C’est l’histoire d’une femme qui ne voulait pas d’enfant. Et d’un enfant devenu cinéaste, parti sur sa trace. Le résultat : à mi-chemin entre la fiction et le documentaire, Une femme, ma mère, en salle vendredi, s’écoute littéralement comme un poème. Un lent poème en noir et blanc, avec images d’archives et musique originale en prime.

« Tu veux que je te promette de ne jamais faire un film sur toi ni de raconter notre histoire. Je te réponds que je ne peux pas te faire cette promesse, car c’est aussi mon histoire. Et ma vie à moi, c’est de raconter des histoires. »

C’est sur cette citation, un extrait d’un rare et ultime échange entre la mère et le fils, que débute ce film hybride, donc, primé aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM) l’an dernier, réalisé par Claude Demers, le garçon en question.

Rencontré la semaine dernière, l’homme de soixante et quelques années met fin aux conjectures d’emblée : « Non, je ne fais pas de la thérapie ! tranche-t-il en riant. Je fais du cinéma. Ça ne m’obsédait pas ! »

N’empêche, la question se pose. Car ce film, ou plutôt cet essai poétique, lent et esthétique, est une sorte d’extrapolation, une tentative de reconstruction de la vie de cette femme, sa mère, donc, qu’il n’a pas connue, mais qui l’a mis au monde. Un portrait de cette femme qui l’a abandonné. Et qu’il a tant cherché. Quoi qu’il en dise.

C’est ma lecture de ce que vivait ma mère comme femme. Je ne la condamne pas vraiment. Je ne partage pas de ressentiment ou de hargne. Ce n’est pas un règlement de comptes.

Claude Demers

« Mais j’essaye de comprendre la vie d’une femme de cette époque : quelles étaient les possibilités pour une femme qui ne voulait pas se marier dans le Québec des années 50 et 60 ? », ajoute M. Demers. En gros : quelles étaient les options pour une femme, issue de la Grande Noirceur, en mal de liberté ?

Cadavre exquis

Pour comprendre, et surtout imaginer cette vie qu’il n’a pas connue, qu’on lui a cachée et au sujet de laquelle on lui a tant menti (elle est partie à l’étranger, morte dans un accident de la route, et quoi d’autre encore ?), le cinéaste a eu le choix : comme ni la reconstitution historique (et ses budgets astronomiques) ni le documentaire en bonne et due forme (avec entrevues) ne l’intéressaient, il a opté pour cette « fiction documentaire ». Par un habile montage, sorte de cadavre exquis d’images d’archives (à 65 %, qu’il a visionnées pendant des centaines d’heures avant de trouver celles qui lui convenaient) et de quelques scènes tournées pour les besoins de la cause, Claude Demers a ici construit un scénario en cinq chapitres (de l’enfance au retour de l’enfant oublié, en passant par le mauvais rêve et la quête), en noir et blanc uniquement, sans le moindre dialogue, mais ponctué d’une musique mélancolique (signée Serge Nakauchi Pelletier). Disons que ça donne le ton. Comme seule narration : la voix douce du cinéaste, lequel raconte, imagine et interpelle cette femme, sa mère. « Es-tu heureuse ? », « qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui est faux ? », sans oublier ce déchirant et non moins éloquent : « comment je t’appelle ? Ma mère ? Ou celle qui ne voulait pas être ma mère ? »

PHOTO FOURNIE PAR K-FILMS AMÉRIQUE

Scène du film Une femme, ma mère

Pour trouver des réponses à ses innombrables questions (dont plusieurs, notamment l’identité de son père, demeurent en suspens), il a enquêté. Solide. Il a embauché non pas un, mais deux détectives, il a consulté une voyante. Puis cogné à la porte, des années durant, de la crèche où il est né. Oui, il a fini par la retrouver. Sauf que ses fameuses retrouvailles ont été tout sauf théâtrales (« une rencontre clandestine à l’image de ta vie »). Même si pour lui, l’enfant oublié, elles étaient mémorables : « Je regarde tes yeux, et pour la première fois de ma vie, je vois quelqu’un à qui je ressemble. »

« Le scénario s’est écrit très vite », confie Claude Demers. Pour cause : il y pense depuis combien d’années ? « La narration, dit-il, tout était là. Dans mon inconscient, je portais ce film depuis longtemps, paradoxalement… »

Cette figure maternelle porte aussi plusieurs visages à l’écran. Peut-être les reconnaîtrez-vous : tantôt Geneviève Bujold, Monique Mercure ou même Andrée Lachapelle. Le cinéaste s’est aussi amusé avec plusieurs clins d’œil, ici à Fellini, là à François Truffaut. Car il n’en démord pas : « Avant d’être une affaire thérapeutique, c’est une affaire de cinéaste ! » Il savait qu’il avait une bonne histoire entre les mains. « Et j’ai voulu faire un bon film », dit-il. Et tant pis si cette bonne histoire, c’est aussi (d’abord ?) la sienne.

En salle au Québec le 31 janvier

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