Trente-deux mois après une sortie annulée in extremis pour cause de pandémie, Tu te souviendras de moi s’apprête enfin à gagner les grands écrans. Dans cette adaptation cinématographique de la pièce de François Archambault, les mémoires et les générations s’entrechoquent.

« Je suis tellement heureux que le distributeur [Christian Larouche des Films Opale] ait eu la patience d’attendre afin que ce film sorte sur grand écran ! », s’exclame le réalisateur Éric Tessier à la veille de la mise au monde de Tu te souviendras de moi. « D’autant que les thèmes abordés dans cette histoire méritent qu’on s’y attarde collectivement », renchérit le dramaturge François Archambault.

Dans Tu te souviendras de moi, la mémoire défaillante d’un historien réputé, incarné par Rémy Girard, est confrontée à celle d’une nation dont la mémoire collective a du mal à se transmettre aux nouvelles générations, en dépit de sa devise : « Je me souviens ». D’une certaine façon, le film d’Éric Tessier (5150, rue des Ormes et Junior Majeur au cinéma ; Fugueuse à la télé) tente de rebâtir des ponts à travers l’évolution d’une relation entre deux êtres issus d’époques complètement différentes et, apparemment, irréconciliables.

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David Boutin, Julie Le Breton et Rémy Girard dans Tu te souviendras de moi, un film d’Éric Tessier

« On sent très nettement cette fracture actuellement, fait remarquer l’acteur. La beauté de cette histoire, c’est qu’un homme vieillissant, qui perd progressivement une mémoire qu’il trouve si précieuse, laisse peu à peu tomber ses préjugés envers la jeune génération actuelle. Et vice-versa. Ce qui m’a frappé à la lecture du scénario est la grande ironie du sort qui frappe un homme ayant toujours aimé faire valoir ses connaissances, avec même un côté un peu exhibitionniste, affaibli par la maladie de l’oubli. Je trouvais extraordinaire de pouvoir jouer un personnage atteint dans son histoire personnelle, blessé par où il a vécu. »

Un illustre boomer

Lors d’une entrevue destinée à la télévision au cours de laquelle il étale ses connaissances en histoire plutôt que d’évoquer son état, Édouard (Rémy Girard) sera d’abord confronté à sa femme (France Castel), puis à sa fille Isabelle (Julie Le Breton), mais, surtout, à la jeune fille du conjoint d’Isabelle, Bérénice (Karelle Tremblay). Cette dernière, un peu « toute croche, un peu farouche », au dire de l’actrice, a été « recrutée » par son père (David Boutin) pour accompagner Édouard, sur qui on doit maintenant veiller en permanence.

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Le cinéaste Éric Tessier a dirigé Karelle Tremblay et Rémy Girard dans Tu te souviendras de moi, l’adaptation cinématographique de la pièce de François Archambault.

« Le dosage n’était pas évident à trouver, confie Rémy Girard. Il fallait faire attention pour ne pas se répéter et éviter de s’appuyer sur des tics. Je me suis rappelé mon père, qui a été atteint par cette maladie. Il pouvait basculer d’un état à un autre en 30 secondes. Ça se voyait dans son regard. En même temps, il ne fallait pas tomber dans le mélo non plus, car ce personnage a de l’humour et le sens de la répartie. Mais ça n’a pas toujours été facile à cause de la charge, de l’émotion. Quand je rentrais chez moi le soir, j’étais épuisé. »

Un film sans la pièce

À l’époque où Éric Tessier a eu l’occasion de lire la pièce de François Archambault, celle-ci n’avait pas encore été créée sur scène.

J’ai eu un gros coup de cœur. Il m’a fallu une bonne heure pour me remettre de cette lecture. Une vision cinématographique s’est déjà dessinée de façon très précise dans mon esprit, d’autant que François a amené dans son texte des évocations auxquelles j’ai tout de suite pensé en images. Je voulais que ce film soit lumineux, avec ce ton particulier qui mélange le drame et l’humour.

Éric Tessier, réalisateur

Les deux projets – la pièce et le film – se sont pratiquement chevauchés, l’auteur étant également mis à contribution pour l’écriture des dialogues dans le scénario de l’adaptation cinématographique. Pendant son travail d’écriture, Éric Tessier n’avait pas encore vu la pièce montée, créée il y a huit ans au Théâtre La Licorne.

Une distribution différente

En plus d’un vif succès critique et public, la pièce a été marquée par une performance mémorable de Guy Nadon dans le rôle d’Édouard. Pris à l’époque par les enregistrements de la série télévisée O’, sur laquelle Éric Tessier a déjà travaillé à titre de réalisateur, l’acteur, salué au générique, n’a pu reprendre le rôle qu’il avait créé à la scène pour le grand écran.

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Rémy Girard et France Castel dans Tu te souviendras de moi, film d’Éric Tessier

« J’ai travaillé avec Guy pendant trois ans, et c’est d’ailleurs lui qui m’a fait lire la pièce de François, indique Éric Tessier. Comme il n’était pas disponible, je me suis tourné vers Rémy, lui aussi un immense comédien. Pour les autres rôles, j’ai ressenti le besoin de faire appel à une nouvelle distribution, histoire de distinguer les deux choses, ce qui n’enlève rien à l’immense souvenir que gardent les spectateurs qui ont vu la pièce au théâtre. »

Rémy Girard s’est surtout appuyé sur le scénario pour construire son personnage.

« Je n’avais pas lu le roman de Jocelyne Saucier avant de tourner Il pleuvait des oiseaux non plus », fait remarquer celui dont la performance dans le film de Louise Archambault lui a valu d’être primé à la cérémonie des prix Écrans canadiens. « Je crois que c’est préférable. Le scénario reste l’outil principal, mais j’ai aussi beaucoup lu sur la maladie. Ce qui est bien dans cette histoire, c’est qu’on attrape le personnage alors que les signes se sont déjà manifestés, et on le suit ensuite pendant un an. On n’est pas là au début ni à la fin. »

Tu te souviendras de moi ouvrira le 41e Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue le 29 octobre. Il prendra l’affiche le 4 novembre.