Avec Le Goût de vivre, Pascal Gélinas réalise un film émouvant sur sa belle-mère, vieille et retirée, la grande actrice Huguette Oligny. Pour ne pas l'oublier.

Dans Encore une fois, si vous permettez, Michel Tremblay a écrit un monologue de trois pages dans lequel le personnage de la mère, Nana, rend hommage à la comédienne Huguette Oligny. «C'te femme-là rentre dans ma maison depuis que la télévision existe, sa voix était déjà là, avant, dans les radioromans ou le Théâtre Ford, le jeudi soir, pis j'sais pas qui c'est!»

Il en va des acteurs comme du jour: ils disparaissent quand leur lumière décline. Pour laisser une trace d'étoile, Pascal Gélinas a réalisé un très beau documentaire sur Huguette Oligny. Cette femme (qui a été la seconde épouse du père du réalisateur, l'homme de théâtre Gratien Gélinas), fut surtout, durant un demi-siècle, l'une des plus grandes actrices du Québec! Une star qui brillait sans le soutien d'une grosse machine de marketing. Car, à l'époque, les femmes qui faisaient une carrière artistique ne pouvaient compter que sur leur talent, leur détermination et leur résilience.

Huguette Oligny n'est pas seulement entrée dans les salons des Québécois: elle a marqué leur imaginaire à travers des douzaines de téléromans populaires (de Rue des Pignons à Cormoran, en passant par Le Clan Beaulieu), de nombreux téléthéâtres, dont plusieurs de Marcel Dubé, sans oublier les grands rôles sur les planches, de Bérénice à Albertine, en passant par ceux créés par Gratien Gélinas, qu'elle jouait durant des centaines de représentations dans les deux langues officielles, partout au pays!

Parlez-nous d'amour

Aujourd'hui, seuls ses trophées qui ornent le bord de la fenêtre de sa résidence peuvent témoigner de sa célébrité à la génération Facebook. Or, cette vieille dame digne et fière, toujours bien coiffée, bien habillée, a encore tant de choses à nous dire. Et pas seulement à propos des souvenirs de sa gloire passée.

Elle nous parle d'amour, de générosité, de bonheur, de foi. Elle se souvient par coeur d'une réplique d'une pièce de Sacha Guitry. Elle s'émeut devant un rocher dans la cour de sa résidence, qu'elle observe par sa fenêtre, et qui lui donne des forces. Car, dans la vie, il faut pouvoir se reposer sur des «choses concrètes, solides, immuables».

Elle découvre une partition qu'André Mathieu, son amour de jeunesse, lui a écrite en... 1947, et qu'Alain Lefèvre vient lui jouer au piano. Puis, elle se confie pour la première fois sur le drame de sa vie: son divorce avec son premier mari. À la fin des années 60, ce dernier lui a retiré la garde de ses deux enfants (sans qu'on sache pourquoi, elle a cédé à ce type de chantage). Ses enfants, qu'elle ne verra pas durant neuf longues années, tout en jouant des mères de famille dans les téléromans! «Jamais je ne pourrai souffrir deux fois cette même douleur. Jamais!» dit-elle en frappant à deux mains son thorax.

Lorsque Gélinas lui demande son âge, qu'elle sait respectable sans se souvenir du chiffre exact (90), Mme Oligny lance à son beau-fils: «Puis, tu t'intéresses à une vieille affaire comme moi!» Le film de Gélinas est justement à voir parce qu'il s'intéresse aux personnes âgées. Ces hommes et ces femmes qu'on cache pour mieux oublier la mort. Dans notre monde numérique, tellement obsédé par le futur qu'il ne sait plus profiter du présent, on laisse le passé aux vieux nostalgiques. Quel affront à la mémoire!

Le réalisateur fait aussi parler d'autres «vieux», comme l'énergique écrivaine de 96 ans Marguerite Lescop, les interprètes Françoise Faucher, Gilles Pelletier, Gérard Poirier et Janine Sutto, qui se savent aussi condamnés à l'oubli.

Ce court documentaire de 52 minutes n'a pas la prétention d'avoir du recul sur son sujet, ni de le fouiller abondamment (il y a des questions qui restent sans réponses). Mais c'est un film qui a beaucoup d'âme.

À l'image de cette vieille dame, qui va entrer dans la mort les yeux (et le coeur) grands ouverts.

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Mardi 19 mars, 18h30, Cinquième Salle de la PDA. Projection suivie d'une discussion avec des comédiens, entre autres Isabelle Blais, Évelyne Rompré, Françoise Faucher, Gilles Pelletier. www.artfifa.com