Issu des mouvements punk et queer des années 1980, Bruce LaBruce s’est fait un nom dans le circuit du cinéma underground en utilisant les codes de la pornographie à des fins politiques et militantes. Pendant un mois, la Cinémathèque québécoise propose une œuvre à la fois subversive et parfaitement cohérente.

Il fait partie de ceux dont le nom est plus connu que les films. Mis à part quelques longs métrages plus récents (et plus « fréquentables »), comme Gerontophilia ou Saint Narcisse (tous deux produits et tournés au Québec), les productions de Bruce LaBruce ne sont connues que des cinéphiles ayant fréquenté les festivals de cinéma et les évènements nichés dans les circuits underground. La rétrospective que lui consacre la Cinémathèque québécoise à compter du 27 septembre est la plus importante jamais organisée au pays. Le cinéaste torontois sera d’ailleurs présent au cours des trois premiers jours et reviendra ensuite durant le prochain mois.

« Le fait que je sois plus connu à l’étranger est en partie dû au fait que le marché canadien étant beaucoup plus petit, il est plus difficile de trouver des canaux de distribution underground », explique Bruce LaBruce au cours d’un entretien téléphonique accordé à La Presse. « Aux États-Unis ou en Europe, ce marché marginal est quand même plus large. Il y a aussi que j’ai arrêté de faire des films au Canada pendant un moment. À l’époque où j’ai réalisé mes deux premiers longs métrages [No Skin Off My Ass et Super 8 ½], j’ai eu les flics sur le dos à cause du contenu explicite. Je suis allé à Los Angeles, puis à Berlin. Il y a bien des gens qui ne savent même pas que je suis canadien ! »

Une motivation politique

Le cinéma ayant toujours fait partie de sa vie, le jeune Justin Stewart, né en 1964 à Southampton, en Ontario, a d’abord voulu être critique de cinéma, ce qu’il a notamment fait dans la revue CineAction. À l’Université York, au moment où le mouvement punk battait son plein, il a étudié la théorie du cinéma et la pensée sociale et politique.

« J’ai alors fait plusieurs courts métrages en super 8 et je les ai montrés dans des circuits alternatifs. Ma motivation était avant tout politique, car je réalisais des films queer très militants, très ‟dans ta face » avec des scènes explicites. Ils étaient conçus pour choquer non seulement les conservateurs, mais aussi les libéraux prétendument tolérants qui disaient être ouverts aux homosexuels pourvu qu’ils ne le montrent pas trop. »

PHOTO FOURNIE PAR LUST CINEMA

The Affairs of Lidia, le plus récent film de Bruce LaBruce, sera présenté à la Cinémathèque québécoise dans le cadre de la rétrospective consacrée au cinéaste.

À cet égard, Marco de Blois, programmateur de cette rétrospective, fait remarquer qu’une des cibles favorites de Bruce LaBruce dans son œuvre est le néoconservatisme gai et le capitalisme rose.

Son plus haut fait d’armes est probablement d’avoir réussi à démontrer que la porno est légitime et qu’on peut faire dire de vraies choses à des images explicites.

Marco de Blois, programmateur de la rétrospective de l’œuvre de Bruce LaBruce

« Nous avons d’ailleurs programmé des films de commande qu’il a réalisés pour des studios spécialisés dans la pornographie parce qu’ils s’inscrivent dans l’ensemble de l’œuvre de façon très cohérente. Ce à quoi s’ajoute son immense cinéphilie. »

Quand on lui demande quelle production devrait servir de porte d’entrée à un spectateur qui ne connaîtrait rien de son œuvre, Bruce LaBruce suggère l’ordre défini par la Cinémathèque québécoise, avant de se raviser. La rétrospective s’ouvrira avec la présentation de Hustler White, un film tourné à Los Angeles en 1996, dans lequel le cinéaste transpose l’intrigue de Sunset Boulevard (Billy Wilder) dans l’univers contemporain de la prostitution et de la pornographie gaie.

PHOTO FOURNIE PAR LA CINÉMATHÈQUE QUÉBÉCOISE

Tony Ward est la tête d’affiche de Hustler White. Ce film lance la rétrospective consacrée à Bruce LaBruce à la Cinémathèque québécoise.

« J’aime bien que ça commence avec Hustler White, même s’il s’agit d’un film extrême et très controversé. Lors de la première au festival de Sundance, la moitié de la salle est d’ailleurs sortie. Je voyais comme un honneur le fait qu’il provoque autant de réactions. Cela dit, pour ceux qui aimeraient commencer de façon un peu plus soft, Otto; or, Up with Dead People est un peu plus acceptable ! »

Une attitude punk

Constituée de 13 longs métrages et de plusieurs courts et moyens métrages, la rétrospective est également assortie d’une carte blanche accordée au cinéaste. Sept longs métrages l’ayant inspiré sont ainsi présentés. En collaboration avec le Festival du nouveau cinéma, Bruce LaBruce participera également, le 12 octobre, à une discussion sur la pornographie et l’érotisme dans une perspective d’auteur.

« Je garde toujours une attitude punk envers le cinéma, assure le cinéaste. Il doit nous défier, nous provoquer, explorer des territoires inédits. J’ai souvent ressenti ce sentiment étrange, inconfortable, d’être allé trop loin, allié pourtant à ce besoin viscéral d’aller vers quelque chose qui doit être exprimé. Je crois que le titre de la rétrospective – Tendre et transgressif – l’exprime bien. À mes yeux, tous mes films sont romantiques et certains d’entre eux tombent même un peu dans un certain sentimentalisme. Je compte d’ailleurs bien faire attention à cela à l’avenir, car on vit dans un monde où l’on ne peut plus se permettre d’être sentimental ! »

Bruce LaBruce : Tendre et transgressif, du 27 septembre au 26 octobre à la Cinémathèque québécoise

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