Jules Falardeau, fils du défunt cinéaste Pierre Falardeau, coréalise un documentaire sur l’héritage politique de Che Guevara en Bolivie, pays où est mort le révolutionnaire.

Le 8 octobre 1967, le légendaire Che Guevara est capturé par l’armée bolivienne près de La Higuera, petit village situé dans une région isolée au pied des Andes.

Le lendemain, dans des circonstances non élucidées, le révolutionnaire est exécuté. Son corps troué de balles sera exposé dans une buanderie de la petite ville de Vallegrande, à quelques kilomètres de là, une scène dont les images feront le tour du monde.

L’histoire est connue, mais peu l’ont racontée comme Jules Falardeau et Jean-Philippe Nadeau Marcoux dans le documentaire Journal de Bolivie, qui sort cette semaine après trois ans de labeur.

En 2017, les deux jeunes cinéastes québécois se sont rendus en Bolivie pour documenter les commémorations entourant le 50e anniversaire de la mort de Che Guevara. Leur voyage s’est transformé en réflexion sur ce qu’il reste du Che dans ce petit État d’Amérique latine.

Ce qui m’intéressait, c’était sa mémoire et son héritage dans le pays qui porte la honte de l’avoir assassiné.

Jules Falardeau

Journal de Bolivie, c’est un peu l’histoire d’un pèlerinage. Une quinzaine de militants « guévaristes », anciens militants étudiants pour la plupart, empruntent « la route du Che » pour retrouver l’essence du révolutionnaire. Pendant des jours, ils parcourent à pied, dans les montagnes, le chemin qu’avaient suivi Ernesto Guevara et une cinquantaine de combattants entre novembre 1966 et octobre 1967.

PHOTO ANTONIO NUNEZ JIMENEZ, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Ernesto « Che » Guevara en 1958

Le guérillero de 39 ans avait quitté La Havane en 1965 pour propager la révolution dans le monde. Après un passage au Congo, il était allé en Bolivie pour combattre la dictature de l’époque. Les choses ne s’étaient pas passées comme prévu. Pour des raisons géographiques et politiques, l’aventure s’est soldée par un échec cuisant et sa mort largement médiatisée, commanditée par la CIA.

Cinquante ans plus tard, la mémoire du Che reste bien vivante en Bolivie, même si son culte divise la classe politique. Tandis que la droite l’ignore, la gauche vit avec la culpabilité de sa disparition. Pendant ses 15 années au pouvoir (2005-2019), le président Evo Morales a souvent fait référence à cette icône de la « révolution bolivarienne » pour faire mousser sa politique de gauche, favorable aux paysans, aux prolétaires et aux autochtones.

Cette réhabilitation fait qu’on trouve aujourd’hui en Bolivie des murales de Che Guevara à tous les coins de rue. Comme à Cuba, le personnage est devenu un argument touristique. Pour quelques bolivianos, on peut visiter la buanderie de Vallegrande où son corps a été exposé, l’école de La Higuera où il a été fusillé, la maison du télégraphiste où les militaires s’étaient partagés ses maigres possessions, dont son fameux journal de bord, longtemps introuvable, dont des extraits ponctuent le documentaire.

PHOTO FOURNIE PAR K-FILMS AMÉRIQUE

Jules Falardeau avec un Bolivien lors du tournage

« Ils ont même fait un alcool de coca avec son visage sur l’étiquette », déplore Jules Falardeau, découragé…

On comprend que cet aspect de l’histoire n’est pas ce qui a intéressé le plus nos cinéastes. Ni les protagonistes de leur film, d’ailleurs, visiblement plus concernés par l’idéologie du personnage que par son exploitation mercantile. Le documentaire passe d’ailleurs très vite sur les commémorations du 50anniversaire qui auraient dû en constituer le cœur.

En revanche, il y a de très beaux moments lorsque le groupe arrive enfin à la Quebrada del Churo (ravin du Churo), où a été capturé le Che, comme des mystiques arrivant enfin à Lourdes.

Chacun y va alors de ses impressions sur le personnage et l’héritage qu’il a laissé chez une partie de la société bolivienne. Une « méditation heureuse sur des moments tragiques », résume Jean-Philippe Nadeau Marcoux, en évoquant un voyage axé sur « le recueillement et la camaraderie ».

Un lien avec le Québec

Il semble évident que Jules Falardeau a hérité de la fibre militante de son père, dont les positions nationalistes de gauche ont souvent suscité la polémique au Québec.

Fasciné depuis toujours par le personnage du Che, il avait déjà lu le Journal de Bolivie (récit écrit par Che Guevara et dont s’inspire le documentaire) lors d’un précédent voyage, et dit avoir consommé énormément de films et documentaires sur le révolutionnaire d’origine argentine, y compris le film biographique de Steven Soderbergh, qui avait valu à Benicio del Toro le prix d’interprétation à Cannes en 2008.

Mais rien n’égale pour lui le fait d’avoir marché sur ses traces : « Voir géographiquement, physiquement, les endroits mythiques où il a été capturé et assassiné, c’est sûr que j’ai trouvé ça incroyable. »

PHOTO FOURNIE PAR K-FILMS AMÉRIQUE

Jean-Philippe Nadeau Marcoux

Au-delà de l’expérience personnelle, les deux cinéastes se disent convaincus que le sujet de ce film peut résonner jusqu’au Québec, où la « fatigue politique » a pris le dessus sur les grands idéaux.

Jean-Philippe Nadeau Marcoux espère que l’exemple de ce groupe de gens « qui sont prêts à marcher un mois et demi juste pour comprendre quelqu’un, pour comprendre son sacrifice et pour repenser à leurs idéaux politiques » pourrait réveiller quelques consciences endormies ou qui ne demandent qu’à s’éveiller.

Journal de Bolivie est lui-même le fruit d’un idéal. Les deux cinéastes sont parvenus à le réaliser sans aide gouvernementale, et avec un peu de sociofinancement. Ce qui explique sa longue postproduction de trois ans. Un « labour of love », diraient les Anglais.

Le père aurait-il aimé le travail du fils ? Jules Falardeau pense que oui. Journal de Bolivie est un documentaire brut et engagé, qui évite de tomber dans la « glamourisation » du personnage.

« Je pense qu’il aurait aimé notre approche [consistant à] mélanger l’héritage de l’ONF avec la façon latino-américaine de faire du documentaire. Il adorait Pierre Perrault et Santiago Álvarez. Après le film de Soderbergh, il avait écrit que le Che était représenté de façon beaucoup trop gigantesque. Que c’était trop limité pour comprendre la complexité et la grandeur du personnage. Travailler sur ce sujet-là avec cette phrase en tête, c’est ça qui m’a drivé sur la manière de l’aborder. Il y a eu des dizaines et des dizaines de films sur Che Guevara, on n’avait pas le droit de se tromper… »

En salle le 31 juillet.