Avec 550 000 entrées en France pour Maigret, sa nouvelle adaptation d’un roman de Simenon, avec Gérard Depardieu dans le rôle-titre, Patrice Leconte renoue avec le succès au cinéma. La Presse a rencontré plus tôt cette semaine le cinéaste de passage à Montréal.

Patrice Leconte est arrivé dans la métropole sans sa valise (égarée quelque part au-dessus de l’Atlantique) pour la première nord-américaine de Maigret présentée au festival Fantasia, mardi. Ce qu’il fait avec l’enthousiasme d’un jeune débutant. Or, à 74 ans et avec une longue liste de titres mettant en vedette des monstres sacrés du cinéma (les Belmondo, Rochefort, Noiret, Giraudeau, Marielle), le cinéaste aurait pu profiter du soleil de juillet…

« Pourquoi des vacances ? lâche-t-il. J’adore mon métier. C’est un métier épuisant, mais formidable ! Le jour où le ressort sera cassé, j’arrêterai. Mais pas de tout de suite. »

Au passage, il nous signale que sept années se sont écoulées depuis son avant-dernier film… et que quatre projets sont tombés à l’eau pour des questions de financement. « Même si un réalisateur et des interprètes sont connus, on ne trouve pas l’argent aisément pour tourner en France. J’espère que ça ne prendra pas sept ans à nouveau avant mon prochain film… Parce que je vais devoir le faire avec un déambulateur ! »

Après son brillant Monsieur Hire, avec Michel Blanc, le réalisateur du Mari de la coiffeuse plonge pour la seconde fois dans l’univers de Georges Simenon. Cette fois, par l’entremise du commissaire Jules Maigret, l’enquêteur français le plus célèbre de la littérature (75 romans et une trentaine de nouvelles !). Comédie populaire, drame, polar, films d’époque… Leconte signe des films différents les uns des autres. Par choix.

À la fin des années 1970, j’ai vite compris que si je creusais toujours le même sillon, celui de la comédie comme avec Les Bronzés, j’allais tourner en rond et m’ennuyer.

Patrice Leconte

Passer d’un univers à l’autre me permet de garder intacts mon appétit, ma curiosité ; de rester allumé. L’idée de ne jamais se mettre en danger, c’est affreux ! Moi, ça me motive de sortir de ma zone de confort, d’avoir (un peu) peur de ne pas être à la hauteur. »

Maigret au cinéma

Pourquoi revenir à Simenon plus de 30 ans après Monsieur Hire, alors qu’il y a déjà plusieurs adaptations des Maigret à l’écran ? « Parce que j’adore ses romans et Maigret a bercé mon adolescence. Et aussi, Jérôme Tonnerre, le coscénariste et dialoguiste, m’a fait remarquer qu’au cinéma, contrairement à la télé, il faut remonter à 1963 pour voir Maigret, sous les traits de Jean Gabin, dans un film, pas dans une série. »

Le réalisateur a choisi le roman Maigret et la jeune morte, paru en 1954, pour son personnage central, mais aussi pour tous les personnages secondaires.

Simenon a toujours eu un penchant formidable pour les petites gens. Il s’intéresse aux passants, aux quidams, ces gens qu’on croit sans histoire. Or, lorsqu’on s’attarde à eux, on découvre des choses incroyables, extraordinaires, dans leur vie !

Patrice Leconte

PHOTO PASCAL CHANTIER, FOURNIE PAR AXIA FILMS

Gérard Depardieu et Bertrand Poncet, dans Maigret

Comme le titre l’indique, le commissaire Maigret enquête sur une jeune fille morte. Une mineure retrouvée poignardée, la nuit au square des Batignolles, sans aucun papier ni effet personnel, mais portant une robe de bal haute couture. Dans le film, Maigret est un peu au bout du rouleau, fatigué, il n’a plus d’intérêt pour grand-chose. Cette fille rappelle un vieux chagrin au taciturne Maigret. « Cette jeune morte va lui redonner le goût de la vie », illustre Leconte.

La victime anonyme symbolise toutes ces autres filles de province qui débarquent dans le Paris de l’après-guerre pour réaliser leurs rêves de jeunesse. En vain. « Paris est un miroir aux alouettes, explique le cinéaste né dans la capitale. On y débarque en croyant que la vie sera merveilleuse. Or, ce n’est pas du tout le cas. »

Depardieu sur le plateau

En 45 ans de carrière, Patrice Leconte tourne pour la toute première fois avec l’interprète de Cyrano. « Eh oui, je n’avais jamais travaillé avec Depardieu. Ce n’est pas l’envie qui manquait. Mais il fallait qu’une belle occasion se présente. Personne n’avait encore pensé à lui pour jouer Maigret, alors que Gérard est féru de Simenon. »

PHOTO STEPHANIE BRANCHU, FOURNIE PAR AXIA FILMS

Gérard Depardieu et Patrice Leconte lors du tournage de Maigret

Et puis, il est comment, Depardieu ? Oubliez les histoires d’horreur et les excentricités autour du comédien controversé : Leconte n’a que de bons mots sur lui. « On a eu beaucoup de plaisir sur le tournage. Gérard aime bien déconner entre les prises. Il peut être contradictoire. Il dit que “se déconcentrer l’aide à se concentrer”. Quand il aime un projet, il se donne à fond. »

C’est émouvant de cadrer cette grosse carcasse cabossée et bourrée de talent. Depardieu a un sens, une intuition de la scène, du rythme, des silences, des sentiments. C’est inouï et bouleversant !

Patrice Leconte

Après son dernier plan, à la fin du tournage de huit semaines, Depardieu s’est adressé à toute l’équipe du film, raconte Leconte : « Gérard était ému. Il nous a dit : “Je vous remercie beaucoup, parce que depuis quelques années, je faisais des films ; grâce à vous, j’ai fait du cinéma.” »

Le film Maigret prendra l’affiche le 29 juillet au Québec.