Après Les frères Sisters, Jacques Audiard a eu envie d’un film très léger, plus simple à réaliser. Pour ce faire, il a porté à l’écran trois romans graphiques du bédéiste américain Adrian Tomine, qu’il a transposés dans la réalité du 13arrondissement de Paris. Exposant la vie de quatre jeunes trentenaires, Les Olympiades donne aussi l’occasion au vétéran cinéaste d’explorer un univers plus féminin. Entretien.

Quand Les Olympiades a été lancé au Festival de Cannes l’an dernier, une impression de renouvellement s’est imposée. Un peu comme si, après des longs métrages aussi marquants qu’Un prophète, De rouille et d’os ou Dheepan, qui lui a valu la Palme d’or en 2015, Jacques Audiard avait souhaité redistribuer les cartes et jeter les bases d’un nouveau cycle. Aux yeux du principal intéressé, il n’en est pourtant rien.

« Chaque fois, j’essaie de changer quelque chose, explique le cinéaste au cours d’un entretien en visioconférence accordé à La Presse. Je n’aime pas la répétition. François Truffaut disait qu’on fait toujours un film en réaction au précédent. Je ne sais pas si je suis tout à fait d’accord avec cette affirmation, mais elle a certainement du vrai. L’histoire des Frères Sisters était violente et très masculine. Quand vous vous engagez dans ce genre de cinéma, vous le faites à l’exclusion des autres, notamment des femmes. »

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Jacques Audiard sur le plateau du film Les Olympiades

Des personnages inédits

L’idée des Olympiades est venue à la lecture de romans graphiques du bédéiste américain Adrian Tomine, qu’une amie lui a fait découvrir. Jacques Audiard a été stimulé d’une façon inédite, dans la mesure où l’auteur fait évoluer dans son univers des personnages auxquels il n’aurait jamais pu penser lui-même à titre de scénariste et de cinéaste.

Nous avons choisi trois romans de Tomine et le travail d’adaptation, hormis la transposition à Paris, a été essentiellement de créer un quatrième personnage – celui du garçon – pour relier les histoires entre elles.

Jacques Audiard

Mettant en vedette Noémie Merlant, Jenny Beth, Lucie Zhang et Makita Samba, Les Olympiades suit le parcours sexuel et sentimental de quatre jeunes trentenaires, trois femmes et un homme, qui cherchent à tisser des liens en cette ère où tout relève du « j’aime » ou « j’aime pas » sur les réseaux sociaux. Le réalisateur n’a pas souhaité s’aventurer sur le terrain du portrait générationnel, mais il offre néanmoins un récit branché sur l’air du temps.

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Lucie Zhang et Makita Samba dans Les Olympiades, un film de Jacques Audiard

« Je n’ai pas la prétention de faire une analyse très informée de cette génération qui n’est pas la mienne, assure Jacques Audiard. Je trouvais intéressant d’explorer le mode de vie d’individus dans cette tranche d’âge particulière, dans ce cas-ci des gens issus d’une bourgeoisie probablement aisée, qui ont déjà vécu des choses, et qui ne répondent pas complètement aux injonctions qui leur sont faites. Ils évolueront encore un moment dans un monde plus flottant, postadolescent pour ainsi dire, même si ce n’est pas tout à fait le cas. »

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Noémie Merlant dans Les Olympiades, un film de Jacques Audiard

Céline Sciamma et Léa Mysius à l’écriture

Les romans d’Adrian Tomine étant construits autour de trois personnages féminins, Jacques Audiard a fait appel à Céline Sciamma (Portrait de la jeune fille en feu) et à Léa Mysius (Ava) pour l’écriture du scénario. Une évidence aux yeux du cinéaste, d’autant que ces deux autrices d’exception, également réalisatrices, ont enrichi le récit de leur vision.

Céline et Léa ont forcément apporté des choses originales, mais, à la fin, quand le film existe, on ne sait plus trop qui a fait quoi tellement les choses se sont bien harmonisées. Il se produit comme une espèce d’osmose dans l’écriture. J’ai beaucoup apprécié la vivacité des échanges avec elles, et leur apport toujours très pertinent sur le plan des dialogues.

Jacques Audiard

Tourné en noir et blanc, Les Olympiades offre aussi une image plus originale de la Ville Lumière. Le titre fait d’ailleurs écho à un quartier du 13arrondissement de Paris, dont les immeubles et les rues portent des noms liés à des disciplines olympiques ou à des villes ayant déjà accueilli les Jeux.

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Makita Samba, Lucie Zhang, Jacques Audiard, Jehnny Beth et Noémie Merlant lors de la montée des marches du Festival de Cannes l’an dernier, où Les Olympiades était en lice pour la Palme d’or.

« Je voulais montrer le 13arrondissement en tant qu’espace réduit et parcourable, souligne Jacques Audiard. J’ai beaucoup tourné à Paris dans ma vie. J’y vis, je connais bien ma ville, autant ses charmes et ses beautés que ses limites photographiques et photogéniques. Paris est une ville très renfermée sur elle-même, très muséale, très romantique, et, contrairement à ce qu’on pourrait croire, pas du tout facile à filmer. J’ai voulu me placer dans un quartier et le montrer comme si nous étions ailleurs, dans une autre métropole, asiatique peut-être. »

Le vrai trouble

La pensée que Regarde les hommes tomber, son premier long métrage, est à deux ans de célébrer son 30anniversaire file par ailleurs un « coup de vieux » au cinéaste.

« Quand un laboratoire m’a appelé pour le faire restaurer, c’était comme si, tout d’un coup, on me proposait une cure de Botox ! s’exclame-t-il. J’ai eu la chance de vivre une révolution dans le cinéma, une transformation absolument considérable, mais le revers est que je ne sais pas si nous en avons tiré toutes les conclusions. J’appartiens à une génération pour laquelle seule la salle de cinéma pouvait montrer les films. Les jeunes cinéastes ont probablement aujourd’hui un tout autre rapport avec les modes de diffusion. Nous sommes en période de mutation. Il y a d’un côté ceux qui veulent retenir le changement, et de l’autre des forces qui avancent, qui souhaitent des changements sans vraiment savoir lesquels. Il est là, le vrai trouble. »

Une comédie musicale… au Mexique !

Fidèle à une démarche d’où est exclue toute répétition, Jacques Audiard prépare maintenant son prochain long métrage. À la recherche d’Emilia Pérez sera une comédie musicale tournée au Mexique en langue espagnole, campée dans le monde des narcotrafiquants. On ne sait pas encore qui en signera la musique.

« Cette idée m’est tombée dessus par hasard, d’abord sous la forme d’un opéra en cinq actes, explique-t-il. J’ai d’abord écrit très vite une trentaine de pages. Et puis, l’envie de tourner une comédie musicale me trotte dans la tête depuis un bon moment, mais je ne sais pas vraiment encore ce qui m’attend. On verra bien ! »

Les Olympiades prendra l’affiche le 15 avril.