent ainsi Sophie Cadieux, Évelyne Brochu, Émilie Bibeau, Anne-Élisabeth Bossé, Laurence Leboeuf, Émilie Gilbert et Marilyn Castonguay. Anne Dorval y tient aussi un rôle-clé, et Anne-Marie Cadieux assure la narration de ce conte cruel et tonique à la fois. Une distribution toute étoile pour un court métrage de 28 minutes où, un peu dans l'esprit de Festen (Thomas Vinterberg), on assiste à un véritable jeu de massacre alors que se déroule une soirée où, en principe, on aurait plutôt dû faire la fête.

Quelqu'un d'extraordinaire relate l'histoire de Sarah (Magalie Lépine-Blondeau), une femme de 30 ans que les angoisses existentielles paralysent. Au moment où l'on fait sa rencontre, Sarah se réveille dans une maison de banlieue inconnue, sans le moindre souvenir de ce qui a pu se produire la veille. Elle comprend qu'elle se trouve dans la maison d'un très (trop?) jeune homme, absent, dont la mère (Anne Dorval), maintenant, rapplique.

Rescapée de force par l'une de ses copines, Sarah doit obligatoirement se rendre à une fête où tout le groupe de filles doit se retrouver pour le shower de l'une d'elles. C'est ce jour-là que Sarah décide de changer son approche de la vie. Au prix de quelques dégâts autour...

Avec un sens évident de l'écriture, de la réplique assassine qui fait mouche, Monia Chokri, qui ne joue pas dans son film, mène les choses d'un oeil très sûr.

«La productrice Nancy Grant, de Metafilms, m'a convaincue de réaliser ce film-là moi-même et je l'en remercie, confie l'actrice devenue réalisatrice. J'ai été très rigoureuse dans ma préparation parce que j'étais évidemment atteinte du syndrome de l'imposteur. C'est en faisant jouer huit actrices en même temps que je me suis rendue compte à quel point la réalisation, c'est du travail! J'y ai pris goût, cela dit. Être actrice n'est pas une finalité en soi pour moi.»

Un monteur prénommé Xavier

Soulignons qu'un dénommé Xavier Dolan signe le montage de Quelqu'un d'extraordinaire.

«J'ai hésité au début, révèle Monia Chokri. Comme Xavier m'a mise au monde en tant qu'actrice dans le milieu du cinéma, et aussi que nous sommes très liés, j'avais peut-être un désir de m'affranchir sur ce plan. J'ai toutefois dû me rendre à l'évidence. Xavier était celui qui convenait le mieux au projet. Il est extrêmement créatif. Et nous partageons le même sens de l'humour.»

La direction photo est par ailleurs signée Josée Deshaies, l'une des pointures de la profession. C'est dire que pour son tout premier court métrage, l'auteure cinéaste a reçu des appuis créatifs de taille.

«J'ai été extrêmement choyée, fait-elle remarquer. Quelqu'un d'extraordinaire poursuit sa tournée dans différents festivals, mais j'ose espérer que les gens pourront le voir chez nous. Il est encore très difficile de trouver une diffusion pour le court métrage.»