Il ne s’attendait certainement pas à ce que son nouveau long métrage ait une si grande résonance. Sept trophées César plus tard, dont ceux attribués au meilleur film et à la meilleure réalisation, Dominik Moll a maintenant bien conscience que cette histoire véridique – et non résolue – de féminicide lui a permis d’aborder des thématiques réelles, bien ancrées dans l’air du temps. Entretien.

Tout est parti de la lecture d’un livre dans lequel on y décrivait un milieu que Dominik Moll ne connaissait pas du tout. Dans 18.3 – Une année à la PJ, l’autrice Pauline Guéna racontait le fruit de ses observations après avoir suivi pendant un an le quotidien des brigades criminelles de la police judiciaire de Versailles. Avec son complice de toujours, Gilles Marchand, le réalisateur de Harry, un ami qui vous veut du bien a écrit le scénario de La nuit du 12 en transposant l’intrigue à Grenoble. Il s’est attardé plus particulièrement à la dernière affaire, relatée sur une trentaine de pages dans un ouvrage qui en comptait 500.

« Dans ce récit, on spécifiait que chaque enquêteur tombe un jour sur une histoire qui le consume et qui le hante, explique le cinéaste au cours d’un entretien qu’il nous a accordé en visioconférence. J’étais particulièrement fasciné par le caractère non résolu de l’affaire, même si, sur le plan dramaturgique, cela représente un défi supplémentaire. Dans les codes du polar, il y a habituellement un crime au début, un coupable à la fin, et tout le monde est content. Cette fois, j’ai plutôt voulu explorer ce que génère ce genre d’impasse chez les enquêteurs sur le plan intime. »

Un point de vue réaliste

Pour Yohann (Bastien Bouillon, lauréat du César du jeune espoir masculin grâce à sa performance dans ce film), le meurtre inexpliqué d’une jeune femme, immolée par le feu en pleine nuit après avoir quitté une fête ayant eu lieu chez sa meilleure amie, est une hantise de tous les instants. D’autant que tous les suspects qu’on interroge sont systématiquement relâchés, disposant tous d’un alibi. L’un des angles sous lequel Dominik Moll aborde cette histoire est de montrer le monde de la police judiciaire d’un point de vue réaliste, un peu comme l’a fait Pauline Guéna dans son livre.

« Bien qu’il y ait évidemment des exceptions, le monde de la police judiciaire reste essentiellement masculin, reconnaît le cinéaste. Ces hommes ne font pas nécessairement mal leur travail, mais il est vrai que les femmes impliquées dans cette affaire s’interrogent de façon importante. »

PHOTO SARAH MEYSSONNIER, REUTERS

Dominik Moll a lancé La nuit du 12 l’année dernière au Festival de Cannes.

Comme il s’agit d’un féminicide, nous nous sommes vite rendu compte que toute la problématique des rapports hommes-femmes allait être l’un des fils rouges de cette histoire.

Dominik Moll, cinéaste

« Nous devions remettre en question certaines choses sur la masculinité. Le mouvement #metoo a sensibilisé pas mal de gens à la problématique des hommes violents envers les femmes. Nous n’aurions probablement pas fait le même film il y a 10 ans », ajoute-t-il.

Au défi de dépeindre autrement dans une œuvre de fiction un milieu ayant nourri tant de drames policiers – un genre en soi au cinéma et à la télévision – s’est ajouté celui de retenir l’attention du spectateur avec une histoire sans dénouement, racontée sans glamour ni artifices.

« Échapper à l’imagerie télévisuelle que nous avons de ce milieu n’est pas toujours simple, particulièrement sur le plan des dialogues, convient Dominik Moll. La réflexion qui en découle mène parfois à des solutions intéressantes. Par exemple, plusieurs scènes se déroulent sans dialogues – un peu à la Melville – parce qu’ils peuvent trop facilement tomber dans le cliché. Il fallait aussi que le personnage de la victime reste très présent, que cette jeune femme ne tombe pas dans l’oubli. »

Un succès inattendu

Fort d’une carrière de cinéaste bientôt longue de trois décennies (Intimité, son premier long métrage, est sorti en 1994), le cinéaste français d’origine allemande est toujours enthousiasmé par le processus de fabrication d’un film. La maturité amène également un autre regard sur la reconnaissance et la notoriété. À cet égard, le César de la meilleure réalisation obtenu récemment revêt un caractère un peu différent de celui reçu en 2001 grâce à Harry, un ami qui vous veut du bien, son deuxième long métrage.

« J’étais plus jeune, donc, du coup, je me suis mis de la pression pour la suite, se rappelle Dominik Moll. C’était la meilleure façon de se tirer une balle dans le pied. Il m’a fallu ensuite cinq ans pour faire Lemming. Je sens moins cette pression maintenant. Bien sûr, je suis ravi des récompenses et des honneurs qu’on nous fait. Mais ce qui compte aussi est de tourner la page et de passer au prochain film. »

La nuit du 12 a été lancé l’an dernier au Festival de Cannes dans la section (non compétitive) Cannes Première. Comment Dominik Moll explique-t-il le succès critique et public qui a suivi ?

« On a toujours envie qu’un film rencontre son public, même si on sait très bien qu’aucune garantie n’existe. Tout cela reste assez mystérieux. Il peut tomber au bon moment alors que, sorti deux ans avant, il peut passer inaperçu. Avec La nuit du 12, on a senti que la mayonnaise prenait petit à petit pendant les projections de travail. Ensuite, nous avons reçu un bel accueil à Cannes, y compris par les exploitants. La carrière en salle a duré quelques mois, ce qui est maintenant rarissime. Au fil des semaines, on a aussi senti que le public rajeunissait ! »

Rien n’a d’ailleurs fait plus plaisir au cinéaste que le César des lycéens, un peu l’équivalent en France du Prix collégial du cinéma québécois.

« C’est à mes yeux l’une des plus belles surprises. Et l’une des plus belles récompenses », dit Dominik Moll.

La nuit du 12 prend l’affiche le 2 juin.

Qui est Dominik Moll ?

Né en 1962, Dominik Moll est d’abord allé étudier le cinéma à New York avant d’intégrer l’Institut des hautes études cinématographiques de Paris. C’est là qu’il rencontre son complice Gilles Marchand, avec qui il écrit tous ses scénarios.

Il s’impose en l’an 2000 grâce à Harry, un ami qui vous veut du bien, drame anxiogène dont les têtes d’affiche sont Laurent Lucas et Sergi López. Ce deuxième long métrage lui vaut d’abord une sélection en compétition officielle au Festival de Cannes, puis neuf citations aux Césars et quatre trophées.

La nuit du 12 est le septième long métrage d’un cinéaste à qui l’on doit notamment Lemming, Le moine et Seules les bêtes.