Pour La nuit venue, son premier long métrage, le cinéaste français Frédéric Farrucci s’est plongé dans les atmosphères du film noir pour écrire une histoire de crime et d’amour aux résonances politiques. Camélia Jordana a tout de suite suivi le cinéaste dans ce film qui fait écho à un monde parisien méconnu.

Tout est parti d’une histoire d’amour que le coscénariste de La nuit venue a vécue avec une stripteaseuse. En entrant dans le monde de la jeune femme, il a en outre découvert que la plupart de celles qui exercent ce métier ont un chauffeur de nuit régulier. De là est née l’idée d’écrire une histoire nocturne, campée dans un milieu particulier, construite autour de la communauté chinoise de Paris.

« J’adore la nuit parisienne, quand la norme rencontre la marge », a expliqué Frédéric Farrucci au cours d’un entretien virtuel accordé à La Presse dans le cadre des Rendez-vous du cinéma français d’Unifrance.

« La nuit, on fait des rencontres qu’on ne peut pas faire le jour. En enquêtant, nous sommes tombés sur une légende urbaine tenace : celle voulant qu’on trouve la nuit de faux chauffeurs de taxi chinois qui feraient partie du crime organisé. Ça ne s’est jamais confirmé, mais je trouvais là une belle possibilité de scénario, qui me permettait d’allier le cinéma noir au thème de l’immigration clandestine, qui m’intéresse beaucoup. Les immigrés sont de plus en plus mal accueillis en France, un pays qui s’est pourtant bâti sur la mixité. Je vois cela comme une trahison. Cela me trouble beaucoup. »

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Camélia Jordana et Guang Huo dans La nuit venue, un film de Frédéric Farrucci

Cette idée a aussi donné l’occasion au cinéaste, né en Corse, de filmer Paris d’une façon inédite, de créer des atmosphères et de présenter à l’écran une communauté qu’on voit rarement sur les écrans français.

« La communauté chinoise est pourtant très présente et très soudée à Paris, observe-t-il. Peut-être à cause de sa discrétion, on se permet de l’ignorer complètement ou de lui faire subir un racisme bon teint. »

À la recherche d’un acteur

Le personnage de Jin, autour duquel est construite l’histoire de La nuit venue, est un jeune immigré sans papiers, chauffeur soumis à la mafia chinoise depuis son arrivée en France cinq ans plus tôt. Ce dernier, aussi DJ, veut régler sa dette envers ses patrons le plus rapidement possible en multipliant les heures de conduite. Trouver l’acteur qui pourrait incarner le jeune homme n’a pas été simple. Il aura fallu y mettre beaucoup de temps, au point que la production commençait franchement à désespérer. Guang Ho, qui tient le rôle, fait ici ses débuts à l’écran.

« Nous avons pratiquement trouvé Guang Ho dans la rue ! rappelle le cinéaste. Évidemment, nous avons d’abord fait des essais avec plusieurs acteurs français d’origine chinoise, mais leur côté trop européen me gênait. Comme nous n’avions pas les moyens d’aller rencontrer des acteurs en Chine ou de les faire venir de là-bas pour une audition, nous avons eu recours à un casting sauvage. »

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Frédéric Farrucci

Quand Guang Ho est arrivé, j’ai tout de suite vu ce dont je rêvais pour ce personnage : la plastique, le côté taciturne, l’aspect mystérieux, la façon de se déplacer, de bouger… Il s’est trouvé que la caméra l’a aimé dès les premiers essais, ce qui n’était pourtant pas gagné d’avance.

Frédéric Farrucci

Un contenu politique

Une fois l’interprète de Jin enfin trouvé, Frédéric Farrucci a pensé à Camélia Jordana pour jouer le rôle de la jeune femme ayant recours aux services du chauffeur. Il aimait en outre l’idée de mettre face à face un immigrant clandestin et une Française de deuxième génération.

« Camélia a été une collaboratrice extraordinaire, commente l’ancien étudiant en économie devenu cinéaste. J’aime la chanteuse et l’actrice, mais aussi la citoyenne. Ses prises de position me plaisent beaucoup, et j’apprécie le fait qu’en tant qu’artiste, elle ait envie d’être dans la société, de débattre. Quand je lui ai fait parvenir le scénario, Camélia a répondu très vite en disant qu’elle voulait faire le film pour son contenu politique, pour ce qu’il raconte. Notre collaboration fut très intense, car nous discutions de ces enjeux en permanence. Elle a aussi beaucoup accompagné Guang Ho, qui en était à sa première expérience sur un plateau. »

N’ayant pas de liens particuliers avec la communauté chinoise, le cinéaste a misé sur l’authenticité en empruntant une approche quasi documentaire pour cet aspect du récit. En revanche, l’histoire relève d’une fiction pure. Et prête flanc à des envies de cinéma qu’a le réalisateur, notamment sur le plan de la création d’atmosphères.

« Filmer le Paris que je vois et qui me touche, le Paris qu’on voit rarement à l’écran, relève d’un vrai désir. Il est fou de penser qu’à cinq kilomètres de la plus belle avenue du monde, il y a des gens qui vivent dans des tentes sous le périphérique ! »

La nuit venue prend l’affiche ce vendredi.

Prenant et pertinent ★★★½

La nuit venue propose une vision originale de Paris, une ville pourtant déjà filmée sous toutes ses coutures. Cela n’est pas la moindre qualité de ce polar directement inspiré de la grande tradition du film noir. À travers le récit d’un chauffeur chinois sans papiers, dont le regard croisera dans son miroir celui d’une jeune stripteaseuse, Frédéric Farrucci dresse aussi le portrait d’une communauté dont on parle peu, où sont laissés pour compte ceux qui doivent se résigner à vivre dans la clandestinité. Cette visite nocturne, baignée de riches atmosphères, est ainsi prenante sur le plan de l’intrigue, et pertinente sur le plan social. Porté par les magnifiques présences de Camélia Jordana et de Guang Ho, un nouveau venu (en lice pour le César du meilleur espoir masculin), ce premier long métrage a résolument beaucoup de style.

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Affiche du film La nuit venue, de Frédéric Farrucci

★★★½

Drame

La nuit venue

De Frédéric Farrucci

Avec Camélia Jordana, Guang Huo, Xu Liang

1 h 35