Pour sa somptueuse adaptation cinématographique du roman d’Honoré de Balzac, le cinéaste Xavier Giannoli a confié le rôle de Lucien de Rubempré à Benjamin Voisin. Révélé sur la scène internationale grâce à Été 85, de François Ozon, le jeune acteur est au cœur d’un long métrage ambitieux, dans lequel ses partenaires de jeu sont Gérard Depardieu, Cécile de France, Vincent Lacoste et Xavier Dolan. Entretien.

Il y a d’abord eu l’appel de son agent. Qui lui demande s’il aurait envie de se présenter à une audition pour un film tiré d’un roman d’Honoré de Balzac. L’agent n’en sait pas vraiment plus. Pour seuls détails, il indique à Benjamin Voisin qu’il s’agirait d’un premier rôle et qu’il faudrait y aller rapidement.

« J’ai pensé qu’il s’agissait d’un téléfilm ! », confie l’acteur lors d’un entretien en visioconférence accordé à La Presse dans le cadre des Rendez-vous du cinéma français d’Unifrance. « Je n’ai eu que trois heures pour me préparer. J’ai appris le texte comme j’ai pu et j’y suis allé de façon plutôt hasardeuse. Le lendemain, Xavier Giannoli [Marguerite, L’apparition] m’a appelé et m’a invité dans un café pour m’expliquer son projet. Je m’étais présenté la veille avec une naïveté assez insouciante, sans aucune forme de pression. C’est peut-être pour ça que ça a fonctionné ! »

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Cécile de France et Benjamin Voisin dans Illusions perdues, un film de Xavier Giannoli

La nature ambitieuse du long métrage et la qualité des gens impliqués auraient sans doute pu intimider un acteur de 22 ans (au moment du tournage) qui compte à peine quelques années de métier. Or, Benjamin Voisin a sciemment trouvé une façon de ne pas se laisser trop envahir par ce genre de sentiment.

« J’ai fait en sorte que cette pression nouvelle s’efface. C’est un peu comme si j’avais voulu rester dans l’optique d’un modeste téléfilm et que tous ces monstres d’acteurs avec qui je devais jouer n’y étaient pas. Il m’a fallu les désacraliser en quelque sorte. Et faire comme si je ne voyais pas non plus les châteaux et les 500 figurants qui arrivaient tous les jours.

Cela dit, cette énergie se transforme rapidement en excitation chez moi. Je ne suis pas un énorme angoissé de nature.

Benjamin Voisin

Grâce à Alfred de Musset…

Illusions perdues a obtenu 15 sélections en vue de la prochaine cérémonie des Césars du cinéma français. Tout comme l’an dernier, alors qu’Été 85 lui avait valu d’être cité, l’acteur est en lice cette année dans la catégorie du meilleur espoir masculin.

Né dans une famille où le théâtre était très présent, Benjamin Voisin a trouvé sa vocation à l’adolescence. Il a d’abord goûté au plaisir des planches avant que le cinéma s’empare de lui.

« Quand, pour la première fois, je me suis retrouvé sur une scène à dire des mots d’amour tirés d’une pièce de Musset, quand j’ai vu le regard du public sur moi au moment où je les jouais, je me suis dit : “Eh bien dis donc ! Et on peut vivre de ce métier ?” Maintenant, le cinéma a pris une place considérable dans ma vie. Je l’apprécie d’autant plus que je constate humblement qu’on m’offre de beaux rôles et que ce n’est pas donné à tout le monde. Je reste quand même toujours très proche de mes racines théâtrales. Molière et Racine ne sont jamais loin, et je lis souvent aussi les pièces d’auteurs contemporains. »

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Benjamin Voisin et Vincent Lacoste dans Illusions perdues, un film de Xavier Giannoli

À l’adolescence, l’acteur appréciait particulièrement lire les œuvres de Marcel Proust et Louis-Ferdinand Céline. Honoré de Balzac ? Un peu moins…

À l’époque, je n’aimais pas sa vision du monde, trop cynique, trop austère à mes yeux de jeune homme de 16 ou 17 ans. En vieillissant, Balzac m’intéresse davantage parce que je le comprends mieux.

Benjamin Voisin, à propos d’Honoré de Balzac

Dans Illusions perdues, Benjamin Voisin se glisse dans la peau de Lucien de Rubempré, jeune provincial épris de gloire littéraire, qui monte à Paris grâce à la bienveillance d’une protectrice. Campé à l’époque de la Restauration, au début du XIXe siècle, le récit relate le parcours malheureux du jeune poète inconnu, confronté à un monde désormais voué à la loi du profit et des faux-semblants. Tout s’achète et tout se vend dans tous les domaines, à commencer par les milieux littéraires, journalistiques et politiques.

Alimenter le regard

En guise de préparation, Benjamin Voisin a dépassé de loin la simple maîtrise de la lecture du scénario qu’a écrit Xavier Giannoli.

« N’étant pas très bavard, Lucien est beaucoup dans l’écoute et dans la tentative de compréhension de tout ce qui l’entoure. Ces choses à jouer n’étant pas tellement écrites, je me suis dit qu’il valait mieux essayer d’alimenter mon regard, mon imaginaire. J’ai lu beaucoup pour ensuite mieux mettre tout ça de côté, une fois intégré. J’ai aussi beaucoup fréquenté une exposition sur le romantisme au Musée du Petit Palais. J’ai tenté de voler un peu le regard de ces jeunes éphèbes qu’on voyait dans les tableaux des années 1830. Leur posture est très tendue, mais leur œil est très juvénile en même temps. J’aimais cette apparente contradiction. »

L’acteur avait déjà goûté à l’expérience du film historique en tenant un petit rôle dans The Happy Prince, une réalisation de Rupert Everett. Cette dynamique particulière lui plaît d’ailleurs bien.

Dans Illusions perdues, mon travail était de faire de Lucien de Rubempré un personnage contemporain, qui peut parler au public d’aujourd’hui. Le souci de la reconstitution appartenait totalement au cinéaste. Quand un film d’époque transcende son histoire pour la faire résonner dans la nôtre, je trouve ça sublime.

Benjamin Voisin

« Un grand film »

Et Xavier Dolan dans tout ça ?

« Xavier est devenu un ami. J’ai beaucoup apprécié le fait que cette rencontre soit celle de deux acteurs et non celle d’un metteur en scène et d’un acteur. Je n’étais pas là pour qu’il me donne un rôle dans son prochain long métrage et il n’était pas là pour me dire qu’il aimerait bien m’offrir un rôle non plus. Sur le plateau, Xavier était d’une intensité d’acteur tellement vraie que je lui ai dit qu’il fallait absolument qu’il continue à jouer. Ses films seront encore meilleurs au fil de ses rencontres avec d’autres cinéastes. »

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En plus d’en assurer la narration, Xavier Dolan tient un rôle dans Illusions perdues, un film de Xavier Giannoli.

Très fier d’avoir eu la chance d’être de cette aventure, Benjamin Voisin ne pouvait être plus ravi quand il a vu Illusions perdues pour la première fois.

« Je ne pourrais pas appeler ça un chef-d’œuvre parce que j’y suis collé de trop près, mais j’ai senti qu’il y avait là un très grand film. J’ai aussi eu une pensée pour mes grands-parents. Ils ont eu l’occasion de voir leur petit-fils jouer un personnage qu’ils ont étudié plus que nous à l’école ! »

Illusions perdues prendra l’affiche en salle le 25 février.