Une sirène à Paris est une fantaisie issue d’une période sombre qu’a traversée la Ville Lumière sur le plan collectif, mais aussi d’une épreuve à laquelle Mathias Malzieu a dû faire face sur le plan personnel. Dans une démarche artistique où musique, écriture de romans et cinéma s’entremêlent, le leader du groupe Dionysos a eu envie de s’enchanter en racontant l’histoire d’une sirène. Entretien.

Campé dans un décor sans âge, Une sirène à Paris relate le parcours d’un crooner au cœur brisé (Nicolas Duvauchelle) qui s’est juré de ne plus jamais tomber amoureux. Sa volonté est mise à rude épreuve le jour où, après une crue inhabituelle, il recueille au pied de sa péniche cabaret une sirène (Marilyn Lima). Il appert que dès qu’elle chante, cette créature irréelle fait exploser le cœur de ceux qui pourraient y être sensibles.

On retrouve plus rarement ce genre de films dans le cinéma français, autant sur le plan de la forme que du fond. Comment est née l’idée de ce long métrage ?

Cela remonte à l’époque où je suis sorti de deux ans de rééducation après avoir subi une greffe de la moelle osseuse. Il se trouve que c’est à ce moment que sont survenus à Paris l’attentat du Charlie Hebdo et, quelques mois plus tard, celui du Bataclan. Je ne suis pas un Parisien d’origine, mais je vis à Paris depuis plusieurs années. Malgré l’atmosphère lourde qui pesait sur la ville, je trouvais que son caractère magique restait intact chaque fois que je traversais la Seine. Je voulais trouver une façon d’y faire écho, de mettre du merveilleux dans notre monde malgré les drames que nous avons vécus. Mais il fallait trouver la manière.

Comment y êtes-vous parvenu ?

En 2016, le niveau de la Seine est monté de six mètres, au point où les eaux ont inondé les quais. On pouvait voir des poissons échoués sur les berges et des canards se promener au milieu de la route près de Notre-Dame. Ça a foutu tout un bordel, mais c’était quand même magique. L’évènement ayant frappé l’imagination, des artistes ont notamment fabriqué une baleine géante, comme si elle s’était échouée elle aussi. C’est là que j’ai imaginé cette histoire de sirène. Comme j’étais animé d’une envie de rattraper le temps perdu, j’ai tout écrit en même temps : le roman, le disque et le scénario du film.

PHOTO JOEL SAGET, ARCHIVES AGENCE FRANCE PRESSE

Mathias Malzieu, réalisateur

Vous avez d’abord publié le roman Une sirène à Paris, l’album Surprisier, conçu avec votre groupe Dionysos en vue du long métrage, a ensuite été mis en marché, et, enfin, le long métrage a pris l’affiche. Vous aviez procédé un peu de la même façon pour Jack et la mécanique du cœur, un long métrage d’animation qui a marqué vos débuts à titre de cinéaste. Vous ratissez toujours aussi large quand vous pensez à un projet artistique ?

Il est vrai que j’aime travailler en synergie. Celle d’Une sirène à Paris s’est mise en place pendant quatre ans. C’était passionnant. J’avais l’impression de fabriquer tout un petit monde moi-même. J’ai tendance à faire des liens et je vois tout en même temps, ce qui n’est pas qu’un avantage, car je peux rarement voyager léger, si j’ose dire. Sorti en 2019, le livre a eu droit à une vraie vie, mais à cause de la pandémie, nous n’avons pas pu partir en tournée avec l’album. Quant au film, il est resté à l’affiche trois jours en France avant que les salles ferment leurs portes.

À l’étape de l’écriture d’un roman à caractère fantastique, il n’y a aucune limite à l’imagination. En revanche, l’écriture d’un scénario comportant des scènes qui, plus tard, devront prendre vie de façon concrète – avec les moyens dont on dispose – se révèle-t-elle beaucoup plus contraignante ?

L’approche est tout à fait différente, en effet. Je vis la même chose quand j’écris des chansons qu’il faut ensuite adapter pour la scène. Il faut alors faire des choix. Certaines scènes du livre n’ont pu être transposées dans le long métrage parce qu’elles étaient beaucoup trop élaborées. Si nous en avions eu les moyens, le film aurait sans doute été plus spectaculaire, mais pas nécessairement mieux. J’aime ce mélange d’ambition et d’intimisme. J’apprécie autant les grands spectacles à la Star Wars que les films à la John Cassavetes. L’idée de faire entrer une sirène dans la vie d’un mec qui, à la mi-quarantaine, ne veut plus jamais tomber amoureux me permettait d’explorer la notion du réalisme magique. Et de faire écho à l’aspect poétique de Paris. Une sirène à Paris est un conte pour adultes.

PHOTO FOURNIE PAR FILMOPTION INTERNATIONAL

Marilyn Lima et Nicolas Duvauchelle dans Une sirène à Paris

Vous vous êtes d’abord fait connaître en tant que leader du groupe Dionysos au milieu des années 90 et vous avez ensuite publié des romans. Le cinéma semble être arrivé plus tard dans votre vie. Est-ce exact ?

Pas vraiment. La musique, l’écriture et le cinéma sont arrivés en même temps. Je me suis d’abord passionné pour le rock indépendant tout en m’intéressant aux auteurs de la Beat Generation. Puis, j’ai découvert les films d’Emir Kusturica et de Jim Jarmusch. Le vent de liberté et d’humour qu’on y trouvait m’a marqué. À l’époque, je faisais mon bac économique – cela me passionnait très peu – et j’ai décidé de plutôt partir en fac de cinéma. J’ai alors commencé à écrire, j’ai fondé Dionysos, et tout s’est entremêlé. Boulimique de tout, j’allais voir plein de trucs, plein de films, beaucoup de concerts, j’achetais plein de disques. Ce fut très formateur. Mon désir de chanson, d’écriture et de cinéma fut scellé à jamais.

Quel est votre état d’esprit au moment où le monde amorce son processus de déconfinement ?

Je viens de terminer l’écriture d’un nouveau livre que j’aimerais porter à l’écran. Cela dit, je ne veux pas repartir de la même manière, ni dans le même état d’urgence qui m’habitait au moment où je me suis lancé dans le projet d’Une sirène à Paris. Comme le film est sorti en salle en France – même très brièvement – il doit respecter la chronologie des médias et ne peut être offert sur les plateformes tout de suite. Vu le contexte, j’aurais aimé qu’on puisse accélérer les choses. Je suis ravi qu’il sorte sur grand écran au Québec, où j’ai toujours été accueilli magnifiquement.

Une sirène à Paris prendra l’affiche en salle le 18 juin.