Le tournage du film Montréal Girls, premier long métrage de fiction de Patricia Chica, a débuté à la mi-août dans des circonstances que la réalisatrice n’aurait jamais pu anticiper. Le plateau se meut au rythme des exigences de sécurité sanitaire, tandis que le scénario a dû être remodelé. Point positif : au-delà des obstacles et de la pression, certains de ces bouleversements sont « pour le mieux », dit la cinéaste.

Les plateaux de tournage ont bien reçu l’aval des autorités pour reprendre leurs activités, mais à certaines conditions. L’une d’elles : chaque production peut former une cellule de 10 acteurs qui ont l’autorisation de jouer à proximité les uns des autres, sans masque, mais jamais plus de 15 minutes en tout par acteur, par jour.

Mais lorsque l’on tourne un film sur le passage à l’âge adulte, dont le scénario demande de l’intimité et des rapprochements, cette règle à elle seule représente « une couche de travail de plus », indique la réalisatrice Patricia Chica (Morning After, A Treaky Treat).

PHOTO PATRICIA CHICA

Hakim Brahimi (Ramy) entouré de Jasmina Arroyave (Desiree) et de Sana Asad (Yaz)

Montréal Girls raconte comment Ramy, un Égyptien arrivé à Montréal pour étudier en médecine, découvre les sous-cultures underground de la ville et noue des relations tumultueuses avec de jeunes femmes (Nahéma Ricci, Jasmina Arroyave) qui lui ouvrent les yeux sur sa destinée.

« Il est question de jeunes fébriles qui s’embrassent et se touchent, dit Patricia Chica. Il y a des scènes à caractère sexuel. Il a fallu que je lâche prise de mon envie de filmer ce que je voulais comme je le voulais et que je trouve des solutions. »

Mais voilà, le guide pour un tournage en pleine pandémie n’a pas encore été écrit.

On est parmi les premiers à tourner pendant la COVID-19. On n’a pas d’antécédents sur lesquels se repérer. On a développé des techniques pour que le jeu des acteurs n’en souffre pas.

Patricia Chica, réalisatrice de Montréal Girls

Le tout avec une équipe de production la plus restreinte possible, toujours positionnée à distance sécuritaire et munie de masques.

Doublures et concessions

Devant la caméra, les personnages secondaires observent une distance de deux mètres des autres acteurs. Les angles de prises de vues sont ajustés. On a aussi eu recours à des doublures. « Certaines personnes que le personnage principal devait embrasser ont des conjoints [dans la vraie vie] », affirme la cinéaste. On a fait appel à eux pour les scènes de rapprochement. « Les chefs coiffeurs et maquilleuses ont fait un travail incroyable et avec les bons angles, on n’y voit que du feu. »

Mais cet artifice a ses limites. La scénariste et réalisatrice a dû faire de lourdes concessions dans son script.

Mon personnage principal féminin, joué par Jasmina [Arroyave], devait embrasser Ramy à la fin. La scène ne peut plus être tournée ainsi. J’ai dû modifier l’intention du personnage tout au long de l’histoire pour justifier qu’ils ne s’embrassent pas à la fin.

Patricia Chica, réalisatrice de Montréal Girls

Ces modifications ont changé le scénario, mais pas « le sens de l’histoire », relativise Patricia Chica, optimiste malgré tout. Elle voit même du positif à tout cela, avec le recul : « Ça a ajouté un sens poétique, car les acteurs doivent être intimes sans l’être physiquement. Ça apporte une certaine innocence, quelque chose d’intemporel. Ça a fini par servir le scénario. »

L’arrivée d’Hakim Brahimi

Quant à la consigne des 15 minutes de tournage à proximité par jour, elle est « extrêmement limitante », dit Patricia Chica. Sur le plateau, les règles sont suivies à la lettre et le temps est calculé à la seconde. « On fait nos répétitions masqués. Puis, entre “action” et “couper”, on a 15 minutes, indique-t-elle. Hier, après avoir tourné quelques scènes, on m’a dit qu’il me restait 1 minute 25. Il faut bien choisir à quoi tu consacres ta minute 25. C’est énormément de pression. »

Mais le tournage se déroule « très bien, malgré les restrictions handicapantes », selon Hakim Brahimi, qui interprète le personnage principal du film, Ramy. Celui qui en est à son deuxième tournage en carrière – il a brillé quand il a incarné Étéocle, dans Antigone, de Sophie Deraspe — a obtenu le rôle de Ramy après que l’acteur initialement choisi, l’Égyptien Ahmed Malek, a dû être écarté de la production, afin de respecter les normes en matière de contenu canadien. Le coscénariste du film, Kamal John Iskander, étant américain, un acteur étranger ne pouvait tenir le premier rôle.

La décision a été « très difficile », dit Patricia Chica, mais c’est un mal pour un bien, car Hakim Brahimi possède « un charisme et une authenticité » qui le rendent parfait pour le personnage. « Il crève l’écran, le choix a été unanime », ajoute la réalisatrice, qui l’a « trouvé » sur Instagram, avant même qu’Antigone n’entre en salle.

La diversité montréalaise

Montréal Girls est un hommage à la métropole. C’est donc dans les rues de Montréal que le tournage du long métrage s’est amorcé ces dernières semaines. Plus précisément dans le Mile End et sur le Plateau, des quartiers que Patricia Chica connaît et fréquente, elle qui habite entre Montréal et Los Angeles.

La nuit précédant notre entrevue avec la réalisatrice, elle tournait des scènes au bar L’Escogriffe, rue Saint-Denis. On verra également dans le long métrage le square Saint-Louis, le parc Jeanne-Mance, le Quai des brumes, le mont Royal.

PHOTO SOPHIA BENALOUANE, FOURNIE PAR OBJECTIF 9

La comédienne Sana Asad

Patricia Chica veut montrer Montréal et la faune diverse qui l’habite, « pas juste au niveau ethnique, mais aussi au niveau des identités, des façons de vivre ».

« J’aime les œuvres d’art réalistes et il est important de montrer la diversité présente à Montréal dans nos œuvres cinématographiques, estime Hakim Brahimi, lui-même né en Algérie. Le personnage de Ramy arrive dans un autre pays et il est confronté à une nouvelle réalité, à laquelle il ne s’oppose pas. Il reste ouvert à tout ce que la ville et les gens lui offrent et devient un être unique grâce à ses expériences. »