Benoît Gouin habite notre paysage culturel depuis 35 ans. Au moment où sortent quasi simultanément la série Larry, écrite par Stéphane Bourguignon (réalisée par Patrice Sauvé), et Les tricheurs, deuxième long métrage de Louis Godbout, nous faisons le point avec cet acteur discret, pourtant très présent. Rencontre.

Les deux productions dans lesquelles il met son talent en valeur ces temps-ci ne pourraient être de tonalités plus différentes. Dans la série Larry, Benoît Gouin prête ses traits à un policier déchu, qui mène une enquête personnelle à la suite d’une fusillade ayant blessé à vie sa femme. L’homme est taciturne, peu aimable, et trouve souvent le moyen de prendre les pires décisions possibles.

Dans Les tricheurs, une comédie grinçante et cynique se déroulant sur un terrain de golf, l’acteur se glisse dans la peau d’un psychiatre dont la quiétude sera chamboulée par l’arrivée d’un inconnu ayant le don d’aller gratter là où ça fait mal. Dans les deux cas, Benoît Gouin a cette faculté de pouvoir s’effacer derrière le personnage qu’il incarne. Même s’il compte à son actif une soixantaine de pièces de théâtre, une quarantaine d’émissions dramatiques à la télévision et une vingtaine de films, il fait partie de ces comédiens n’ayant pas vraiment auprès du public une image fixée d’avance. Entendez par là qu’il peut se fondre aisément dans n’importe quel univers.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

« Je crois au mystère de l’acteur, explique-t-il au cours d’un entretien accordé à La Presse. Je n’ai pas le réflexe d’exploiter des créneaux où je serais visible autrement qu’à travers un personnage. Ma nature est ainsi faite. Je préfère garder un petit recul et je suis heureux comme ça ! »

La réalisation d’un fantasme

À 61 ans, celui qui a d’abord exercé son art en jouant à Québec des créations collectives mises en scène par Robert Lepage – alors un parfait inconnu – tient pour la première fois de sa carrière le rôle principal d’une série lourde. Écrite par Stéphane Bourguignon, Larry est réalisée par Patrice Sauvé, avec qui Benoît Gouin a souvent collaboré depuis La vie, la vie.

« Quand le personnage que tu joues est présent dans pratiquement chaque scène, tu sais que ta performance va déterminer la qualité de la série. C’est un grand défi d’interpréter un personnage peu sympathique et de donner aux gens l’envie de le suivre quand même. Jouer un policier qui mène des enquêtes, dans une histoire où il y a beaucoup d’action, faisait aussi partie de mes fantasmes. Il n’y a rien d’unidimensionnel dans l’écriture de Stéphane Bourguignon. »

Quant aux Tricheurs, l’acteur a été convaincu par la qualité du scénario. Qu’il a aimé à un point tel qu’il a voulu s’organiser pour que le tournage du film de Louis Godbout n’entre pas en conflit avec celui de la dernière saison du téléroman L’heure bleue, alors en pause pandémique.

« En fait, j’ai eu un peu la même impression qu’en lisant le scénario de Québec-Montréal, confie-t-il. Les dialogues sont suffisamment forts et drôles pour faire en sorte qu’il n’y ait pas lieu d’insister ni de jouer gros. Louis aime le cynisme à l’extrême et c’est vrai qu’il n’y a pas tant d’œuvres qui exploitent le créneau de la comédie noire au Québec. Louis, dont j’avais vu et beaucoup aimé Mont Foster, est un gars extrêmement brillant. »

De Québec à Montréal

Avant d’arriver sur le plateau de Québec-Montréal, premier long métrage dans lequel il a tourné, Benoît Gouin comptait déjà plusieurs années d’expérience sur les planches. Lui qui a abandonné ses études en médecine au bout de trois ans pour s’inscrire au Conservatoire d’art dramatique de Québec a en effet rapidement fondé là-bas une compagnie théâtrale – Niveau Parking – en compagnie de camarades comédiens.

« Ça correspondait à l’avènement de l’impro aussi, précise-t-il. J’ai d’ailleurs participé à la fondation de la Ligue universitaire d’impro, un peu le premier bébé de la LNI, au début des années 1980. »

Même si Benoît Gouin avait décroché une citation aux prix Gémeaux dès son arrivée à Montréal, grâce à sa performance dans Le piège, un épisode de la série Jamais sans amour (écrite par Janette Bertrand), la donne a changé pour lui en 2002. Cette année-là, un dénommé Michel Gauvin – Mike Gauvin, rencontré sur l’autoroute 20 entre Québec et Montréal dans le film de Ricardo Trogi, est pratiquement devenu du jour au lendemain une icône dans l’imagination collective québécoise.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

« Ce sera peut-être mon petit legs à la culture québécoise : ci-gît Mike Gauvin, dit-il en riant. Pour moi, Québec-Montréal a été une carte de visite très importante. Un ami réalisateur m’a d’ailleurs raconté qu’à l’époque, mon nom était sorti en réunion pour des auditions, mais que l’un des producteurs ne savait pas du tout qui était Benoît Gouin. C’est seulement quand on lui a dit Michel Gauvin – Mike Gauvin qu’il a allumé ! Encore aujourd’hui, pas une semaine ne passe sans qu’on m’en parle. Ça me ravit parce que ça indique que les gens ont bien apprécié mon travail ! »

Un autre regard

Après avoir enchaîné les rôles sans répit pendant plus de trois décennies, Benoît Gouin estime qu’il bénéficie maintenant de la force de l’âge.

J’ai l’impression que le poids des années me permet de savoir tout de suite où aller pour atteindre certaines zones. En tant que comédien, j’aborde les personnages avec un regard sur les choses et le monde qui change avec le temps. Je suis aujourd’hui très différent de l’acteur que j’étais à 30 ans.

Benoît Gouin

« Avec l’âge, poursuit-il, on dépouille son jeu davantage. L’expérience de vie entre aussi en ligne de compte. L’arrogance de la jeunesse n’y est plus et on se rend compte que, comme disait Jean Gabin avec son “Je sais qu’on ne sait jamais”, il est vrai qu’on ne sait finalement pas grand-chose. La vérité trouve son chemin dans l’accueil tout simple de ce qui arrive, dans notre capacité d’émerveillement face à la vie. À 60 ans, on touche à des choses qu’on ne peut pas toucher à 20 ans parce que la compréhension des rapports humains est complètement différente. »

Les tricheurs prendra l’affiche le 12 août. Les 10 épisodes de la série Larry sont offerts actuellement sur l’Extra de Tou.tv.