Cinq ans après avoir évoqué la vie de Jacqueline Kennedy-Onassis dans Jackie, Pablo Larraín s’attaque à une autre icône dans Spencer. À ses yeux, l’histoire tragique de la princesse Diana, incarnée par Kristen Stewart dans son long métrage, revêt un caractère universel, même si, dans les faits, cette femme demeure toujours mystérieuse, 24 ans après sa mort. Nous avons pu nous entretenir en visioconférence avec le cinéaste chilien.

Question : Lors d’une entrevue qu’elle nous a accordée récemment, Kristen Stewart a confié ne pas avoir été en mesure d’évaluer ses capacités à tenir le rôle de Diana lorsque vous le lui avez proposé. Qu’avez-vous vu en elle qu’elle ne pouvait pas encore voir elle-même ?

Réponse : Je trouve le mot « capacité » intéressant. Cela réfère selon moi à une façon de bouger, d’avoir le bon accent, d’essayer de faire en sorte qu’il y ait une certaine ressemblance physique. À mes yeux, l’élément le plus important ne relève pourtant pas vraiment de la capacité, mais plutôt de ce que tu peux charrier avec toi, ou pas. Je crois que Diana était une personne éminemment mystérieuse. Et même si j’ai beaucoup lu sur elle et que je me suis documenté, je ne sais toujours pas qui elle était vraiment. Ce genre de mystère doit être joué, évoqué. Quand j’ai vu Kristen dans quelques films que j’ai beaucoup aimés, mon intuition m’a dit qu’elle pouvait le faire. L’idée qu’elle puisse devenir Diana était stimulante.

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Pablo Larraín lors d’une projection spéciale de Spencer, organisée par la Directors Guild of America le 26 octobre à Los Angeles

Q : Au cours de cette interview, Kristen Stewart a aussi révélé qu’étant donné son absence de repères, elle vous faisait entièrement confiance. Elle a accepté de jouer Diana parce que le rôle la terrifiait – c’est un grand défi d’actrice – et parce que vous, de votre côté, étiez sans crainte…

R : C’est drôle parce que, au départ, j’avais plutôt l’impression que c’était elle qui était sans crainte et moi qui avais peur. Dans les faits, nous avions peur tous les deux. D’une certaine façon, nous nous sommes aidés mutuellement en nous montrant l’un à l’autre sous un jour qui inspirait confiance !

Q : Vous êtes né et avez grandi à Santiago, au Chili. Quand la princesse Diana est morte dans ce tragique accident de voiture dans le tunnel sous le pont de l’Alma à Paris en 1997, vous aviez 21 ans. Quelle était votre vision de la famille royale britannique à l’époque ?

R : Il est certain que nous en étions probablement plus détachés que les Britanniques ou ceux vivant dans un pays faisant partie du Commonwealth. Mais l’histoire de Diana est universelle parce qu’elle fait partie de la mythologie mondiale. Ma mère était complètement fascinée par elle. Quand Diana est morte, elle en a vraiment eu le cœur brisé. Je me suis alors rendu compte qu’il y avait des millions de gens aussi touchés et émus que ma mère. Comme cinéaste, je trouvais intéressant d’essayer de comprendre comment une femme ayant grandi dans des circonstances exceptionnelles, qui ne pourraient être plus éloignées de notre réalité, pouvait créer un tel courant empathique, partout dans le monde.

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Pablo Larraín et Kristen Stewart ont lancé Spencer à la 78Mostra de Venise au début du mois de septembre.

Q : Parlant de votre mère, vous avez déclaré à la Mostra de Venise [Spencer était en lice pour le Lion d’or] avoir voulu faire un film qu’elle pourrait enfin aimer, et vous avez précisé que plusieurs de vos œuvres précédentes ne lui ont pas plu. Qu’en est-il deux mois plus tard ?

R : Je n’ai pas encore eu l’occasion de retourner à la maison, mais j’ai hâte d’aller le lui montrer moi-même, très bientôt. Mais je ne peux pas prévoir sa réaction. Avec les mères, on ne sait jamais [rires] ! J’ai par ailleurs été heureux de l’accueil à Venise. Le film a attiré l’attention et si cette attention peut inciter des gens à aller le voir sur grand écran, tant mieux. Les gens retournent dans les salles maintenant. On espère tous retrouver un peu de normalité.

Q : Pourquoi Diana a-t-elle tant frappé notre imaginaire collectif d’après vous ?

R : Diana était une femme ordinaire, plongée dans des circonstances totalement inhabituelles. Nous pouvions tous nous identifier à ce qu’elle vivait en nous imaginant nous-mêmes dans sa situation. La rupture, la famille, les enfants, son idée de l’amour et du désir, ce sont toutes des choses finalement communes à nos vies. Les gens appréciaient sa simplicité, son empathie.

Q : Dans Spencer, on voit Diana porter une casquette aux couleurs de la police provinciale de l’Ontario (Ontario Provincial Police – O. P. P.). Plusieurs spectateurs canadiens s’interrogeront sans doute là-dessus…

R : Mais c’est que Diana l’a portée très souvent, pour vrai ! Elle la portait dans les endroits publics quand elle voulait passer incognito. Il existe plusieurs photos d’elle – dans un aéroport par exemple – où elle porte cette casquette. On n’a rien inventé. Nous avons même fait des essais avec des casquettes sans logo, mais nous sommes finalement revenus à celle de l’O. P. P. Parce que c’était la vraie affaire !

Spencer est à l’affiche en salle.