Le réalisateur de Black Swan a mis 10 ans pour porter à l’écran la pièce de Samuel D. Hunter parce qu’il ne parvenait pas à trouver l’acteur qui pourrait faire honneur à une partition aussi difficile à jouer. Puis vint Brendan Fraser. Itinéraire d’un projet de film pas comme les autres.

Lors de la première mondiale de The Whale à la Mostra de Venise, l’émotion était tangible. Les rumeurs de trophées et d’Oscars se sont répandues à la vitesse de l’éclair et le nom de Brendan Fraser courait sur toutes les lèvres. Le nouveau film de Darren Aronofsky marque en effet le retour d’un acteur qui, après avoir été l’une des plus grandes vedettes hollywoodiennes des années 1990 et 2000, était pratiquement disparu des écrans radars. Et qui trouve, à 54 ans, le plus grand rôle de sa carrière.

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Brendan Fraser est la tête d’affiche de The Whale (La baleine), film de Darren Aronofsky.

« Il m’a fallu 10 ans pour concrétiser ce projet parce que je ne trouvais pas l’acteur qui pouvait tenir ce rôle extrêmement exigeant, a expliqué le cinéaste au cours d’une rencontre de presse virtuelle à laquelle La Presse a assisté. Comme tout le monde, j’avais presque oublié l’existence de Brendan Fraser quand je l’ai vu, tout à fait par hasard, dans la bande-annonce d’un film indépendant tourné au Brésil [Journey to the End of the Night, d’Eric Eason]. Ça a fait une étincelle dans mon esprit. Je me suis dit : pourquoi pas lui ? »

Darren Aronofsky y est allé par instinct parce qu’il ne fait pas partie lui-même du public cible de George of the Jungle, Encino Man et autres Mummy, les productions auxquelles Brendan Fraser doit sa popularité.

« Je sais maintenant à quel point ces films sont importants pour les gens des plus jeunes générations. Pour être honnête, je n’avais cependant pas idée à quel point cet homme était vénéré. »

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En lice pour le Lion d’or, Darren Aronofsky a présenté The Whale (La baleine) en primeur mondiale à la Mostra de Venise le 4 septembre.

L’accueil que Brendan reçoit grâce à The Whale est complètement beau et fou, mais en lui offrant le rôle, je n’ai pas du tout pensé à l’effet qu’il produirait. C’est du bonus !

Darren Aronofsky, réalisateur

Un grand défi

Au-delà de la performance de l’acteur principal, The Whale représentait également un grand défi sur le plan de la réalisation. Dès qu’il a vu la pièce de Samuel D. Hunter sur la scène du Playwrights Horizons à New York, après avoir lu une critique élogieuse du New York Times, Darren Aronofsky a tout de suite su qu’un film singulier pouvait en être tiré.

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Darren Aronofsky sur le plateau du film The Whale (La baleine)

« J’étais bien conscient qu’à cause du sujet, tout se déroulerait dans un décor unique et qu’il allait être impossible d’ouvrir la pièce pour la situer à différents endroits. J’aimais aussi l’idée de concevoir une mise en scène autour d’un personnage qui ne peut pas bouger, comme s’il était le soleil au centre d’un système solaire avec quelques planètes qui tournent autour. Rendre le tout vivant et captivant malgré les contraintes, sans faire ressentir au spectateur une impression d’enfermement ou d’ennui, a été mon grand défi à titre de cinéaste. »

Appuyé par son complice de toujours, Matthew Libatique, à la direction photo, Aronofsky, qui a demandé au dramaturge de tirer un scénario de sa propre pièce, a ainsi fait d’une œuvre éminemment théâtrale au départ une véritable proposition de cinéma.

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Sadie Sink dans The Whale (La baleine)

Au cœur du récit figure Charlie (Brendan Fraser), un professeur d’anglais, féru de littérature (l’un de ses récits favoris est Moby Dick, auquel le titre du film fait allusion), qui donne ses cours virtuellement à des étudiants qui ne le voient jamais. Prisonnier d’un corps trop lourd, ce dernier n’a plus que quatre personnes dans sa vie : sa meilleure amie, infirmière et aussi proche aidante (Hong Chau), un jeune évangéliste de passage (Ty Simpkins), son ancienne femme (Samantha Morton) et, surtout, Ellie, sa fille de 17 ans (Sadie Sink), qu’il n’a pas vue depuis plusieurs années.

Une incroyable humanité

« Ce qui m’a attiré vers cette pièce est l’incroyable humanité que Samuel D. Hunter a réussi à y mettre, indique le cinéaste. Même si la condition de Charlie est à l’évidence dramatique, je ne vois pas vraiment The Whale comme une tragédie. Je pense même qu’auparavant, aucun de mes films n’a comporté autant d’espoir et d’humour. Les gens rient un moment et ils ont le cœur déchiré tout de suite après. Cela est dû à l’écriture magnifique de Samuel et au talent des acteurs, bien sûr. »

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Brendan Fraser, Hong Chau, Darren Aronofsky, Sadie Sink et le dramaturge Samuel D. Hunter lors de la présentation de The Whale (La baleine) à la Mostra de Venise

Sur ce plan, celui qui, en 2008, avait offert un grand rôle à Mickey Rourke, dans The Wrestler, affirme ne pas vouloir se faire une spécialité d’orchestrer les grands retours d’acteurs plus ou moins oubliés.

« En plus d’être difficile sur le plan émotionnel, le rôle de Charlie l’était tout autant sur le plan technique », souligne Darren Aronofsky.

Plusieurs acteurs auraient sans doute pu offrir une bonne performance, mais se seraient-ils tous soumis à une telle discipline ? Brendan devait passer cinq heures sur la chaise de maquillage tous les jours et en passer neuf autres à tourner.

Darren Aronofsky, réalisateur

« Parfois, poursuit-il, on tombe sur des acteurs qui sont à l’apogée de leur carrière, d’autre fois, sur des comédiens qui n’ont pas eu les mêmes occasions tout le temps. C’était le cas de Mickey à l’époque, et maintenant de Brendan aujourd’hui. La raison principale qui m’a poussé à faire The Whale était d’offrir Charlie au monde afin que sa beauté intérieure puisse briller. On a besoin de ça en ce moment. »

The Whale (La baleine en version française) prendra l’affiche le 21 décembre.