Au large de la Nouvelle-Écosse se trouve l’île de Sable, terre inhabitée, sinon par quelques scientifiques. Et par Zoe Lucas, femme ayant consacré sa vie à préserver ce bout de terre et à documenter son histoire naturelle. La documentariste Jacquelyn Mills consacre, à Zoe Lucas comme à l’île, un film hors des sentiers battus.

Lorsque l’ouragan Fiona est passé sur l’île de Sable les 25 et 26 septembre, Zoe Lucas y était en compagnie de trois employés de Parcs Canada. Une fois la tempête passée, l’organisme qu’elle gère, Sable Island Institute, a fait savoir que « les chevaux ont quitté leurs abris, broutent, se toilettent et se livrent à leurs activités habituelles ».

Zoe Lucas, 72 ans, artiste et naturaliste, est une personne entière, investie, habitée par un seul projet : la préservation de cette île retirée du monde où elle a passé quelque 9000 jours (près de 25 ans) dans les 40 dernières années.

Cette mission de préservation se décline en deux grands axes, la lutte contre la pollution des plastiques et la tenue au jour le jour d’une documentation inouïe sur l’écologie de l’île où vivent quelques 500 chevaux sauvages.

Pour raconter une telle histoire, il fallait un documentaire singulier. Avec une photographie sans esbroufe. Avec une narration de peu de mots. C’est ce qu’a fait la réalisatrice Jacquelyn Mills, Néo-Écossaise d’origine et Montréalaise d’adoption.

Mme Mills a visité trois fois l’île de Sable, mettant ses pas dans ceux de Zoe Lucas tout en essayant d’effacer ses propres traces. Lancé à la Berlinale en février 2022, son documentaire Geographies of Solitude n’adopte pas les codes de l’hommage. Il n’est pas intrusif. Il n’est pas léché ni lisse et encore moins touristique. En fait, c’est un pur acte d’abandon.

« Ce film, dans son entièreté, est un rituel. Tout tourne autour du rituel », dit Mme Mills en entrevue à La Presse au moment de la présentation du film, en novembre, aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM). « Ce n’est ni un film sur Zoe ni sur l’île, mais sur ce qui scelle le destin de l’une et de l’autre. »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

La documentariste Jacquelyn Mills s’est rendue trois fois à l’île de Sable pour le tournage de son film.

Dans sa jeunesse, à l’île du Cap-Breton, Jacquelyn Mills a été captivée en voyant, dans un reportage télévisé, cette femme « vivre sur un banc de sable retiré ». Devenue cinéaste, elle a proposé son projet à Mme Lucas en lui faisant bien comprendre le sens de sa démarche.

« Avec tout le bruit ambiant, il me fallait faire un film avec un sens, différent, non conventionnel, poursuit-elle. L’intention du projet tourne autour de cette citation du moine naturaliste et philosophe Thomas Merton (1915-1968) : “Nous n’aimerons ni ne sauverons jamais ce que nous ne vivons pas comme sacré.” »

10 minutes, pas plus

La réalisatrice dit s’être laissé guider par son sujet au cours de cette aventure amorcée en 2019 avec l’aide de la productrice Rosalie Chicoine Perreault.

« J’ai laissé mes connaissances de côté, relate-t-elle. Je voulais juste être là. Et je filmais uniquement lorsque le moment me paraissait incontournable. Et comme j’ai utilisé un format 16 mm dont la pellicule est très chère, je ne filmais que 10 minutes par jour. Je ne savais pas si j’aurais un film à la fin [elle a gagné plus de 15 prix]. C’était un risque à prendre, mais je sentais que j’avais la bonne approche. »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

La productrice Rosalie Chicoine Perreault (à gauche) et la cinéaste Jacquelyn Mills (à droite)

En dépit de son côté contemplatif et éthéré, Geographies of Solitude est solidement ancré dans le concret. Faite de sable et de plantes, longue de 42 kilomètres et large de seulement 1,3 kilomètre, l’île de Sable est un écosystème fragile et bouillonnant avec ses chevaux, oiseaux, phoques, insectes et plantes.

Au fil de son quotidien, avec son sac à dos élimé, Zoe Lucas parcourt les lieux à la recherche de toutes sortes d’échantillons, dont le crottin, qu’elle récolte, analyse et inscrit dans des kilomètres de banques de données.

La mort d’un cheval ne l’émeut pas. Le cycle de la vie suit son cours. Elle soulève plutôt la carcasse pour voir ce qui se passe en dessous. Et ça grouille de vie !

Ce qui est plus choquant, et ça occupe une bonne partie du film, est que l’île de Sable est l’exemple parfait des effets pervers de la consommation humaine. Vous avez lancé un ballon à l’hélium pour un anniversaire quelconque ? Il s’est peut-être retrouvé dans l’île. Mme Lucas possède une récolte en provenance de toute l’Amérique du Nord.

Tout comme elle a récolté des objets de plastique de toutes sortes, des cordages, filets de pêche et billes de microplastique.

« D’avoir côtoyé une personne aussi dévouée et altruiste, sans jamais chercher le gain, dans son travail, a changé la façon dont je fais les choses au quotidien, assure Jacquelyn Mills. Zoe est engagée comme nous devrions tous l’être. »

En salle le 16 décembre au Cinéma du Musée, au Cinéma Public et au Cinéma Moderne.

Rectificatif
Une version antérieure de ce texte indiquait erronément que le film Geographies of Solitudes allait être présenté au Cinéma Beaubien. Ce n'est pas le cas. Nos excuses.