À trois semaines de l’élection présidentielle, un documentaire relate avec rigueur toutes les étapes de la gestion de la pandémie aux États-Unis par l’administration Trump.

Dans un contexte de tournage difficile, le célèbre documentariste Alex Gibney (Enron : The Smartest Guys in the Room), appuyé par Ophelia Harutyunyan et Suzanne Hillinger, a recueilli les témoignages dévastateurs de nombreux intervenants, dont plusieurs ont été abasourdis par les décisions prises en haut lieu. Les trois signataires de Totally Under Control ont accordé une entrevue à La Presse.

Y a-t-il un élément déclencheur précis ayant fait en sorte que l’idée d’un documentaire sur la gestion de la pandémie s’est imposée ?

Alex Gibney (A.G.) : Cela remonte au mois d’avril. C’était au moment où New York était l’épicentre de l’épidémie aux États-Unis. C’était très inquiétant. Un de mes amis est mort de la COVID-19, un autre a été sous respirateur pendant deux semaines. Des gens se présentaient aux urgences des hôpitaux et devaient faire demi-tour, sans avoir accès à un test. C’était le chaos, et le gouvernement ne semblait pas avoir le moindre plan. L’idée du film est née de la colère et de la frustration que j’ai ressenties alors. Comme je tenais à ce qu’il sorte au mois d’octobre, il a fallu mettre les choses en branle très rapidement, dans un contexte de pandémie. C’est pourquoi j’ai fait appel à Ophelia et à Suzanne afin que nous mettions nos efforts en commun, tant sur le plan de la réalisation que de la production.

Pourquoi était-ce si important pour vous de sortir ce film au mois d’octobre ?

A.G. : Parce que cette élection présidentielle est cruciale, surtout dans un contexte de pandémie. Ce virus a déjà emporté 213 000 Américains. Si le gouvernement fédéral a fait exprès pour en minimiser la gravité, il doit être tenu responsable. Les électeurs ont le devoir d’en tenir compte quand ils iront voter. Il est important que, d’une certaine façon, cette question soit inscrite sur le bulletin de vote. La santé et la sécurité de tous les Américains sont en jeu.

PHOTO FOURNIE PAR ENTRACT FILMS

Image tirée du documentaire Totally Under Control

Quand on entreprend un film comme Totally Under Control, où l’on documente de façon factuelle les premiers mois de cette pandémie en remontant le fil des évènements, par où commence-t-on et quelle est la ligne d’arrivée ?

Ophelia Harutyunyan (O.H.) : Il y avait tellement d’histoires qui arrivaient de partout qu’il a d’abord fallu déterminer une ligne directrice. Il était impossible de tout couvrir. Notre intérêt principal était de raconter les premiers mois de la pandémie, au moment où des décisions importantes auraient dû être prises, et comment le gouvernement américain a réagi. On ne suivait pas l’actualité au jour le jour. Nous avons plutôt choisi de nous attarder à une période précise en tentant de comprendre ce qui s’est passé. Quand nous avons commencé à travailler, au début du mois de mai, bien des choses étaient déjà survenues. Notre approche a été plus rétroactive que prospective.

Plusieurs intervenants témoignent devant votre caméra, mais aucun d’entre eux ne fait partie de l’appareil gouvernemental. Pourquoi ?

Suzanne Hillinger (S.H.) : À part des journalistes ayant de très bons contacts au sein de l’administration ou des intervenants ayant déjà occupé par le passé une fonction officielle dans la gestion d’une épidémie, il a été difficile de trouver des gens qui acceptaient de témoigner. Nous avons évidemment tenté d’obtenir des entrevues auprès des personnes actuellement en place dans cette administration, autant à la Maison-Blanche qu’à la HHS [Department of Health and Humane Services] ou dans les CDC [Centers for Disease Control and Prevention], mais on leur a interdit de nous parler. Il est évident que le gouvernement voulait contrôler le message à propos de la pandémie en écartant les faits et la science.

Comment expliquez-vous la politisation très rapide de cette pandémie dans votre pays ?

A.G. : C’est vraiment difficile à expliquer. Et vraiment dur à comprendre. Je crois que Trump voulait vraiment que ce virus disparaisse comme par enchantement. Or, des gens de pouvoir responsables auraient tout de suite pris la mesure de la crise et auraient fait face à la réalité. C’est ce que les dirigeants de plusieurs pays ont fait. Il faut aussi se rappeler qu’aux États-Unis, le virus a d’abord frappé des États gouvernés par des démocrates, avec des électeurs qui ne voteraient jamais au grand jamais pour Trump. Cela dit, nous savions, avant même de compter le premier décès, que le président minimiserait la gravité d’un virus dont il connaissait pourtant l’existence. Encore plus choquant : au fil de la progression du virus, alors qu’il n’était plus possible de nier son impact, Trump s’est mis à faire de la politique avec les mesures sanitaires observées partout ailleurs, notamment le port du masque, qu’il a ridiculisé. Il a mis ses propres partisans en danger en leur disant de ne pas le porter.

O.H. : Il a aussi minimisé la gravité de la pandémie parce qu’il savait qu’elle aurait un impact sur l’économie du pays, et que la santé de l’économie constituait pratiquement sa seule chance de réélection.

À la toute fin, un carton a été inséré pour apprendre au spectateur que le film a été terminé un jour avant que le président Trump ait été déclaré positif à la COVID-19. Quelle a été votre réaction quand vous l’avez appris ?

A.G. : Nous avons terminé le film le 1er octobre. Je me suis endormi heureux et en paix. Jusqu’à ce que le téléphone sonne à 2 h du matin ! Tout de suite, la question s’est posée : que fait-on ? Nous avons opté pour cette inscription à la fin parce qu’il était impossible de mettre de côté une information aussi importante. Cependant, jamais l’idée de reporter la sortie du film pour y inclure un autre chapitre ne nous est venue à l’esprit. Nous voulions poursuivre notre mission, qui est de mettre ce triste épisode dans le cœur et l’esprit des électeurs américains.

Croyez-vous qu’un film puisse vraiment avoir un impact sur un électorat déjà très polarisé ?

A.G. : Je le souhaite. Il est vrai que nous vivons une époque très polarisée et que rien ne fera changer d’idée les partisans de Trump. Mais il y a quand même une bonne partie de la population qui remet très sérieusement en question son appui au Parti républicain à cause de la façon cavalière qu’a empruntée l’administration Trump pour gérer la pandémie. Particulièrement les aînés.

Qui devrait voir ce film, d’après vous ?

O.H. : Tous les Américains devraient le voir. Parce que c’est un condensé de tout ce que nous avons traversé pendant les derniers mois, avec des décisions qui nous ont tous affectés, sur tous les plans de nos vies. Ce film n’est pas une satire et ne donne pas de coups bas inutiles. Nous nous sommes appuyés sur des faits et nous présentons la situation telle qu’elle s’est déroulée. Pour les spectateurs étrangers, ce film est aussi édifiant. La polarisation progresse partout dans le monde et la pandémie est de plus en plus politisée. Je crois qu’il est important d’en montrer les mécanismes pour comprendre comment on a pu en arriver là.

Que retenez-vous de la dernière semaine et de tout ce qui s’est passé autour du président de votre pays ?

S.H. : Quand Trump a été déclaré positif à la COVID, plusieurs espéraient que son message se transforme et s’humanise. Ce n’est pas arrivé. C’est même pire maintenant ! Ce qu’il fait en utilisant son propre exemple est carrément dangereux, parce que l’Américain moyen n’a pas du tout accès aux mêmes soins. Ça peut donner un faux sentiment de sécurité aux gens et certains en mourront.

Selon plusieurs sondages, la réélection de Donald Trump est maintenant moins probable qu’elle ne l’était au début de l’année. Vous y croyez ?

A.G. : C’est la question à 365 millions de dollars ! Il faut être prudent, car les sondages nous ont déjà leurrés. Ce qui semble être différent, cette fois, c’est que la gestion de la pandémie est une vraie préoccupation pour une vaste majorité d’Américains. Et ça semble avoir un impact assez important sur les intentions de vote.

Totally Under Control est offert sur les plateformes Apple TV (iTunes), Google Play et Boutique Cineplex en version originale.