« T’étais où ? » C’est la première question que j’avais envie de poser à Stéphane Lafleur. Le cinéaste nous a manqué. Après trois longs métrages, tous plus originaux et séduisants les uns que les autres, Continental, un film sans fusil (2007), En terrains connus (2011) et Tu dors Nicole (2014), Lafleur revient enfin au cinéma avec une comédie dramatique délicieusement subversive, Viking, qui sera en salle le 30 septembre.

Qu’est-ce qui explique cet hiatus de huit ans ? Stéphane Lafleur, qui est aussi monteur, a travaillé sur les films de collègues, notamment La déesse des mouches à feu d’Anaïs Barbeau-Lavalette. Il s’est surtout perdu dans les méandres de l’adaptation d’un roman (Baldam l’improbable de Carle Coppens) qui devait être réalisé par un ami.

« Je me suis perdu loin dans la forêt, et plus j’avançais dans les versions du scénario, moins je me retrouvais ! J’ai pris un mauvais virage au début et il n’était pas question que je revienne sur mes pas ! », résume Lafleur, qui a planché en vain pendant cinq ans sur ce scénario qui ne verra pas le jour.

Après Tu dors Nicole, qu’il décrit comme un « film d’errances et de vignettes », Stéphane Lafleur a carrément songé à abandonner la réalisation pour se concentrer uniquement sur la scénarisation. Sans raison en particulier, dit-il, sinon qu’il avait l’intuition que c’était la chose à faire. Il s’est ravisé après l’échec de son projet d’adaptation de roman. « Je savais qu’après Nicole, j’avais envie de faire un film de science-fiction. Mais je ne savais pas lequel ! »

Il a repensé à une expo d’un photographe français, Vincent Fournier, qu’il avait vue à New York il y a 12 ans et qui représentait des astronautes au milieu d’un désert de l’Utah. « En faisant des recherches, je me suis rendu compte qu’il y a vraiment des gens qui font des simulations martiennes dans le désert, explique Lafleur. Ensuite il y a eu le projet Mars One, qui promettait à des gens ordinaires un aller simple pour Mars. Finalement, tout ça s’est dégonflé, mais je me suis demandé qui était prêt à faire ce sacrifice. »

L’auteur-cinéaste a aussi été inspiré par un documentaire sur la sonde Voyager, dont on avait conservé une réplique en laboratoire dans les années 1970, ce qui avait permis de régler certains problèmes techniques. « Je me suis demandé ce que ça donnerait si on appliquait ça à des humains. J’aimais l’idée de ce concept un peu absurde et décalé. »

Il a écrit une première version de scénario, puis, échaudé par son expérience de scénario avorté, il a fait appel à Eric K. Boulianne (Prank, Les Barbares de La Malbaie) pour l’épauler. « J’avais l’impression d’avoir une idée riche et porteuse, mais plus je voyais toutes les possibilités, plus j’avais le tournis, explique Stéphane Lafleur, reconnu pour son humour décalé. Alors j’ai demandé à Eric K. Boulianne d’embarquer pour m’aider à faire des choix. Je sentais que j’allais me perdre et ça ne me tentait pas de passer cinq ans là-dessus ! »

Entre les aspirations et la réalité

Le point de départ de Viking est drôlement intrigant. David (excellent Steve Laplante), un professeur d’éducation physique, se porte volontaire pour participer à la première mission sur Mars de la Société Viking. Il ne sera pas envoyé sur la planète rouge, mais devra former avec quatre autres volontaires québécois une équipe B d’alter ego de véritables astronautes.

Ils vivront pendant plus de deux ans l’aventure en parallèle, grâce à une simulation dans un bunker reculé dans un paysage aride du Midwest américain. Leur mission confidentielle : anticiper et tenter de régler à distance les tensions, frictions et autres problèmes interpersonnels que rencontrent leurs « doubles » à des dizaines de millions de kilomètres.

Et à la cocasserie du contexte s’ajoute une panoplie de détails comiques : l’équipe B québécoise ne se déplace pas en navette spatiale, mais en autobus scolaire…

C’était important pour moi que le contexte soit ancré dans cette réalité économique. C’est tout un clin d’œil à notre rapport aux États-Unis. Je n’aurais pas voulu faire un film de science-fiction qui se prend pour Dune et aller tourner dans un pit de sable à Joliette !

Stéphane Lafleur, réalisateur

Sans être une métaphore du décalage énorme entre les moyens du cinéma québécois et ceux du cinéma hollywoodien, Viking est une comédie dramatique qui s’inspire du schisme entre les aspirations et la réalité. Aussi, pour ce tournage compliqué – en partie dans une région difficile d’accès pour les véhicules et tout le matériel technique, en Alberta –, l’équipe de Viking a dû faire preuve de beaucoup de débrouillardise, de solidarité et d’ingéniosité. « On avait sous-estimé ce que c’était comme défi. Juste pour concevoir les casques des astronautes, on aurait pu engager quelqu’un à temps plein ! Ça reste un projet ambitieux pour les moyens qu’on a. »

Le musicien

Parlant de casques… Si Lafleur le cinéaste n’a pas réalisé de film depuis 2014, Lafleur le leader du groupe folk Avec pas d’casque n’a pas fait paraître d’album depuis 2016. « Je recommence à composer. Je fais du vélo et je me mets à fredonner. Il y a des tounes qui s’en viennent », dit l’artiste multidisciplinaire, qui s’estime chanceux de pouvoir passer du cinéma à la chanson.

« J’aimerais ça qu’on enregistre l’an prochain, si tout le monde est disponible. Ce serait mon souhait, mais il ne faut pas forcer ces choses-là. Ce serait le fun de retrouver les copains et de faire de la musique. »

Si le musicien reprend du service, faut-il s’attendre à un autre hiatus du cinéaste ? « Je ne pense pas que je vais attendre huit ans pour faire un autre film. Les décennies passent un peu vite quand on fait ça ! »

Viking sera en salle dès le 30 septembre.