Bien qu’inspiré par le célèbre opéra de Georges Bizet, Benjamin Millepied propose une réinvention totale de Carmen sur grand écran. Pour son premier long métrage à titre de cinéaste, le réputé danseur et chorégraphe français s’est tout naturellement porté vers une histoire qui le hante depuis longtemps. Entretien.

C’est l’un des opéras les plus connus et les plus joués au monde. Francesco Rosi en a réalisé une adaptation cinématographique classique (avec Julia Migenes et Placido Domingo) et Carlos Saura l’a proposé en flamenco (avec Laura del Sol et Antonio Gades). Une version sur glace (Carmen on Ice), à l’époque où les champions Katarina Witt et Brian Boitano étaient au faîte de leur gloire, a même été immortalisée.

Au moment de la sortie de ces productions, au cours des années 1980, Benjamin Millepied grandissait à Bordeaux auprès d’une mère qui, en plus d’enseigner la danse contemporaine, était une grande cinéphile.

Près de 40 ans plus tard, celui qui fut tour à tour danseur étoile au New York City Ballet, fondateur à Los Angeles du L.A. Dance Project et directeur du ballet de l’Opéra de Paris propose une nouvelle adaptation cinématographique dans laquelle la Carmen de Bizet est complètement réinventée, tant sur le plan narratif que musical.

PHOTO BEN KING, FOURNIE PAR MÉTROPOLE FILMS

Carmen est le premier long métrage que réalise Benjamin Millepied.

« J’ai souvent pensé à Carmen, un opéra avec lequel j’ai grandi, explique Benjamin Millepied au cours d’un entretien qu’il nous a accordé en visioconférence. Je me suis cependant vite rendu compte qu’il était important d’évoquer davantage l’essence du personnage, son caractère, plutôt que de tomber dans une narration relevant du XIXsiècle avec le regard que posaient les hommes sur les femmes à cette époque. Même si cet opéra est très connu et très populaire, je trouvais intéressant de lui donner une touche plus contemporaine. »

Une réalité incontournable

Le cinéaste a en outre fait appel au compositeur américain Nicholas Britell (Moonlight). Ce dernier a créé une toute nouvelle trame musicale et de nouvelles chansons. L’action ne se déroule plus en Andalousie, mais plutôt au Mexique et dans le sud de la Californie. Dans cette coproduction entre l’Australie et la France, l’œuvre originale est évoquée grâce à des extraits chantés en français par un chœur, directement tirés du livret qu’ont écrit Henri Meilhac et Ludovic Halévy pour l’opéra de Bizet.

« C’est un peu comme si, d’une certaine façon, les créateurs originaux observaient de loin la nouvelle version de leur œuvre, comme une façon de les intégrer, indique Benjamin Millepied. Ayant habité à Los Angeles pendant 10 ans, une ville pour laquelle j’ai eu un coup de foudre et dont la diversité me plaît grandement, il m’a semblé important de faire écho au thème de l’immigration, étant donné qu’il s’agit d’une réalité qui m’interpelle, avec laquelle on vit quotidiennement. Ayant passé moi-même presque 30 ans aux États-Unis, j’ai pu constater comment tout ce qui se passe à la frontière est dramatique. C’était pour moi une évidence de traiter l’histoire de Carmen sous cet angle. »

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Melissa Barrera et Paul Mescal dans Carmen

Carmen, dont les têtes d’affiche sont Melissa Barrera et Paul Mescal (récent finaliste aux Oscars grâce à sa performance dans Aftersun), relate ainsi le parcours d’une jeune Mexicaine qui, après le meurtre de sa mère, a dû traverser illégalement la frontière américaine pour trouver refuge chez la meilleure amie de cette dernière (Rossy de Palma). Bien entendu, les personnages s’expriment souvent par la danse et le mouvement.

Une éducation cinéphile

Rendant hommage à sa propre mère à travers cette femme libre d’esprit cherchant à se défaire de l’emprise des hommes, Benjamin Millepied truffe aussi son long métrage de références cinématographiques, acquises dès l’enfance grâce à la femme qui l’emmenait voir On achève bien les chevaux (Sydney Pollack) plutôt que des dessins animés de Disney.

« Le premier film que j’ai vu au cinéma est The Music Room (Le salon de musique), de Satyajit Ray, se souvient-il. J’avais été complètement subjugué par l’intensité et le rythme d’une séquence incroyable, où une femme hypnotise les hommes grâce à la danse. Je m’en suis d’ailleurs inspiré pour une scène dans laquelle Zhyla [la mère de Carmen] utilise un rythme gitan romani, les Romanis venant de l’Inde [le pays de Satyajit Ray]. »

Après une glorieuse carrière de danseur, c’est tout naturellement que Benjamin Millepied peut aujourd’hui assouvir enfin sa passion du cinéma. Ayant encore un vif souvenir d’une projection de Vertigo (Alfred Hitchcock) dans cet immense théâtre à écran unique qu’était le Ziegfeld, alors qu’il venait tout juste d’arriver à New York pour y étudier la danse, il regarde aujourd’hui les œuvres de grands cinéastes qu’il admire pour étudier leur travail et analyser leurs mises en scène. Et des nombreuses adaptations de Carmen déjà existantes, laquelle préfère-t-il ?

« J’aime beaucoup celle de Carlos Saura, dit-il sans hésitation. Les scènes de danse sont magnifiquement filmées et il y a la musique de Paco de Lucia. Cela dit, le regard reste celui d’un homme sur une femme qui ne s’exprime pas beaucoup, mais le film est génial sur le plan artistique. Je m’en suis même peut-être inconsciemment inspiré pour le mien. »

Carmen prendra l’affiche le 12 mai.