À l’âge de 19 ans, Suzanne Lindon a porté à l’écran un scénario qu’elle avait écrit… quatre ans plus tôt. Ce premier long métrage, où, en plus de signer le scénario et la réalisation, elle tient le rôle principal, faisait partie l’an dernier de la sélection officielle du Festival de Cannes. Entretien.

Oui, elle est la fille de parents célèbres : Sandrine Kiberlain et Vincent Lindon. La vocation d’actrice ne fait aucun doute dans l’esprit de Suzanne Lindon, même si son parcours de scénariste et de réalisatrice est plus inattendu.

« Mon envie première est d’être actrice », a confié la jeune femme au cours d’un entretien réalisé en visioconférence dans le cadre des Rendez-vous du cinéma français d’Unifrance, tenus il y a quelques mois. « Comme mes parents sont des acteurs, je me suis dit que pour me sentir légitime de jouer, il me semblait devoir faire quelque chose d’un peu plus particulier pour ma première fois, à ma façon. C’est là que je me suis dit que je pouvais peut-être m’écrire un rôle que j’aimerais jouer, dans une histoire que j’aimerais interpréter. Petit à petit s’est construit un film que j’ai eu envie de réaliser, mais en vérité, la vocation première n’a été ni d’écrire ni de mettre en scène, mais de jouer. Ce désir a entraîné tout le reste. »

Un scénario inchangé

Dans Seize printemps, Suzanne Lindon incarne une adolescente un peu hors du temps, fascinée par le théâtre, qui s’engage dans une relation amoureuse platonique avec un acteur (Arnaud Valois) ayant deux fois son âge. Sujet délicat que la réalisatrice sublime en utilisant notamment la danse, histoire de faire écho à un éveil sentimental qui ne peut encore vraiment s’exprimer. Fait inusité, le scénario que Suzanne Lindon a écrit à l’âge de 15 ans n’a pratiquement pas été modifié au cours des quatre années ayant séparé l’étape de l’écriture de celle du tournage.

« Quand on écrit un film, ou même quand on y joue, on part toujours de soi, fait-elle remarquer. Ensuite, l’objectif est de déguiser ce qu’on est et d’apporter de l’invention, des éléments de fiction pour élaborer un film qui, sinon, serait du documentaire. Comme j’ai grandi avec ce projet dans la tête depuis l’âge de 15 ans, beaucoup de choses autour de moi ont bougé, mais jamais cette histoire. Je ne peux pas dire si je suis contente de ce que j’ai fait – c’est trop dur –, mais j’ai grandi avec ce film, qui m’appartient et qui me ressemble à tous les âges. Je crois que la vie est bien faite et que je l’ai réalisé au bon moment. Ni trop tôt ni trop tard. »

Aucun marqueur d’époque

Le portrait de l’adolescence que propose Suzanne Lindon dans son long métrage ne s’inscrit pas dans une temporalité précise. Une partie de la presse française lui a d’ailleurs reproché sévèrement ce décalage, dans un film où l’on évoque Boris Vian, où l’on entend des chansons de Christophe, et où l’on voit une affiche de Suzanne, premier titre d’À nos amours, que Maurice Pialat a réalisé il y a maintenant près de 40 ans. Autrement dit, aucun signe de modernité ne vient s’infiltrer dans l’univers de cette jeune fille qui, pourtant, vit bel et bien à notre époque.

PHOTO FOURNIE PAR AXIA FILMS

Suzanne Lindon dans Seize printemps

« Je suis née en 2000, explique la réalisatrice. Les chansons de Christophe comportent quelque chose de très romantique et de sentimental, aussi dans les sonorités. Leur aspect brumeux et mélancolique cadrait bien avec ce que j’avais envie de raconter. L’une des choses les plus importantes pour moi était justement de ne pas dater le film, qu’il n’ait pas de marqueur d’époque. Il n’y a pas de téléphones portables, pas d’ordis ni même de mots trop modernes. Je voulais montrer que l’adolescence et le sentiment amoureux sont des choses universelles qui traversent les époques et les traverseront toujours, ce qui, finalement, est assez rassurant. Je souhaitais également que les gens de toutes générations puissent s’identifier aux personnages. Cette volonté était très franche. »

À une époque où la tendance est de tout verbaliser, Suzanne Lindon a également fait le pari de laisser plutôt parler ses images, comme une façon d’utiliser un langage où la parole se fait plus rare.

« Au cinéma [en tant que spectatrice], je préfère qu’on me laisse un espace afin que je puisse m’approprier l’histoire. Les grandes rencontres que j’ai faites dans ma vie se sont passées autrement que par la parole. J’avais besoin d’évoquer une rencontre amoureuse de cette façon. Quand est venu le moment de trouver du financement, les gens étaient d’ailleurs un peu surpris, car à la lecture du scénario, il y a finalement peu de choses auxquelles on peut se raccrocher. Seize printemps est un film qui prend vie quand on le visualise. J’avais envie qu’il soit vierge de tout commentaire. »

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Arnaud Valois et Suzanne Lindon dans Seize printemps

Mener la danse

Sur le fait qu’au cœur de son film se trouve une relation entre une jeune fille et un adulte, Suzanne Lindon affirme qu’il était important pour elle d’en illustrer clairement le caractère platonique, et d’indiquer qu’aucun abus, de quelque nature que ce soit, ne s’immisce dans ce lien.

« Comme cette relation est platonique, il me fallait montrer que c’est Suzanne qui mène la danse, ajoute la réalisatrice. C’est elle qui voit Raphaël [le personnage qu’interprète Arnaud Valois], c’est elle qui le choisit. Il était très important pour moi que tout parte d’elle. La relation est très respectueuse, très saine, très pudique. J’avais envie de montrer un rapport amoureux entre deux personnes d’âges différents, qui en sont pourtant au même point de leur vie, sans que l’un abuse de l’autre, sans qu’il y ait aucun rapport de force entre eux, ni d’emprise ni de pouvoir. »

Seize printemps prendra l’affiche en salle le 13 août.