Le cinéaste d’animation Theodore Ushev s’amuse comme un fou dans Phi 1.618, un premier long métrage qui pourfend le totalitarisme en place.

« C’est complètement irréel ! lance le réalisateur à notre arrivée à la Cinémathèque québécoise. Je viens d’apprendre que mon film a gagné un prix au Festival de Moscou. Bien sûr, je vais le refuser. Je suis contre Poutine et la guerre. »

Surtout que son long métrage est une charge à peine voilée contre le totalitarisme. Un récit dystopique sur un peuple immortel, dont la quête divine renvoie au nombre phi 1.618 – le fameux nombre d’or du titre qui évoque l’idée de perfection.

C’est un conte parfait pour échapper à la censure. J’y ai inséré des images subliminales qui disent comme messages “Non à la guerre” et “Poutine est une merde”. Il faut être très attentif pour les apercevoir, car elles défilent rapidement. Mais elles restent dans la tête. En Russie, cela peut te valoir la prison.

Theodore Ushev

Un geste humoristique et politique qui définit parfaitement ce projet hors norme où la prise de risques est grande. Tout d’abord en passant du court au long métrage, une première pour le créateur dont le célèbre Vaysha, l’aveugle s’est retrouvé aux Oscars. Puis en troquant l’animation contre un tournage en prise de vues réelles, obligeant son metteur en scène à diriger des acteurs (« j’adore être le psychologue des comédiens ! »), ce dont il avait déjà eu l’expérience sur son remarquable Physique de la tristesse.

Ludique et référentiel

Le plus grand désir du cinéaste bulgare de 55 ans était de retomber en enfance. À cette époque bénie où il s’amusait avec ses jouets préférés sans se poser de questions. Le livre The Spinning Top de son compatriote Vladislav Todorov (qui s’est également occupé du scénario) lui permettait cela. De mélanger les genres les plus improbables – drame d’anticipation, satire sociale, romance, gore, poésie surréaliste et même musical – sans rien devoir à personne : son budget famélique l’obligeant à se surpasser sur le plan créatif.

« Je ne voulais pas rentrer dans l’Histoire du cinéma avec ce film, avoue celui qui est installé à Montréal depuis 1999. Nous étions en compétition dans l’équipe pour trouver les trucs les plus malades, les plus stupides et les plus absurdes. »

Il y en a abondamment au sein de cette œuvre punk qui fait le grand écart entre la série B et le trip cinéphilique. D’ailleurs, recenser toutes ses influences et tous ses hommages serait fastidieux tant la production ratisse large, de Minecraft à Terry Gilliam, en passant par The Dark Crystal et Carl Theodor Dreyer.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

« Je ne peux pas inventer un univers plus malade que celui qui existe aujourd’hui », dit Theodore Ushev.

« C’est un film qui est à l’image du personnage principal, qui est également mon alter ego, raconte Theodore Ushev. Pendant 100 ans, il est resté seul, enfermé, à copier des livres. Les citations sont demeurées dans sa tête et ils les utilisent en parlant. Comme lui, j’ai décidé de citer dans ce projet tous les films, les peintures et les livres que j’adore. »

À prendre ou à laisser

Phi 1.168 circule dans les festivals depuis plusieurs mois et il a déjà pris l’affiche en Bulgarie où il a été tourné. Bien que le long métrage ait représenté en 2022 ce pays aux Oscars, il s’avère clivant. Tout le contraire des précédentes animations du réalisateur qui ont été produites par l’Office national du film et qui ont fait l’unanimité.

Les gens détestent profondément ce film ou ils l’aiment passionnément. Il n’y a pas de zone grise.

Theodore Ushev, à propos de Phi 1.618

« Et parfois, les gens ne savent pas pourquoi ils l’aiment, ajoute, ahuri, le principal intéressé. C’est sans doute parce qu’il y a des scènes qui demeurent dans la tête… Comme mes animations sont très sérieuses et parfois même déprimantes, je cherchais cette fois à m’amuser avec quelque chose de plus joyeux. Mais tout cela est instinctif. Ce n’était pas du tout calculé. »

Il s’agit peut-être d’une façon de réagir au climat en place. Combattre l’absurdité ambiante par une thérapie de science-fiction qui l’est tout autant. « Tout est possible…, réfléchit Theodore Ushev. Mais je crois vraiment qu’on vit dans un monde dystopique. Je ne peux pas inventer un univers plus malade que celui qui existe aujourd’hui. Mon film, c’est comme du réalisme social. »

Doubler le plaisir

En marge de la sortie de Phi 1.168 est la présentation du documentaire Theodore Ushev : liens invisibles du Bulgare Borislav Kolev. Une création révélatrice sur le parcours du cinéaste de renom qui établit des ponts entre ses offrandes animées et son passé tumultueux dans un pays marqué par le régime communiste.

« Cela m’amusait de me jouer dans le film, rigole Theodore Ushev. En même temps, je me suis posé des questions. Est-ce que ma carrière est terminée ? Quand les gens font un documentaire sur vous, c’est que vous êtes mort. J’espère que ce n’est pas fini. Parce que je veux encore faire des films. J’ai plein d’idées. »

L’essai offre un portrait franc d’un artiste caractérisé par sa propension à explorer en toute liberté. « Pour moi, c’est ça la création, confie-t-il. C’est d’avoir la liberté absolue pour s’exprimer. C’est important pour l’artiste, mais également pour le public et la société. Je crois au rôle social de l’artiste pour changer le monde. »

Phi 1.618 prend l’affiche le 5 mai et le documentaire Theodore Ushev : liens invisibles le 19 mai.