Avec sa comédie noire Jour de merde, qui a remporté le prix Gilles-Carle aux Rendez-vous Québec Cinéma (RVQC), Kevin T. Landry a voulu rendre hommage aux femmes de sa vie, qu’il a vu « manger beaucoup de marde ».

« C’est humainement impossible pour une personne d’en prendre autant sur ses épaules sans péter au frette. Je me suis toujours demandé : “Qu’est-ce que ça donnerait si un moment donné la coche sautait ?” Pis ç’a donné Jour de merde », nous explique Kevin T. Landry en riant.

Le premier long métrage réalisé en solo par le cinéaste raconte la journée cauchemardesque de Maude (Eve Ringuette), une jeune mère de famille monoparentale travaillant pour Loto-Gold qui est envoyée dans le bois pour interviewer un étrange ermite, Gaétan (Réal Bossé), dont les raisons de l’isolement se révéleront peu à peu.

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Kevin T. Landry

Quelle situation absurde, vous dites-vous ? Sachez que Kevin T. Landry a déjà posé sa candidature, à sa sortie de l’université, pour un poste de vidéaste chez Loto-Québec. « J’avais trouvé ça tellement ironique comme job, surtout au salaire qu’ils offraient. Ta vie, c’est aller interviewer des gens qui viennent de gagner un demi-million, qui ont une qualité de vie tellement meilleure que toi et un avenir brillant pendant que toi, tu manges des toasts au beurre de peanut », illustre-t-il.

« C’est un peu la situation que je voulais pour Maude. Elle vit dans une situation où son ex ne paye jamais ses pensions, elle en arrache avec son bazou qui menace de lâcher pis son fils qui n’arrête pas de l’écœurer. Pis en plus de ça, sa job, c’est d’être confrontée au bonheur des autres qui est toujours dans sa face. »

Rencontres fortuites

L’idée de faire croiser les destins des personnages de Maude et de Gaétan vient d’un désir de coudoyer deux histoires de déracinement. Maude est innue et vit loin de sa famille de la Côte-Nord, Gaétan est cloîtré dans un chalet des Laurentides contre son gré. « Il y a de quoi de vraiment trippant dans cette rencontre-là. C’est deux êtres qui se ressemblent étrangement », dit Réal Bossé.

C’est le film Jusqu’au déclin, dans lequel Réal Bossé campe un survivaliste un peu timbré, qui a confirmé que l’acteur était le bon pour jouer l’étrange Gaétan. « Il fallait un comédien capable de se virer sur un 10 cents, de passer rapidement du menaçant à la candeur », dit le réalisateur. « Et capable de fendre du bois », plaisante Réal Bossé.

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Réal Bossé

Je les aime, les weirds. Parce que les gens heureux n’ont pas d’histoire. Et j’ai beaucoup de plaisir à jouer tout ce qui relève du trouble.

Réal Bossé

Pour ce qui est d’Eve Ringuette, son affiliation au projet est le fruit du « plus gros coup de chance » de la carrière cinématographique de Kevin T. Landry. « Une amie directrice de casting, qui l’a tout de suite imaginée dans le rôle de Maude, me l’a présentée en 2020, aux Rendez-vous Québec Cinéma. Ç’a été un coup de foudre, tout simplement. »

L’envie de créer un personnage autochtone vient évidemment d’une volonté de montrer de la diversité à l’écran, mais pas que. Lors du montage de la série Le rythme, qui suit de jeunes musiciens autochtones, le cinéaste est tombé amoureux du sens du rire innu. « C’est entre autres de là qu’est venue mon envie de faire un film avec un côté humour noir acerbe, donc c’était un choix tout à fait naturel. »

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Eve Ringuette dans Jour de merde

Vive les films éclectiques !

Jour de merde est un film difficile à catégoriser. « Là, on s’est entendus pour comédie noire, mais il y a des éléments de thriller et de film noir… », nous dit le réalisateur. Même si le mélange des genres est moins présent au cinéma québécois, Kevin T. Landry est catégorique : il y a assurément de la place pour cette façon de faire des films.

« Everything Everywhere All At Once [qui a remporté sept statuettes aux Oscars] en est un parfait exemple. C’est à la fois de la science-fiction, de la comédie et un drame familial. Ça peut être un incroyable terrain de jeu, tant que tu gardes le cap sur l’histoire que tu veux raconter. »

Ce qui est certain, c’est que Jour de merde trace bien la voie de Kevin T. Landry. « J’ai trouvé l’univers décalé dans lequel je suis confortable. C’est vraiment ça, mon terrain de jeu. »

En salle ce vendredi