L’histoire de plusieurs anciens présidents américains a été portée au cinéma à travers des longs métrages biographiques, avec parfois des écarts par rapport à la réalité. À quand un film sur Donald Trump ? Doit-on attendre quelques années ? Et quel contenu explorer ? La Presse en a parlé avec quelques experts.

Une fois l’an, dans son cours sur les processus décisionnels en politique étrangère, la professeure agrégée Karine Prémont fait écouter le long métrage Thirteen Days, de Roger Donaldson, à ses étudiants à la maîtrise de l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke.

Pourquoi ? Parce que ce film consacré à la crise des missiles de Cuba de 1962 montre avec acuité ce qui s’est passé dans l’entourage immédiat du président John F. Kennedy alors que le monde entier retenait son souffle face à la menace d’un conflit nucléaire.

PHOTO TIRÉE DU SITE D’IMDB

Scène du film Thirteen Days

« Il y a quelques petites erreurs, mais dans l’ensemble, ce film est bien documenté. Il montre la complexité de la prise de décisions et le nombre de facteurs à prendre en compte », dit Mme Prémont, qui est aussi directrice adjointe à l’Observatoire sur les États-Unis de la chaire Raoul-Dandurand à l’Université du Québec à Montréal. « Je m’intéresse beaucoup au processus décisionnel d’une présidence. C’est aussi un angle abordé dans le film Lincoln [de Steven Spielberg]. »

Institution par excellence aux États-Unis, la présidence américaine a toujours fasciné tant les gens du milieu de la culture que le public. Des films de fiction mettant en vedette un président (ou une présidente) des États-Unis sont légion.

Or, comment se positionner avec un président encore en fonction ou sur le point de quitter la Maison-Blanche ? Peut-on tout de suite passer derrière la caméra ou faut-il attendre ? Les opinions varient parmi les cinq experts consultés.

« Ma réponse de politicologue est qu’on devrait attendre », continue Karine Prémont, qui estime important de jauger l’impact de décisions politiques sur le long terme.

Une opinion partagée par John Parisella, ancien délégué général du Québec à New York et à Washington et fellow au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM). « Il faut donner un peu d’espace, dit ce dernier. Le danger avec les sorties de films ou de livres trop rapides, c’est de livrer une histoire incomplète. Prendre du recul, c’est analyser les choses dans une perspective historique. »

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Dustin Hoffman et Robert Redford dans All the President’s Men

Il cite en exemple All the President’s Men, d’Alan J. Pakula, inspiré de l’ouvrage de Bob Woodward et de Carl Bernstein sur l’amorce du scandale du Watergate. « Il nous fait bien comprendre la portée de ce scandale politique, dit-il. Personne ne peut prétendre qu’il y a ici sensationnalisme ou fabrication. Le film a passé le test de la vérité. »

À noter que le film est sorti deux ans après l’ouvrage de Woodward et Bernstein et que celui-ci ne porte pas sur l’ensemble du scandale du Watergate, mais sur les neuf premiers mois.

Si l’idée est bonne…

Chez les spécialistes en cinéma consultés, on semble plus prompt à passer aux actes.

Cinéaste reconnue pour ses documentaires musicaux, l’Américaine Mary Wharton vient tout juste de lancer le documentaire Jimmy Carter : Rock and Roll President (voir autre texte demain). Selon elle, à chaque cinéaste de décider de se lancer ou non. « Il n’y a pas de règle établie, dit-elle. Si vous croyez avoir une bonne idée, allez-y ! »

Directeur général de la Cinémathèque québécoise, Marcel Jean ne croit pas non plus qu’il y a des règles précises. « Primary Colors est sorti en 1998, soit au milieu du deuxième mandat de [Bill] Clinton et alors que le scandale Lewinsky battait son plein, rappelle-t-il. W., d’Oliver Stone, est sorti en octobre 2008, un mois avant l’élection d’Obama et alors que George W. Bush s’apprêtait à tirer sa révérence. »

L’ovni Trump

D’aucuns, sinon tous, conviendront toutefois que Donald Trump est dans une classe à part, un ovni dans la présidence américaine dont il a complètement redéfini le style. Avec les impacts certains que cela entraînera sur la culture populaire.

Matthew Hays, qui enseigne le cinéma au collège Marianopolis et à l’Université Concordia, se questionne par exemple sur la manière dont un scénariste va s’y prendre pour raconter l’histoire de M. Trump.

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Une scène du film Nixon d’Oliver Stone

« Il personnifie un personnage déjà plus étrange que ceux de la fiction, dit-il. Quand Oliver Stone a écrit son film sur Nixon, les gens ont dit qu’il avait été trop dur. Alors que la déclassification de nouveaux documents a montré que Stone est resté en deçà de la réalité. Or, Nixon peut avoir l’air d’un enfant de chœur à côté de Trump. »

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Selon le professeur Matthew Hays, Get Out est le premier grand film inspiré de la présidence de Donald Trump.

M. Hays estime que le 45e président américain a déjà un impact sur la culture populaire. « Get Out, de Jordan Peele, est selon moi le premier grand film inspiré de la présidence de Trump, dit-il. Aujourd’hui, Peele blague que son film est en fait un documentaire. »

Extrait de Donald Trump’s Worst Nightmare

Marcel Jean relève par ailleurs que la « nature excessive » et le côté « caricatural » de Trump lui ont déjà valu d’être le sujet d’une bonne dizaine de courts métrages d’animation, dont ceux de Bill Plympton (voir la vidéo) et Ruth Lingford.

Mais avant de faire un biopic sur Donald Trump, il reste LA grande inconnue à résoudre : sera-t-il réélu ou non ? Réponse le 3 novembre.

« Avec lui, les gens vont maintenant y penser deux fois avant de déclarer que ceci ou cela n’arrivera jamais », dit sagement (et en riant) Matthew Hays.

« Des personnages cinématographiques »

Au-delà de leur fonction, les présidents américains ont une personnalité, ou un mandat, qui en fait des personnages cinématographiques… ou pas, nous fait remarquer Marcel Jean, directeur général de la Cinémathèque québécoise. Certains présidents, dit-il, comme Gerald Ford, Bush père, Ronald Reagan ou même Barack Obama (trop lisse), ne sont pas des personnages cinématographiques. Comment l’est-on, alors ? Il faut par exemple un contexte héroïque, comme avec Abraham Lincoln, dit-il. Ou encore un grand moment de l’histoire (Roosevelt durant la Seconde Guerre mondiale), quelqu’un par qui le scandale arrive (Nixon, Clinton) ou être au cœur d’une tragédie, comme ce fut le cas de John F. Kennedy.