Plutôt que de se lancer dans un documentaire sur l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris, comme on le lui avait suggéré au départ, Jean-Jacques Annaud a préféré entraîner le spectateur dans une expérience immersive à travers une fiction basée sur les faits réels. Entretien.

Une conversation avec Jean-Jacques Annaud commence inévitablement par l’expression d’une affection profonde que le cinéaste français porte à notre coin de pays. Ce lien a été créé il y a plus de 40 ans, à l’époque où le réalisateur du Nom de la rose a vécu un bon moment en nos terres. C’était lors de la fabrication de La guerre du feu, une coproduction entre le Canada et la France, dont l’un des producteurs principaux était le regretté Denis Héroux. On comprend ainsi mieux la présence, dans Notre-Dame brûle, de personnages québécois parmi les témoins et les guides touristiques.

« J’y tenais ! insiste le cinéaste au cours d’un entretien téléphonique accordé à La Presse. J’aime tout du Québec et j’y suis profondément attaché. Il s’adonne aussi que dans l’appel que nous avons lancé pour recueillir des images inédites, captées par des gens qui étaient sur place au moment de l’incendie, un vidéaste québécois nous en a fait parvenir, d’excellente qualité. J’avais retenu ces images avant même de commencer mon film. »

Un drame très cinématographique

Notre-Dame brûle est d’abord né d’une idée de Jérôme Seydoux, président de la firme Pathé. Dans un premier temps, ce dernier a proposé à Jean-Jacques Annaud de concevoir un film documentaire à partir des images d’archives captées lors de l’incendie de Notre-Dame de Paris, survenu le 15 avril 2019. Le plus important sinistre dans l’histoire de la célèbre cathédrale, vieille de plus de 800 ans, a créé ce jour-là l’émoi partout sur la planète.

PHOTO FOURNIE PAR MÉTROPOLE FILMS

Pour Jean-Jacques Annaud, Notre-Dame brûle revêt un caractère intime et personnel.

« Quand on m’a remis la documentation, je me suis pourtant vite rendu compte qu’il valait mieux faire un long métrage de fiction, basé sur la réalité, d’autant que les éléments de cette histoire sont très cinématographiques, explique le cinéaste. Il y a là un drame incroyable, fait de tension, d’émotion, de surprise, et d’invraisemblances qui sont pourtant vraies. »

Je me suis alors lancé dans l’écriture en me basant sur ce que j’ai appris au fur et à mesure de mes recherches. J’ai lu tout ce qu’il était possible de lire sur le sujet, bien sûr, mais ce film est surtout nourri de mes rencontres avec les protagonistes de cette histoire.

Jean-Jacques Annaud

Jean-Jacques Annaud, dont le tout premier long métrage, La victoire en chantant, a obtenu en 1977 l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, a ainsi emprunté le point de vue de celles et ceux qui ont dû mettre leur vie en danger pour tenter de circonscrire ce gigantesque incendie, avec, au premier rang, les pompiers. Il convient d’ailleurs de signaler que, miraculeusement pourrait-on dire, le brasier n’a fait aucune victime.

« S’il y avait eu des morts ou des blessés graves, je n’aurais pas fait le film, absolument pas, indique le cinéaste. Nous avons tous parlé de miracle parce que, compte tenu de la gravité de cet incendie, la cathédrale aurait en principe dû s’effondrer. Or, elle est restée debout. De plus, tous les objets précieux ont été sauvés, de même que les reliques, inestimables. La totalité ! Ceux qui sont particulièrement enclins à croire aux choses surnaturelles ont de quoi nourrir leur conviction, car la statue de Notre-Dame n’a pas été touchée. Des pierres sont pourtant tombées tout autour, au milieu de poutres enflammées, et elle n’a même pas eu besoin d’être dépoussiérée ! »

Un caractère intime et personnel

Habitant non loin de la cathédrale, étant en mesure de bien suivre l’évolution des travaux parce qu’il passe devant tous les jours, Jean-Jacques Annaud évoque le caractère intime et personnel de son nouveau long métrage. « J’ai fréquenté Notre-Dame toute ma vie. Elle m’a toujours fasciné. Très jeune, je suis même allé m’inscrire à la Sorbonne pour y étudier l’histoire de l’art au Moyen Âge. »

La reconstitution de l’incendie de Notre-Dame de Paris représentait bien entendu un défi technique, mais le cinéaste rappelle avoir déjà fait face à des projets « compliqués » de ce genre.

PHOTO FOURNIE PAR MÉTROPOLE FILMS

Le récit de Notre-Dame brûle, un film de Jean-Jacques Annaud, emprunte le point de vue de celles et ceux qui ont risqué leur vie pour circonscrire l’incendie.

« J’en ai l’habitude depuis le début. Ça remonte à l’époque où, à peine sorti de l’école de cinéma, je réalisais des films publicitaires. Les décors dans Le nom de la rose étaient immenses. La bataille de Stalingrad a été reconstituée dans Enemy of the Gates, où il y avait aussi beaucoup d’effets pyrotechniques, sans oublier La guerre du feu. »

Le feu est un élément attrayant parce qu’il est à la fois beau et dangereux, un peu comme le parfait ennemi hitchcockien. Et quand il s’attaque à une grande belle dame comme Notre-Dame, vous avez déjà un scénario de film de fiction impeccable. C’est le rêve d’avoir une star internationale de cette stature, attaquée par un méchant de cette dimension et de cette férocité !

Jean-Jacques Annaud

Tourné dans les cathédrales de Sens, Amiens et Bourges, ainsi qu’à la basilique de Saint-Denis, Notre-Dame brûle a également mis à contribution les espaces des studios de Cité Cinéma, en banlieue parisienne, afin que puissent y être reconstituées les scènes d’incendie. Une partie de la cathédrale y a en outre été reconstruite à l’identique.

Oui à toutes les formes de cinéma !

Tous ces efforts ont été mis au service d’un spectacle cinématographique auquel seule la salle de cinéma peut rendre justice. S’il estime la cohabitation des différents modes de diffusion souhaitable, Jean-Jacques Annaud entrevoit l’avenir du grand écran par des productions spécialement conçues pour lui.

« L’expérience de la télévision, c’est bien, j’en ai fait, mais elle ne peut pas être immersive de la même façon que quand vous êtes entouré de 75 haut-parleurs, assis dans une salle de cinéma, soutient-il. Un film comme Notre-Dame brûle est aussi une expérience sonore. Quand on regarde les images de l’incendie à la télévision, il est difficile d’imaginer le vacarme qu’un tel brasier engendre. Je ne suis pas inquiet pour la survie des salles. Le monde a changé, on ne peut ignorer les nouveaux modes de diffusion, mais à mon avis, toutes les formes de cinéma peuvent coexister. Et c’est bien tant mieux. »

Notre-Dame brûle est présenté en salle.