Paris — Dans Papicha, son premier long métrage de fiction, la cinéaste Mounia Meddour, qui a déjà fait sa marque dans le cinéma documentaire, retrouve l’époque de son adolescence en Algérie, au moment où le pays, déchiré par la guerre civile, traversait sa « décennie noire ». Elle y relate le parcours d’une jeune styliste défiant les interdits qui ne cessent de s’accumuler en organisant un défilé de mode. Entretien.

Depuis sa toute première présentation au Festival de Cannes l’an dernier, où il a fait partie de la sélection Un certain regard, Papicha a eu un grand retentissement. Vous attendiez-vous à cet écho ?

Pas du tout. Le simple fait que ce film existe constitue déjà un miracle. Nous avons dû franchir plusieurs étapes difficiles avant de trouver les moyens pour produire et tourner ce film en Algérie. Le chemin qu’il a parcouru depuis Cannes nous réjouit au plus haut point, d’autant plus qu’il a été acheté pour une diffusion dans plusieurs territoires à l’étranger, notamment aux États-Unis. Sa sélection par l’organisation du festival de Toronto dans le volet TIFF Next Wave [une section destinée principalement aux spectateurs de moins de 25 ans] me ravit aussi. Ce film, je le porte en moi depuis 10 ans.

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La cinéaste Mounia Meddour lors de la présentation de Papicha au Festival de Cannes l’an dernier

Vous ne vous êtes pas inspirée de votre propre histoire pour l’écrire, mais le scénario de Papicha comporte néanmoins une grande part autobiographique, dans la mesure où vous reconstituez de façon très précise le milieu dans lequel vous avez évolué vous-même.

Comme les jeunes femmes du film, j’étais à l’époque une étudiante à la cité universitaire d’Alger. On y retrouvait un microcosme de la société algérienne, avec les difficultés, bien sûr, mais aussi les joies, l’humour, les histoires d’amour, les départs, notamment au Canada. Toute l’oppression extérieure qu’il y a dans le film est celle que nous avons vécue pendant cette période. Même si cette histoire de défilé de mode relève de la fiction, elle reflète ce que la société algérienne a vécu, avec ce chaos, ces attentats incessants. À travers ce film, je rends hommage à la population, aux victimes, ainsi qu’à mon père [Azzedine Meddour], qui était lui aussi réalisateur. Le tournage de son dernier film a d’ailleurs été marqué par une explosion qui a fait 15 victimes au sein de son équipe. Il y a une symbolique très forte derrière tout ça.

Près d’un an après son lancement, Papicha a-t-il pu être enfin présenté en Algérie ?

Toujours pas. On peut dire que ce film s’inscrit vraiment dans le paradoxe algérien, car il a été produit en Algérie et il a aussi été soutenu pour sa distribution. Le scénario est passé par le comité de lecture et nous avons obtenu toutes les autorisations requises pour les lieux de tournage. Or, le film n’est toujours pas sorti en salles là-bas et j’attends encore qu’on me donne une raison valable pour justifier cette absence des écrans. Je présume que la révolution qui anime le pays depuis maintenant un an y est pour quelque chose. Les conditions ne sont pas idéales en ce moment pour évoquer la décennie noire, une période un peu taboue, quand même, et Papicha est l’un des premiers films à l’aborder frontalement.

Donc, les spectateurs d’un peu partout dans le monde peuvent apprécier votre film, mais pas ceux qui devraient normalement constituer son premier public. N’est-ce pas frustrant ?

Complètement ! Cela dit, le peuple algérien est un peuple très ingénieux et le système D est très bien développé là-bas, particulièrement chez les jeunes. Ceux qui veulent voir le film s’organisent pour le voir, quitte à le passer sous le manteau. En tant qu’auteure, je devrais crier au scandale, mais, dans ce cas-ci, c’est le contraire. Je suis ravie que le film atteigne quand même le public auquel il s’adresse, peu importe le moyen. Évidemment, je préférerais de loin une sortie en salles, mais là, le plus important est qu’il soit vu afin que les Algériens puissent s’identifier au film et se réconcilier avec ce passé très douloureux.

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Amira Hilda Douaouda, Shirine Boutella, Lyna Khoudri et Zahra Doumandji entourent Mounia Meddour, réalisatrice de Papicha

Vous êtes installée en France depuis plusieurs années déjà. Quel lien gardez-vous avec votre pays d’origine ?

Comme je l’évoquais un peu plus tôt, l’Algérie est un pays de paradoxes. On l’adore et on le déteste en même temps. On veut lui appartenir, mais on veut aussi le rejeter. Être Algérien est très complexe ! Dans mon cas, c’est encore pire puisque je suis née à Moscou et que j’ai aussi des origines russes. Ce film est, en fait, un message d’amour à la population algérienne, très multiculturelle. Alors oui, cette population vit de grands drames, mais elle a une culture très riche et il en émane aussi des choses très positives.

Vous avez quitté l’Algérie à l’adolescence. Dans quelles circonstances ?

C’était contre mon gré. À l’adolescence — tout dépend des personnalités, bien sûr —, il y a aussi cette espèce de crainte de se retrouver ailleurs, dans un autre cadre de vie. Je n’avais pas d’attrait particulier pour un autre pays. Le départ a été brutal et s’est fait du jour au lendemain. À cause de son métier, mon père était devenu une cible et il faisait partie de la liste des personnes à abattre. Dans un premier temps, nous sommes allés en Kabylie, où c’était plus calme, mais très vite, tout le pays a été contaminé par l’intégrisme. C’était invivable. Je reste néanmoins optimiste pour l’avenir du pays, car sinon, on ne fait plus rien. La situation est présentement très compliquée et le chemin sera long. Cela dit, les jeunes sont bien décidés à reconstruire l’Algérie et l’espoir repose sur eux.

Papicha prend l’affiche le 31 janvier.

Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.