(Paris) Fils et petit-fils de paysans, Édouard Bergeon s’est inspiré de sa propre histoire familiale pour élaborer son premier long métrage de fiction. Mettant en vedette Guillaume Canet, Au nom de la terre a surpris tout le monde l’an dernier en France en attirant 2 millions de spectateurs dans les salles.

Jamais l’idée de faire du cinéma de fiction ne lui avait effleuré l’esprit. Édouard Bergeon avait plutôt trouvé sa niche à la télévision, qu’il a nourrie de nombreux reportages et documentaires. C’est justement l’un d’eux, intitulé Les fils de la terre, dans lequel il faisait écho aux difficultés que rencontrent aujourd’hui les fermiers pour maintenir à flot leur entreprise, qui a attiré l’attention du producteur Christophe Rossignon (Joyeux Noël, En guerre), lui-même né dans une famille d’agriculteurs.

« N’eût été cette rencontre avec Christophe, jamais ce film n’aurait existé, a fait remarquer Édouard Bergeon au cours d’un entretien accordé à La Presse. N’ayant pas d’expérience dans l’écriture d’un scénario de fiction, j’ai eu tendance au début à trop me coller à la réalité, mais je ne voulais pas m’en éloigner non plus. On n’est jamais plus fort que quand on parle de ce que l’on connaît. Au fil du temps, j’ai pu faire la distinction entre ma propre histoire et celle que les comédiens portent. Elle reste la mienne, mais elle prend maintenant une autre incarnation. »

Empruntant au départ les codes du western, avec des images de grands espaces, le récit d’Au nom de la terre commence en 1979, au moment où, à l’âge de 25 ans, Pierre Jarjeau (Guillaume Canet) rentre du Wyoming, où il a séjourné quelques années, pour revenir en France sur la ferme familiale, où l’attend sa fiancée (Veerle Baetens). Il compte y fonder sa famille, la voir s’épanouir de la même façon qu’il a pu s’épanouir, lui, dans cette ferme qu’il vient de racheter de son père (Rufus). Mais voilà, le monde change, l’exploitation agricole aussi. Vingt ans plus tard, Pierre se retrouve complètement asphyxié par les dettes et les affres de la dépression.

Une saga familiale

Dédiant son long métrage à son père, à sa mère et à sa sœur, Édouard Bergeon fait ainsi écho aux drames survenus dans sa famille, tout en rendant hommage aux femmes et aux hommes qui, depuis toujours, jouent un rôle essentiel dans la société.

« Pour mon premier film, j’ai vraiment eu l’impression d’avoir une machine de guerre avec moi, fait remarquer le cinéaste. Tout le monde s’est investi à fond, les producteurs, les comédiens, les techniciens, et tous ont eu envie de défendre ce film. »

Je n’avais pourtant jamais dit « Moteur » et « Action » avant le premier jour de tournage. J’ai eu la piqûre. C’est comme une révélation. Je racontais auparavant mes histoires dans des reportages ou des documentaires, mais maintenant, je change de média. Il faut dire que 2 millions de spectateurs, c’est quand même encourageant !

Édouard Bergeon, réalisateur d’Au nom de la terre

PHOTO FOURNIE PAR AXIA FILMS

Une scène tirée d’Au nom de la terre, un film d’Édouard Bergeon

Fait inusité, ce succès affiche un clivage spectaculaire entre les grands centres urbains et les « régions ». À Paris, à peine 116 000 spectateurs se sont pointés pour voir le film pendant qu’à l’extérieur, on s’est rué dans les salles.

C’est une vraie fracture, encore plus grande que d’habitude. Le même phénomène s’est produit à Marseille, à Lyon et à Nice. Il faut croire que les histoires d’agriculteurs n’intéressent pas les gens des grandes villes, même si ce sont quand même eux qui remplissent leurs assiettes !

Édouard Bergeon, réalisateur de Au nom de la terre

« Mais bon, ce n’est pas grave. Je suis quand même heureux que les ruraux aient vu Au nom de la terre et l’aient apprécié. C’est ce qui m’importait avant tout. Ces héros du quotidien, qui se battent pour investir dans leur entreprise et faire vivre leur famille, sont venus se voir dans un film, l’un des rares qui parlent d’eux », continue-t-il.

Quelques mois avant la sortie de son long métrage, Édouard Bergeon avait déjà fait la tournée des radios locales et des télés régionales pour en parler. Puis, sont venues les avant-premières — une centaine —, au cours desquelles le cinéaste a bien senti qu’il se passait quelque chose…

« Le bouche-à-oreille a été important et les réseaux sociaux aussi, fait-il remarquer. Beaucoup d’agricultrices et d’agriculteurs m’ont contacté pour me remercier d’avoir fait écho à leur vie dans ce film. Tous ces messages m’ont beaucoup touché parce que je suis moi-même un fils de la terre. Si Au nom de la terre contribue à libérer la parole et fait en sorte que des gens s’accrochent, ce sera beaucoup. L’impact social du film est là. Nous l’avons aussi présenté à l’Élysée, au Sénat, au Parlement européen… »

Un appui indéfectible

Édouard Bergeon a aussi pu bénéficier de l’appui indéfectible de Guillaume Canet. Non seulement l’acteur livre-t-il dans ce film l’une des plus grandes performances de sa carrière, mais en plus il s’est totalement investi dans le projet, autant devant que derrière la caméra.

PHOTO FOURNIE PAR AXIA FILMS.

Au nom de la terre, un film d’Édouard Bergeon

Guillaume s’est engagé comme jamais il ne l’avait fait auparavant. Il a vu Les fils de la terre lors d’une rediffusion à la télé et en a parlé tout de suite à Christophe [Rossignon, un producteur avec qui Guillaume Canet a souvent travaillé]. Il lui disait qu’il fallait absolument en tirer un film, sans savoir qu’un scénario avait déjà été écrit.

Édouard Bergeon, réalisateur d’Au nom de la terre

« Guillaume a grandi avec des chevaux, il est proche des agriculteurs. Je n’ai pas eu besoin de rien lui apprendre. C’est par ailleurs lui qui a réclamé la calvitie — une vraie ! —, ça ne vient pas de moi du tout ! Il disait qu’il ne voyait pas comment il pouvait jouer mon père sans y aller au plus près de la ressemblance physique. Pour lui, c’était carrément la méthode Actors Studio ! », assure le cinéaste.

Édouard Bergeon compte désormais poursuivre dans la même veine, c’est-à-dire écrire et réaliser des films qui aborderont des sujets liés de près ou de loin au monde agricole.

« Comme je suis impliqué aussi dans la restauration à Paris, mes films vont assurément parler de la chaîne alimentaire. En France, on parle de bouffe avant de manger, pendant et après. Je suis par ailleurs bien conscient que 2 millions d’entrées tient du miracle et que ça ne se reproduira probablement pas. Mais au moins, je l’aurai fait une fois ! »

Au nom de la terre prendra l’affiche le 31 juillet.

Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.