Pendant toute sa carrière, Sandra Oh a combattu les préjugés et a affiché fièrement ses racines. Prêtant sa voix à Ming, la mère de Mei, une adolescente d’origine chinoise au cœur du film d’animation Turning Red, la comédienne canadienne d’origine sud-coréenne est emballée de faire partie d’une histoire qui reflète la complexité et la force des liens entre les enfants et leurs parents dans les familles de descendance asiatique.

Un rôle à la fois, Sandra Oh a surmonté les obstacles. Elle a effectué graduellement son ascension dans une industrie peu ouverte à la diversité, jusqu’à ce qu’elle incarne la chirurgienne Cristina Yang, pendant 10 ans, dans la série télévisée Grey’s Anatomy. Elle a fait sa marque et interprète dorénavant les rôles principaux dans les séries Killing Eve (Eve Polastri) et The Chair (la directrice Ji-Yoon). Faire partie du film d’animation Turning Red, avec les sensibilités abordées et porté par un studio de la trempe de Pixar, lui a plu dès le départ.

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Dans le film d’animation Turning Red de Pixar, Sandra Oh prête sa voix à Ming, qui surveille constamment sa fille Mei, dans un excès de bonne volonté.

« Le fait que le sujet du film soit la vie vue de l’intérieur d’une fille de 13 ans, sino-canadienne, était très important pour moi », a-t-elle indiqué dans un excellent français, mais un peu rouillé, a-t-elle admis en riant. Elle n’a pas autant l’occasion de parler la langue de Molière, comme elle l’a fait pendant les trois années où elle a étudié à l’École nationale de théâtre du Canada, à Montréal, où elle a obtenu son diplôme en 1993. L’entrevue par vidéoconférence accordée à La Presse s’est ainsi déroulée à moitié en français et en anglais.

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Sandra Oh lors de la première du film à Los Angeles, le 1er mars

« La perspective asiatique est une dimension que j’apporte toujours dans mon travail, a-t-elle précisé. Je crois que Turning Red montre un point de vue qu’il est important de présenter. J’aime la relation entre Ming et sa fille Mei. Pour beaucoup d’entre nous, qui avons des origines asiatiques, l’équilibre à atteindre pour être loyaux envers nos parents et envers nous-mêmes est très délicat. L’exprimer de façon aussi accessible, par l’entremise d’un film de Pixar, est une réelle célébration. Je suis heureuse que cela survienne enfin. »

Turning Red (Alerte rouge en version française) met en vedette Mei Lee, adolescente sino-canadienne de 13 ans enjouée et sûre d’elle. Du jour au lendemain, elle ne comprend plus les émotions contradictoires et intenses qui s’emparent d’elle et l’amènent à se transformer en un panda rouge géant. Les problèmes qui déclenchent sa subite métamorphose sont au début nombreux, jusqu’à ce qu’elle apprenne à mieux gérer ses émotions, avec l’aide de ses trois inséparables amies. Sa mère, Ming, qui la surveille dans un excès de bonne volonté, exacerbe sans s’en apercevoir la situation. Elles parviennent finalement à trouver un terrain d’entente.

Regard des femmes

Turning Red se distingue de diverses façons dans la riche histoire de Pixar. L’œuvre est la première à s’inscrire dans un contexte asiatique et se passe dans le quartier chinois de Toronto, l’histoire se déroulant pour la première fois au Canada. Il s’agit aussi de la première fois qu’une réalisatrice se trouve seule à la barre d’un long métrage du réputé studio d’animation. Domee Shi s’est déjà illustrée en 2018 en devenant la première réalisatrice d’un court métrage chez Pixar, Bao, qui a remporté un Oscar. Domee Shi, qui a grandi à Toronto, a coécrit le scénario de Turning Red avec Julia Cho, et le duo a travaillé en étroite collaboration avec la productrice Lindsey Collins.

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Turning Red met en scène une adolescente qui se transforme en panda rouge géant lorsqu’elle est envahie par ses émotions.

On remarque rapidement que des femmes occupent des postes névralgiques dans chacune des séries qui ont donné l’occasion à Sandra Oh d’exprimer sa spécificité. « Shonda Rhimes pour Grey’s Anatomy, Phœbe Waller-Bridge pour Killing Eve, Amanda Peet pour The Chair, énumère-t-elle. J’ai choisi chacun de mes rôles en raison de la qualité de ce qui m’était proposé, pas nécessairement parce que des femmes étaient derrière. Je pense qu’elles avaient un personnage en tête et qu’elles m’ont choisie parce que j’y correspondais. »

« C’est quand même significatif, parce que ce sont tous des personnages féminins d’une grande profondeur, qui disent quelque chose de particulier, fait-elle remarquer. Killing Eve, par exemple, est centré sur la psyché féminine. Mes rôles ont tous été écrits par des femmes qui essayaient d’explorer quelque chose à travers les yeux de personnages féminins. C’est probablement ce qui m’a intéressée. »

Faire sa place

L’étendue de sa contribution ressort dans la série télévisée documentaire Dear… (Lettre à…), diffusée sur AppleTV+, qui lui consacre un épisode dans sa deuxième saison, en ligne depuis le 4 mars. La série présente le parcours de femmes et d’hommes d’exception qui, chacun à leur façon, ont eu une influence marquante sur la vie d’autres personnes. Tout comme Gloria Steinem, Lin-Manuel Miranda, Oprah Winfrey et Malala Youzafzai, entre autres, Sandra Oh a reçu d’émouvantes lettres de remerciement. Dans la vingtaine de minutes qui lui sont consacrées, les difficultés rencontrées pour se tailler une place, au début de sa carrière, et les répercussions de sa déclaration « It’s an honor just to be Asian », lors de la cérémonie des Emmys en 2018, sont notamment mises en lumière.

« J’étais un peu nerveuse quand on m’a approchée, avoue-t-elle. Je ne savais pas ce que j’avais à dire, mais j’ai eu 50 ans l’été dernier, et c’est un moment propice pour réfléchir. Ces lettres sont si belles et sincères. En tant qu’artiste, tu fais ton travail, en pensant que cela n’a pas trop d’importance. C’est beau de constater que cela en a. »

Pour l’instant, il est beaucoup trop tôt pour prédire l’influence du film d’animation Turning Red sur les jeunes cinéphiles, croit-elle. « Posez-moi la question dans 10 ou 20 ans, parce que l’effet ne sera pas nécessairement immédiat. Mais j’espère qu’il fera en sorte que cela devienne normal, pour mes nièces et mes neveux, de se voir à l’écran. La portée est aussi plus large. Comme on le voit dans le film, il y a une grande diversité culturelle à Toronto. C’est la mosaïque de la ville et celle du film. En tant qu’adulte, c’est excitant de voir que tu es enfin représenté. Pour les enfants, j’espère que ce ne sera plus hors de l’ordinaire. »

Turning Red (Alerte rouge) sera présenté sur Disney+ à compter du 11 mars.