De Taureau à Confessions, Louise Portal compte maintenant 50 ans de cinéma. De la jeune fille découvrant le septième art dans la vingtaine jusqu’à la femme mûre qui se vieillit en jouant une octogénaire devant la caméra de Luc Picard, l’actrice assume tous ses âges, une décennie à la fois. Dimanche, l’Iris Hommage lui sera attribué dans le cadre du Gala Québec Cinéma.

Un club cheap du fin fond de la Beauce. Quand Taureau commence, une jeune fille fait un strip-tease sur une scène approximative devant quelques clients au regard concupiscent. Sa mère, prostituée du village, s’en amuse. Dans ce film dur, écrit et réalisé par Clément Perron, coscénariste de Mon oncle Antoine, Louise Portal tient son premier rôle important au grand écran. Cinquante ans plus tard, l’actrice en garde encore un souvenir très ému.

« C’est la Beauce, le vrai monde, une vraie ferme, une vraie rivière, rappelle-t-elle au cours d’un entretien accordé à La Presse. J’ai 22 ans, je me retrouve là, je dois faire un strip-tease, mon personnage se fait violer. Je suis avec Monique [Lepage], André Melançon. On est dans la vraie matière. J’avais déjà l’expérience de la télévision, mais un tournage dans un studio de Radio-Canada n’a vraiment rien à voir. C’est grâce à Taureau que j’ai découvert ce que le cinéma était vraiment. C’était extraordinaire ! »

Un peu de patience

Pour la jeune femme issue d’une famille où le besoin d’expression artistique était aussi grand que le fjord du Saguenay, le cinéma allait désormais jouer un rôle crucial. Le parcours ne fut cependant pas aussi lisse que celui qui se dessinait au départ. Après Taureau, les propositions qu’a reçues Louise Portal étaient moins intéressantes à ses yeux, d’autant qu’elles comportaient souvent des scènes de nudité. Quelques années de patience l’auront menée vers Anne Claire Poirier (Mourir à tue-tête) et, surtout, Jean Beaudin et sa Cordélia. Dans la peau de cette femme au destin tragique ayant réellement existé, l’actrice tient l’un de ses plus grands rôles.

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Louise Portal est Cordélia dans le film du même nom, sorti en 1980.

« Ce fut aussi une expérience extraordinaire, mais, encore là, je n’ai pratiquement pas eu d’autres propositions ensuite parce que j’ai été cataloguée dans les rôles d’héroïnes romanesques d’époque. C’est à ce moment-là, qui correspond à ma trentaine, que j’ai commencé à écrire des romans, des chansons aussi, à faire des disques. Jusqu’à ce que Denys [Arcand] me propose Le déclin de l’empire américain. Ce rôle a changé ma vie. Et le cinéma ne m’a plus jamais lâchée ! »

Les années 1980 furent particulièrement fécondes. Alors amoureuse d’un musicien, Louise Portal se met également à la chanson, enregistre des disques – quatre albums – et recueille même quelques citations au gala de l’ADISQ. Cet aspect fructueux de sa carrière fut pourtant brusquement mis à l’arrêt, par sa propre décision, au tournant de la quarantaine.

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En 1982, Louise Portal était aussi romancière et chanteuse.

« J’ai monté un spectacle intitulé Le strip-tease dans l’âme, comme une sorte de premier bilan de vie. Je dis souvent que dans la vingtaine, on défriche la terre de notre devenir et que dans la trentaine, on sème ce qu’on va récolter dans la quarantaine. »

Malgré les albums que j’avais déjà faits, je n’arrivais pas à trouver une compagnie de disques pour enregistrer les chansons de ce spectacle. En mon for intérieur, j’ai compris que je devais mettre un terme à ma carrière de chanteuse parce que j’étais rendue ailleurs.

Louise Portal

« J’ai fait table rase. Les mouvements importants de ma vie passent toujours par l’écriture et la création », ajoute-t-elle.

La reine des p’tits mots

Une parenthèse ici s’impose. En plus de la vingtaine d’ouvrages qu’elle a écrits, Louise Portal tient un journal intime qu’elle alimente tous les jours depuis près de 60 ans. La somme de tous les collages qu’a faits « la reine des p’tits mots » (comme la surnomme affectueusement Denys Arcand) est si colossale qu’un fonds d’archives a été créé.

« Toute jeune, j’avais déjà une fascination pour les comédiennes, confie-t-elle. Dans mes scrapbooks des années 1960, il y a des photos de Brigitte Bardot, Marilyn Monroe, Gina Lollobrigida et Jeanne Moreau. Dans mon roman L’actrice, Jeanne Moreau, pour qui j’ai une admiration sans bornes, est présente dès les premières pages. Elle a été mon icône. Quelle actrice remarquable et quelle grande amoureuse ! En plus, elle chante, elle écrit, c’est une femme libre. Et puis, Jules et Jim... »

Non à l’exil

Refermons ici la parenthèse pour enchaîner sur le rayonnement international exceptionnel qu’a eu Le déclin de l’empire américain. Qui a en outre valu à Louise Portal un rôle important dans Mes meilleurs copains, un long métrage que Jean-Marie Poiré (Le père Noël est une ordure, Les visiteurs) a réalisé en 1989. Cette présence dans ce film devenu culte aurait sans doute pu imposer l’actrice en France, mais ce ne fut pas vraiment le cas.

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En 2003, Louise Portal faisait partie de l’imposante délégation des Invasions barbares au Festival de Cannes. Le film de Denys Arcand a obtenu le prix du meilleur scénario et a valu à Marie-Josée Croze le prix d’interprétation féminine.

« J’avais déjà tourné là-bas Les fauves [Jean-Louis Daniel] au début des années 1980 avec Philippe Léotard et Daniel Auteuil, explique-t-elle. Au même moment, j’ai fait la première partie de Maxime Le Forestier à Bobino. Une grande agence [Artmedia] voulait me faire signer, mais je ne me sentais pas capable de m’exiler. Je suis revenue chez nous et ma vie a rebasculé. »

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Louise Portal a été la porte-parole des Rendez-vous du cinéma québécois pendant quelques années, notamment en 2003, l’année où cette photo fut prise.

« Puis, poursuit-elle, quand est arrivé Mes meilleurs copains, en 1989, je n’étais pas prête à tout quitter pour la France non plus. En fait, je me rends compte que dans ma nature de Québécoise, je n’ai jamais été prête à tout sacrifier pour la réussite, la notoriété, à vouloir la carrière internationale à tout prix. »

J’ai eu beaucoup d’ambition ; c’est d’ailleurs grâce à mon ambition que j’ai pu faire ma place à une époque où il fallait faire les démarches soi-même auprès des producteurs et des réalisateurs, mais je n’aurais pas pu faire ce que Marie-Josée Croze a fait. Et je ne regrette absolument rien.

Louise Portal

L’envie de transmettre

À 72 ans, Louise Portal estime que l’hommage que lui rendront les gens de cinéma lors du Gala Québec Cinéma, bien qu’inattendu, ne pouvait arriver à un plus beau moment.

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Louise Portal et Gilbert Sicotte sur le plateau de Paul à Québec, film réalisé par François Bouvier

« Je me sens non seulement fière, mais surtout privilégiée. J’ai tourné 47 longs métrages et 17 courts métrages, te rends-tu compte ? J’ai une belle participation dans Confessions, le film de Luc Picard [à l’affiche le 20 juillet], et j’ai aussi joué au théâtre l’hiver dernier au Saguenay. Ma carrière littéraire m’occupe beaucoup, je donne des ateliers d’écriture et beaucoup de conférences. J’essaie toujours de trouver un mot qui peut définir une décennie de ma vie et je crois que celui qui s’appliquera à mes années de septuagénaire est le mot transmission. J’en suis là. »

Le 24e Gala Québec Cinéma aura lieu le 5 juin à 20 h et sera diffusé en direct sur ICI Télé.

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