Depuis 2017, la minorité musulmane des Rohingya est victime d’actes génocidaires en Birmanie. Par centaines de milliers, ils ont fui le pays pour le Bangladesh. Quelque 700 000 d’entre eux sont entassés dans un camp sur 13 kilomètres carrés où ils sont laissés pour compte. Avec le photographe Renaud Philippe, les cinéastes Mélanie Carrier et Olivier Higgins s’y sont rendus. Le documentaire qu’ils en ont tiré, Errance sans retour, illustre autant cette tragédie que la vie qui bat en dépit des drames humains.

Où placer Renaud Philippe dans l’équation ? Il semble jouer un rôle central.

Olivier Higgins : C’est son univers. Il documente les camps de réfugiés et les populations vulnérables depuis des années et il était allé à celui de Kutupalong en février 2018. Mélanie a vu un de ses statuts sur les médias sociaux et s’est demandé si nous pouvions faire quelque chose.

Mélanie Carrier : Dans son statut, Renaud disait ne jamais avoir vu une crise d’une telle ampleur. Lorsqu’il est revenu, on lui a proposé de réfléchir à un projet commun. À la suite d’une campagne de sociofinancement, ce projet a pu commencer.

À vos yeux, ce camp et le sort des Royingha a-t-il été oublié par les médias et l’Occident ?

Mélanie Carrier : Complètement ! Je pense qu’on en a un peu plus parlé en Europe. Lorsqu’on en parle, c’est toujours à travers des clips. Nous nous sommes demandé comment il était possible d’être si ignorants de cette situation et comment apporter notre voix dans cette cacophonie par notre média, le documentaire. D’autant qu’avec la COVID-19, les communications sont difficiles et on ne sait pas vraiment ce qui se passe dans le camp.

Parlez-moi de cette rencontre avec Kalam, le personnage central du film. Qui est-il et comment le décrire ?

Olivier Higgins : C’est quelqu’un de très curieux, très débrouillard. Il veut trouver sa place et faire des choses pour les siens comme pour lui. Il a appris l’anglais et va vers les médias pour se proposer comme traducteur. Il est jeune et proactif. Il est engagé pour aider les siens.

Mélanie Carrier : Il exprime aussi sa sensibilité à travers sa poésie. Nous avions envie d’aborder cette approche poétique. Pour le film, nous lui avons demandé s’il voulait écrire un poème qui parle de l’amour, de la liberté. Il embarque dans tout et a une résilience incroyable.

PHOTO RENAUD PHILIPPE FOURNIE PAR SPIRA

Des enfants attendent dans une file d’attente pour accéder à une distribution alimentaire dans le camp.

Justement, ces mots de lui qu’on entend, les a-t-il tous écrits ou lui avez-vous passé des lignes ?

Olivier Higgins : Kalam a ses poèmes qu’on entend dans le film. Il parle de l’amour, de la famille. Et pour que son histoire soit le fil d’Ariane du film, nous lui avons envoyé une liste de questions auxquelles répondre. Ce qu’on entend est un amalgame des deux.

En dépit de la pauvreté et la détresse, il semble régner un calme et même une certaine douceur dans le camp. Est-ce réel ou un choix éditorial ?

Mélanie Carrier : Ce qui est magique avec l’enfance, c’est que même dans des conditions aussi abominables, cette étincelle de naïveté existe encore. On souhaitait que ces rayons de soleil qui sont véritables transpercent le film de temps à autre.

Olivier Higgins : Il y a une dualité dans le camp, entre ces moments paisibles, qui sont véritables, et d’autres moments plus agités, notamment dans des sections plus denses. Un enfant pleure, un camion passe et klaxonne, les poules passent, un monsieur crie. Cette dualité, ce paradoxe, nous voulions les faire sentir.

D’un documentaire à l’autre, quelle est la constance dans vos films ?

Mélanie Carrier : C’est le fait de s’attarder à l’autre. La ligne directrice de notre film précédent, Québékoisie, était que la vie n’existe pas dans les molécules, mais dans les liens entre elles. Ce qui est fondamental dans tout ce que nous avons fait depuis nos débuts dans le documentaire est de s’intéresser à l’autre et à son histoire.

Olivier Higgins : Lorsqu’on rencontre quelqu’un, il faut s’attarder à son histoire, mais encore là, il peut être difficile de comprendre à quel point l’histoire de cet interlocuteur peut être tragique.