(Göteborg) Il avait fait crier de joie le public du palais des festivals de Cannes lors de sa Palme d’or 2017 pour The Square, une satire grinçante du monde l’art. Dans son nouvel opus, Ruben Östlund continue de s’attaquer aux dérives d’une société ultra-consumériste où prévalent les apparences.

L’avenant réalisateur suédois, qui se bat sans cesse avec une mèche de cheveux devant les yeux, revient d’un séjour en Espagne, où il a commencé le montage de son prochain film, Triangle of Sadness.

Il fait étape chez lui, à Göteborg dans l’ouest de la Suède, avant de poursuivre son tournage en Grèce.

Son cinquième long métrage doit être l’occasion de disséquer un peu plus les mœurs occidentales modernes.

En 2011, dans Play, où cinq enfants noirs volent trois enfants blancs, il s’attaquait au racisme systémique et ses représentations.

« Je suis raciste, mais je ne veux pas l’être. Et c’est une discussion beaucoup plus intéressante, de reconnaître que l’homme, dans son comportement de groupe, sa manière de penser, associe à des personnes des expériences particulières », explique à l’AFP le réalisateur suédois.

Observateur attentif de l’actuel mouvement de mobilisation contre le racisme et les violences policières, il s’interroge sur la sincérité des engagements exprimés en réaction à la publication d’images qui bousculent.

« C’est l’image la plus forte qui remporte la compétition et comment fait-on alors pour toutes les questions relatives à la compassion, doivent-elles dépendre de notre engagement dans l’instant ? », ironise-t-il.

Pour lui, les sociétés modernes s’égarent dès qu’elles commencent à reposer sur des engagements individuels et non plus étatiques pour s’assurer du bien-être des populations.

Son nouveau film veut faire la peau à la philanthropie.

« Être philanthrope, ça ne signifie qu’une chose, c’est que tu es milliardaire », résume le quadragénaire.

Exploration des structures de pouvoir

PHOTO JONATHAN NACKSTRAND, AGENCE FRANCE-PRESSE

« Je suis raciste, mais je ne veux pas l’être. Et c’est une discussion beaucoup plus intéressante, de reconnaître que l’homme, dans son comportement de groupe, sa manière de penser, associe à des personnes des expériences particulières », explique le réalisateur suédois.

Le pouvoir, ses structures, leurs utilisations, voilà ce qui l’obsède dans son désir de faire fi du capitalisme.

Selon lui, pour comprendre l’homme, il faut d’abord comprendre qu’il est un pion dans le système économique.

La rapidité avec laquelle le confinement lié à la crise sanitaire de la COVID-19 s’est opéré l’a toutefois surpris.

« J’ai trouvé que les forces du marché se sont pliées très vite : d’un coup, il est devenu possible de fermer la société », s’étonne-t-il.

Pour décrire le monde d’après la crise sanitaire, Östlund reprend volontiers les mêmes mots que Michel Houellebecq, l’écrivain français contemporain le plus lu à l’étranger, « ce sera le même, en un peu pire ».

« Les grands sont devenus encore plus grands et pendant ce temps, les petites boutiques au coin de la rue disparaissent et sont rachetées par une grande chaîne. C’est incroyablement sournois ».

Trouver sa place

Dans Triangle of Sadness, dont il a déjà réalisé un tiers du tournage, une partie des voyageurs d’une croisière de luxe échouent sur une île déserte où la lutte pour la survie précède celle de la représentation de leur existence.

Comme dans les deux films précédents, le personnage principal est un homme cherchant sa place dans le monde.

« Auparavant, c’était la norme d’être un homme, on n’avait pas besoin de porter un point de vue critique sur soi-même comme c’est le cas aujourd’hui », explique-t-il.

Ici, Carl est mannequin, sa carrière bat de l’aile tandis que celle de sa copine, également modèle, explose.

Dans cette profession où les hommes gagnent généralement quatre fois moins que les femmes, les rôles traditionnels sont renversés, une situation qui permet de « retourner les structures de pouvoir entre les sexes ».

L’épidémie de nouveau coronavirus a retardé la production de ce nouvel opus qu’il espère voir sortir pour le Festival de Cannes en 2021.

Ce film est le premier tourné en anglais, une exigence de l’un de ses partenaires financiers, qui le projette dans une autre enceinte.

« Subitement, tu te retrouves à te battre dans une autre arène avec tous les autres films anglophones alors qu’avant tu occupais la position de l’intéressant réalisateur de film en langue étrangère ».

Östlund, qui jamais ne se départit de son léger sourire en coin, est pour l’instant satisfait de son travail fidèle « à l’aspect intellectuel de l’art du cinéma qui veut déclencher une discussion ».

« On ne doit pas trop chercher à plaire au public », revendique-t-il.