Dans Norbourg, François Arnaud enfile les habits de Vincent Lacroix, célèbre bandit à cravate, responsable de la plus grande fraude de l’histoire du milieu financier québécois. Pour un acteur qui, dit-il, a de la difficulté à « payer son bill de téléphone » lui-même tellement le monde des affaires lui paraît étranger, le défi était aussi grand que passionnant. Rencontre.

Le rendez-vous fut pris dans l’après-midi afin de lui laisser le temps de récupérer un peu. Ces jours-ci, François Arnaud tourne beaucoup la nuit, au profit de la comédie chorale 23 décembre, dont le scénario, écrit par India Desjardins, est porté à l’écran par Miryam Bouchard. « On a beaucoup de plaisir ! », souligne-t-il. Malgré cet horaire inversé, le comédien tenait à se rendre disponible aux médias pour soutenir la sortie prochaine, le 22 avril, de Norbourg.

Dans ce thriller financier, inspiré d’une affaire ayant secoué le Québec au milieu des années 2000, celui qui fut révélé grâce à J’ai tué ma mère, de Xavier Dolan, prête ses traits à Vincent Lacroix, celui-là même qui fut à la tête de la firme ayant détourné environ 130 millions de dollars. A-t-il hésité avant d’accepter ce rôle ? Oui, un peu. Mais peut-être pas pour les raisons plus évidentes.

Ce n’est pas tant l’aspect condamnable du personnage qui me faisait hésiter, mais en mon for intérieur, je me suis demandé si j’étais le bon acteur pour le jouer.

François Arnaud

L’idée me tentait, j’étais même honoré qu’on puisse penser à moi, mais je trouvais ça quand même inusité. Cela dit, travailler avec Maxime Giroux faisait aussi partie d’une envie de cinéma. J’ai vu Jo pour Jonathan à l’époque où j’étais au Conservatoire et ce film m’avait beaucoup marqué. J’avais l’impression d’un nouveau souffle dans le cinéma québécois. »

À bras-le-corps

À partir du moment où il fut convaincu de l’absence de toute glorification dans le scénario qu’a écrit Simon Lavoie, François Arnaud y est alors allé à fond et a pris le personnage à bras-le-corps. Même s’il avait de nombreux documents visuels à sa disposition, ainsi que des ouvrages sur l’affaire, notamment Autopsie du scandale Norbourg, écrit par le journaliste Yvon Laprade, l’acteur a quand même dû imaginer le Vincent Lacroix d’avant son arrestation. L’homme d’affaires a su user de son charme et de son intelligence pour rouler dans la farine des milliers d’investisseurs.

Je ne voulais pas jouer la vision de Vincent Lacroix qu’a le public. D’autant plus que dans le film, on le découvre avant qu’il se fasse prendre. Cet homme était doté d’une intelligence sociale qui lui a permis de monter très vite et très haut, avec cette capacité de s’infiltrer dans toutes sortes de cercles auxquels il n’appartenait pas.

François Arnaud

« Je suis parti des images que tout le monde connaît, alors qu’il avait la queue entre les jambes à la sortie du palais de justice, mais il a fallu ensuite m’en défaire. Parce que ce n’était pas le Vincent Lacroix dont le film avait besoin.

« Vient aussi un moment où tu te demandes jusqu’où aller dans l’imitation. J’ai beaucoup écouté ses inflexions vocales, qui ont étrangement beaucoup de similarités avec celles de… Jean Charest ! En même temps, il ne faut pas tomber dans la caricature non plus. »

Des propositions différentes

Grâce à Norbourg, François Arnaud a en tout cas l’impression d’amorcer, à la mi-trentaine, une nouvelle phase de sa carrière, dans la mesure où ce qu’on lui offre maintenant fait appel à d’autres aspects de sa personnalité de comédien. Lui qui est venu à un cheveu de décrocher le rôle de Christian Grey, dans les 50 nuances du même nom, a désormais envie de personnages plus complexes, parfois plus sombres que les héros romantiques qu’on lui a souvent proposés.

Après le Conservatoire, j’ai compris que l’intérêt à jouer les jeunes premiers était de leur trouver des défauts, des failles intérieures qui enrichissent le personnage. Avant, j’avais tendance à être un peu propre.

François Arnaud

« En fait, j’utilisais le jeu pour camoufler les aspects moins lisses de ma personne. Aujourd’hui, je m’en sers. J’ai d’ailleurs l’impression de me révéler beaucoup plus à travers les rôles que je choisis que je le fais dans la vie. C’est un bel exutoire. »

PHOTO FOURNIE PAR MAISON 4 : 3 ET ENTRACT FILMS

Christine Beaulieu et François Arnaud dans Norbourg, un film écrit par Simon Lavoie et réalisé par Maxime Giroux

S’il n’a pas été déçu du tout par la décision des producteurs de 50 Shades of Grey de choisir finalement Jamie Dornan, François Arnaud estime qu’un projet de cette nature peut aussi se traduire ensuite en une grande liberté de choix. Et même s’il a joué dans des séries américaines à succès, il indique ne pas avoir eu encore son Game of Thrones, c’est-à-dire, le genre de projet qui propulse ses artisans dans les classes supérieures.

« Je n’étais même pas sûr de vouloir me présenter à l’audition de 50 Shades of Grey. Mais ce type de projets représente quand même une opportunité de carrière. C’était surtout ça, l’intérêt. Jamie peut maintenant jouer ce qu’il veut, notamment un si beau personnage dans Belfast. »

Pas à l’abri du doute

François Arnaud n’a pas chômé au cours des années de pandémie. Revenu au Québec avant la fermeture des frontières afin de se rapprocher de sa famille, l’acteur a tourné pas moins de trois longs métrages québécois (Au revoir le bonheur, de Ken Scott, et La switch, de Michel Kandansky, en plus de Norbourg).

Il a aussi tourné à Montréal The Moodys, comédie de situation américaine diffusée par le réseau Fox, puis, à Vancouver et à San Francisco, la série Surface, dans laquelle il joue un financier d’un tout autre style que celui de Vincent Lacroix. Produite par la société que dirige Reese Witherspoon, cette série, que diffusera Apple TV+, emprunte les allures d’un thriller. François Arnaud a aussi retrouvé Neil Jordan, celui-là même qui lui a offert son premier rôle dans une série internationale – The Borgias –, pour un long métrage intitulé Marlowe. Dans ce film ayant pour cadre le vieil Hollywood, lequel compte en outre Liam Neeson et Jessica Lange parmi les têtes d’affiche, il se glisse dans la peau de l’amant disparu du personnage qu’interprète Diane Kruger.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, LA PRESSE

François Arnaud, Christine Beaulieu et Vincent-Guillaume Otis étaient présents à la première du film Norbourg, tenue à Montréal le 11 avril.

« J’y joue une espèce d’Errol Flynn avec une petite moustache, de beaux chapeaux et de belles voitures ! »

Cela dit, même après bientôt 15 ans de carrière, et les projets qui s’enchaînent, François Arnaud n’est pas à l’abri du doute, bien au contraire.

« Je ne doute pas de ma place dans ce métier, mais je sens parfois que je me perds en m’éloignant de ce qui m’intéresse vraiment, confie-t-il. Il faut alors que je me ramène. Au cours des dernières années, j’ai recommencé à lire beaucoup sur le jeu, à travailler avec des coachs. Quand tu es jeune et que tu décroches de beaux rôles, il peut s’installer une certaine forme d’arrogance qui t’amène à trop te fier sur ton instinct ou ton charisme naturel. La version de moi-même que j’ai maintenant envie de proposer est une version plus compliquée, plus complexe, plus imprévisible, plus mélangée. Je souhaite aussi, de plus en plus, offrir mon point de vue sur un personnage et c’est ce qui fut formidable avec Norbourg. Quand ton apport créatif est pris en compte, c’est plus satisfaisant que d’être un exécutant. »

Norbourg prendra l’affiche le 22 avril.

François Arnaud en 10 rôles

Avant même sa sortie du Conservatoire d’art dramatique de Montréal, François Arnaud avait déjà croisé sur sa route un dramaturge confirmé, Michel Marc Bouchard, et un jeune cinéaste avec des ambitions grosses comme une Croisette, Xavier Dolan. Retour sur quelques-uns des moments marquants d’une carrière évolutive, sans temps creux.

J’ai tué ma mère (2009)

Scénario et réalisation : Xavier Dolan

Deux ans après sa sortie du Conservatoire, François Arnaud a été révélé au monde en interprétant l’amoureux d’Hubert dans J’ai tué ma mère, le tout premier film de Xavier Dolan. « J’ai fait la rencontre de Xavier – que je ne connaissais pas du tout – quand il est venu voir la pièce de fin d’année que nous avions montée au Conservatoire. Il avait déjà son scénario en main. Même à l’écriture, on pouvait tout de suite se rendre compte à quel point son talent est exceptionnel. J’étais aussi très impressionné par son ambition, son front de beu, sa façon de foncer. J’ai tué ma mère est d’ailleurs l’un des films de Xavier que je préfère. Il a évidemment perfectionné son art depuis, et je sais que Xavier voit aujourd’hui les imperfections de ce film, mais je trouve que ce sont justement ces imperfections qui en font le charme. »

Les grandes chaleurs (2009)

Scénario : Michel Marc Bouchard

Réalisation : Sophie Lorain

Dans cette adaptation cinématographique d’une pièce de Michel Marc Bouchard, l’acteur incarne un jeune homme tombant amoureux d’une femme de 30 ans son aînée. « Je trouve ce film charmant d’un bout à l’autre. Et très tendre. J’en suis très fier et j’en garde des souvenirs incroyables, notamment une grande amitié avec Marie-Thérèse Fortin, ainsi qu’avec Michel Marc. En revoyant le film récemment, c’était un peu comme si je regardais quelqu’un d’autre. J’éprouve beaucoup de sympathie pour ce jeune homme. Je ne le percevais pas non plus comme étant un objet de désir, même si on m’a beaucoup parlé de la scène de la douche ! »

The Borgias (de 2011 à 2013)

Série créée par Neil Jordan

Une série à caractère historique où François Arnaud a interprété, pendant trois saisons, le rôle de Cesare Borgia, fils de Rodrigo, élu pape de l’église catholique sous le nom d’Alexandre VI. « Une première expérience en anglais, qui s’apparente un peu pour moi à une hallucination. J’étais terrorisé au départ par l’ampleur du projet, la perspective de donner la réplique à Jeremy Irons, de travailler sous la direction de Neil Jordan, dont j’aimais beaucoup les films. Même si j’avais déjà quelques outils en main pour exercer mon métier, c’est là que j’ai vraiment eu l’impression de l’apprendre. J’ai aussi senti le garçon devenir un homme entre la saison 1 et la saison 3. C’était comme si ma propre trajectoire avait un peu épousé celle du personnage, dans la mesure où, au début, il s’agit de quelqu’un qui essaie de faire sa place. »

The Girl King (2015)

Scénario : Michel Marc Bouchard

Réalisation : Mika Kaurismäki

Dans The Girl King (La reine-garçon), François Arnaud incarne un autre personnage à caractère historique. Il prête ses traits au cousin germain de la reine Christine, qui, au XVIIsiècle, accédera au trône de Suède après l’abdication de cette dernière. « C’était surtout une occasion de travailler de nouveau avec Michel Marc Bouchard. Mon désir de jouer dans ce film provenait principalement de cette envie, laquelle découlait d’une amitié que nous partagions depuis quelques années. Le cinéma étant avant tout le médium du réalisateur, je crois que Michel Marc a voulu aller au bout de ce projet, à sa façon, en écrivant parallèlement une pièce [Christine, la reine garçon a été créée au Théâtre du Nouveau Monde en 2012]. Et je le comprends tout à fait. »

Origami (2016)

Scénario et réalisation : Patrick Demers

Sa carrière internationale étant déjà bien amorcée, François Arnaud revient alors au Québec pour tourner un film d’auteur au destin plus confidentiel, un thriller fantastique dans lequel il campe un jeune homme ayant le pouvoir de voyager dans le temps. « Ça correspond à ce que je me suis toujours dit. C’est-à-dire faire des séries plus commerciales aux États-Unis, avec des rôles pour lesquels je dois me battre bec et ongles – je ne fais pas partie des acteurs bankable –, et accepter des rôles plus complexes au Québec dans des films d’auteur, où je peux vraiment faire un travail de composition. »

Midnight, Texas (de 2017 à 2018)

PHOTO FOURNIE PAR LE RÉSEAU NBC

François Arnaud a été la vedette de la série télévisée Midnight, Texas, diffusée aux États-Unis par le réseau NBC.

Série créée par Monica Owusu-Breen

Pendant deux saisons, François Arnaud a été la vedette de cette série dramatique surnaturelle dans laquelle il jouait le rôle du voyant Manfred Bernardo, que le fantôme de sa grand-mère incite à s’installer dans une petite ville du Texas. « On le sait, les réseaux de télévision généralistes comme NBC sont en déclin au chapitre des séries dramatiques. Celle-là était écrite par l’auteure de True Blood. Dès l’émission pilote, j’ai eu une scène de possession à jouer avec le moins d’effets spéciaux possible. J’y voyais un défi et j’ai eu beaucoup de plaisir à le relever. Le tournage a eu lieu au Nouveau-Mexique et j’ai adoré ça. J’ai même fait le trajet en voiture depuis New York. Ç’a été comme mon grand road trip américain. Que j’ai fait avec mon chien ! »

UnREAL (2018)

PHOTO FOURNIE PAR LIFETIME TELEVISION

Une scène de la série UnREAL

Série créée par Marti Noxon et Sarah Gertrude Shapiro

Dans la quatrième et dernière saison de cette série satirique sur le milieu des téléréalités, François Arnaud joue le rôle d’un jeune producteur à qui l’on confie le mandat de concevoir de nouveaux défis pour les concurrents d’une édition tout étoiles. « Je trouvais intéressante cette façon de parler de la téléréalité. Personnellement, je ne la regarde pas, à vrai dire. Pas par snobisme, mais parce que les épisodes se déroulent généralement à un rythme qui m’apparaît long et répétitif. Ça m’ennuie terriblement. En revanche, explorer les mécanismes utilisés pour ce qui est quand même devenu un véritable genre télévisuel a suscité mon intérêt. Dans cette satire, ce sont des personnages un peu machiavéliques qui tirent les ficelles. »

The Moodys (de 2019 à 2021)

PHOTO FOURNIE PAR FOX NETWORK

François Arnaud est l’une des vedettes de la série humoristique The Moodys, diffusée aux États-Unis sur le réseau Fox.

Série créée par Rob Greenberg, Bob Fisher et Tad Quill

Dans cette série inspirée d’une émission australienne, François Arnaud tient le rôle de l’un des trois fils réunis à Chicago auprès de parents très amers, à la faveur de la saison de Noël. « The Moodys emprunte pas mal plus la forme d’une minisérie. Elle est constituée de deux saisons de 6 épisodes de 30 minutes seulement. Même si l’intrigue se déroule à Chicago, tout le tournage s’est déroulé à Montréal. Cette série m’a aussi donné l’occasion de jouer avec Elizabeth Perkins qui, à mon sens, est un génie comique. Et une grande actrice. Belles rencontres avec Dennis Leary et Jay Baruchel également. Et c’est encore un réseau généraliste, Fox dans ce cas-ci, qui l’a diffusée. »

Au revoir le bonheur (2021)

Scénario et réalisation : Ken Scott

Une autre histoire de famille, dans laquelle François Arnaud a cette fois pour partenaires Patrice Robitaille, Antoine Bertrand et Louis Morissette. « Je garde de ce tournage extraordinaire aux Îles-de-la-Madeleine un souvenir exceptionnel, d’autant plus que nous sortions alors du confinement. Du pur bonheur, avec une belle gang. Quand je regarde Au revoir le bonheur, j’ai de la difficulté à me détacher du contexte dans lequel il a été tourné parce que j’ai l’impression de regarder un film de vacances ! On a travaillé, bien sûr, mais ce travail fut tellement plaisant à faire. Je suis heureux que Ken [Scott] m’ait vu dans ce personnage qui a évidemment ses zones d’ombre, mais aussi ce côté épicurien, bon vivant, un peu comme un jeune Gérard Depardieu. Ça me faisait du bien de pouvoir connecter ce personnage avec cette partie de moi-même. »

La switch (2022)

PHOTO FOURNIE PAR FILMOPTION INTERNATIONAL

Dans La switch, dont la date de sortie n’est pas encore fixée, François Arnaud incarne un soldat en choc post-traumatique qui tente de se réintégrer dans la société. Ce film est réalisé par Michel Kandinsky.

Scénario : Michel Kandinsky, Christian Martel et Nadine Valcin

Réalisation : Michel Kandinsky

Dans ce long métrage tourné à l’automne 2020 mais dont la date de sortie n’est toujours pas fixée, François Arnaud se glisse dans la peau d’un soldat en choc post-traumatique, qui essaie de se réintégrer dans la société à son retour d’Afghanistan. « C’est un rôle pour lequel j’ai beaucoup travaillé. L’histoire est véridique, inspirée de celle d’un vrai tireur d’élite. Ce personnage est complètement à l’opposé de celui que je joue dans Au revoir le bonheur. Il est incapable de parler de lui parce qu’il provient d’une culture familiale où les hommes ne parlent pas. J’ai beaucoup aimé tourner ce film pour lequel nous avons dû travailler l’accent franco-ontarien qu’on entend dans le nord de l’Ontario ! »