Après Titane l’an dernier, Avec amour et acharnement et une présidence du jury au Festival de Cannes cette année, on le retrouve dans Un autre monde, un film de Stéphane Brizé dans lequel il joue un cadre d’entreprise. À 63 ans, Vincent Lindon vit l’une des plus belles périodes de sa vie d’acteur.

Un autre monde est le cinquième long métrage que vous tournez sous la direction de Stéphane Brizé après Mademoiselle Chambon, Quelques heures de printemps, La loi du marché et En guerre. Il a fait de vous son acteur fétiche. Est-ce à dire que vous lui donnez votre accord d’emblée lorsqu’il vous propose quelque chose ?

Vincent Lindon : Dans la vie, je ne dis jamais oui tout de suite. Je ne déroge jamais à ce principe. Il m’est déjà arrivé de refuser des propositions de metteurs en scène illustres qui me proposaient des scénarios qu’on me disait d’accepter, mais que je ne sentais pas. Il se trouve que chaque fois, les histoires de Stéphane me bouleversent et elles comportent des personnages que j’ai envie d’incarner. Ce cadre dans Un autre monde doit résoudre une question fondamentale : rester ou partir. Faire ce qu’on lui demande, ou perdre son emploi parce que la tâche de réduction des effectifs qu’on exige de lui est impossible sans faire de lourds dégâts. J’aime que Stéphane n’offre pas de réponse. Il raconte une histoire de façon factuelle et laisse au spectateur le soin de faire sa propre idée, sans dire ce qui est bien ou pas bien.

La loi du marché, En guerre et Un autre monde forment une espèce de trilogie campée dans le monde du travail, dans laquelle les trois personnages que vous jouez sont placés dans une position différente : chômeur, syndicaliste, et maintenant patron. Était-ce prévu comme ça dès le départ ?

Il n’y avait même pas une volonté de thématique. Chaque film a été construit sur le précédent et cette thématique s’en est dégagée, que nous devons bien reconnaître. Avec ces trois longs métrages, Stéphane aura exploré toutes les franges de la société. Je suis passé de l’ouvrier au cadre en costume-cravate. On peut y voir un signe de richesse, mais cette cravate serre aussi le cou et peut oppresser. Il est d’ailleurs intéressant de jouer un personnage contre lequel ceux que j’ai joués dans les deux autres films s’insurgeaient. En France, l’aura de Stéphane Brizé en tant que metteur en scène est un peu celle des frères Dardenne en Belgique ou de Ken Loach en Angleterre. Il est devenu le porte-parole de la grande majorité des Français.

PHOTO JOEL C RYAN, ASSOCIATED PRESS

Vincent Lindon, Sandrine Kiberlain et Stéphane Brizé ont présenté Un autre monde à la Mostra de Venise l’an dernier.

Avez-vous le sentiment de vivre actuellement l’une des plus belles périodes de votre vie d’acteur ?

VL : Ça ressemble à ça. Il est vrai que j’ai eu la chance de faire le Grand Chelem des festivals en jouant dans Titane [Julia Ducournau], présenté à Cannes, Un autre monde, avec lequel nous sommes allés à Venise, Enquête sur un scandale d’État [Thierry de Peretti], lancé à San Sebastián, et Avec amour et acharnement [Claire Denis], présenté à Berlin. Mais au-delà des festivals, c’est surtout la qualité de ces rôles, qui n’ont rien à voir les uns avec les autres, qui m’intéresse. Pour Un autre monde, la préparation consistait surtout à maîtriser le langage du monde de l’entreprise et à l’intégrer. J’estime qu’on ne peut bien jouer que ce qu’on comprend très bien.

Un autre monde s’intéresse également à la vie personnelle et familiale du personnage que vous incarnez, notamment en évoquant une difficile procédure de divorce. Vous jouez ces scènes, souvent déchirantes, avec Sandrine Kiberlain, une actrice avec qui vous avez réellement partagé votre vie pendant une dizaine d’années. Est-ce que cette intimité constitue une valeur ajoutée dans votre approche ?

VL : Ça n’aide en rien et ça n’empêche rien non plus. On n’en est plus là. Avec Sandrine, on en est au stade d’après, là où l’on ne se pose plus de questions. Elle incarne ma femme dans le film, je suis son mari, on va divorcer, on joue ça. On ne s’accroche pas du tout à des choses vécues ou non vécues. Le talent exceptionnel de Sandrine mis à part, mon rapport aurait été le même avec une autre actrice. Il se trouve que Stéphane a eu envie de nous réunir, comme il l’avait fait pour Mademoiselle Chambon, uniquement parce que Sandrine est pour lui l’actrice absolument rêvée. Il n’y a là aucun calcul médiatique ou people, ou je ne sais quoi. Pas du tout.

Cet entretien en visioconférence s’est déroulé lors d’une rencontre de presse orchestrée en marge des Rendez-vous du cinéma français d’Unifrance.

Un autre monde prendra l’affiche le 7 octobre.