Auteur de trois documentaires sur Serge Lemoyne, Gérald Godin et Gaston Miron, le cinéaste Simon Beaulieu change complètement de registre. Avec Le fond de l’air, film-essai, film-manège, film d’épouvante, il nous immerge, corps et âme, dans différents éléments dont la combinaison menace l’équilibre planétaire. Entrevue.

Le fond de l’air traite d’un sujet très présent dans l’actualité, mais dans un angle très singulier. Comment le projet s’est-il imposé ?

Dans les dernières années, je me suis intéressé aux changements climatiques, à l’astrophysique, des choses comme ça. Je me suis mis à lire là-dessus et j’ai trouvé la situation renversante avec tous ces chiffres sur la disparition des espèces, de la biomasse des individus, de la diversité. J’étais sidéré de voir l’humain détruire son propre milieu de vie, et ce, en dépit de tout ce qui s’est écrit sur le sujet. Je me suis alors dit : mais pourquoi on continue ? Pourquoi on continue !

Bien des documentaires ont abordé la question. Qu’avez-vous voulu apporter de différent ?

Je me suis dit que je ferais un film qui est proche du jeu vidéo et dont la caméra subjective est sans vision périphérique. Avec ce type de caméra, le monde autour de soi n’existe pas. Donc les personnages sont isolés. Chacun vit alors dans sa bulle et la société est atomisée, fragmentée.

Ce n’est pas un film facile. Il est visiblement fait pour nous plonger tête première dans la menace des changements climatiques ?

’est une bibitte, un ovni, un film d’exploration ! Surtout, c’est un film conçu pour la salle. On joue sur le sentiment immersif, avec le scintillement, la pertinence rétinienne. Ça se passe aussi au niveau du son. Nous avons beaucoup travaillé sur les basses fréquences et cela donne l’impression, en salle, que le son nous écrase. En fait, ce film est construit comme un manège.

Outre le sujet, vous aviez un grand désir de liberté formelle ?

Tout à fait ! C’est une évolution naturelle. Avec les films sur Lemoyne et Godin, j’étais dans une forme plus classique. Avec Miron, j’étais déjà dans quelque chose de plus éclaté. Dans Le fond de l’air, je me suis questionné, avec la productrice de l’ONF [Nathalie Cloutier], sur la façon de transcrire en langage cinématographique le sentiment qui nous habitait. Autrement dit, nous avons réfléchi sur la rencontre entre le fond et la forme. C’est un luxe de choisir cette liberté formelle. Mais on prend des risques. Pour certaines personnes, ça peut être très déstabilisant. Mais le résultat ressemble à ce qu’on voulait faire.

Le film se passe à plusieurs endroits dans le monde sur un scénario récurrent : métro-boulot-dodo dans un climat de surinformation. Mais le narrateur silencieux, qui filme tout, croise un poursuivant fantomatique. Est-ce sa conscience ?

Il y a un côté gamin, adolescent, que j’aime bien dans le film. Autrement, le film serait trop coincé. Oui, ça peut être la conscience, mais ça peut être autre chose aussi. Ce personnage incarne clairement une menace. Est-ce la conscience ? La négation ? La trame du film est très simple : des gens se réveillent et leurs appareils électroniques leur annoncent la fin du monde. Un de nos modèles est Christine, de Stephen King, où la radio s’allume toute seule et la voiture devient presque vivante.

Le film dénonce une situation, mais ne cherche pas à apporter de réponses ?

Non. Je voulais transmettre un sentiment. C’est comme lorsqu’on écoute de la musique ou qu’on regarde une peinture sans être dans une optique didactique ou dans l’attente d’une réponse. Je voulais juste placer le spectateur au cœur d’une expérience qui allait lui faire sentir un sentiment semblable à ceux qu’il éprouve au quotidien par rapport à la menace climatique et la surinformation. Pour moi, le cinéma est mieux d’amener une bonne question qu’une mauvaise réponse.

En salle le 18 février