Maintenant productrice et réalisatrice, Tanya Lapointe lancera en primeur au Festival du film de Whistler Lafortune en papier, le long métrage documentaire qu’elle consacre à Claude Lafortune. Cet artiste unique, disparu en avril, a marqué des générations d’enfants, notamment grâce à L’évangile en papier.

Quand Claude Lafortune a rendu l’âme au mois d’avril, emporté par la COVID-19, le documentaire de Tanya Lapointe n’était pas encore terminé. Même si elle y travaillait depuis deux ans, la réalisatrice avait prévu de recueillir des témoignages supplémentaires, surtout auprès de celles et ceux qui ont grandi avec les émissions de télévision grâce auxquelles le magicien du papier est entré dans leur cœur.

« Ce lien était très puissant, souligne Tanya Lapointe en entrevue. Je ne sais cependant pas si Claude était vraiment conscient de l’amour que les enfants de toutes générations lui ont porté. Quand des adultes venaient le voir pour lui témoigner leur affection et lui dire à quel point il a compté pour eux, il en était toujours sincèrement surpris et réellement heureux. J’avais prévu de recueillir d’autres témoignages de cette nature afin qu’il ait vraiment conscience de l’impact qu’il a eu dans la vie des gens. Mais le destin ne m’en a pas donné le temps. »

D’abord un message sur Facebook…

Lafortune en papier retrace le parcours de cet homme que Radio-Canada a d’abord recruté dans les années 1960 pour concevoir les décors et costumes d’émissions jeunesse. Grâce à L’évangile en papier, une émission qui est passée à l’histoire en 1975 malgré sa courte durée, Claude Lafortune a pu faire valoir un art unique – et grand – en fabriquant des personnages et des décors en papier. Pendant les années où elle a fait du journalisme chez le diffuseur public, Tanya Lapointe a eu l’occasion de croiser son idole de jeunesse quelques fois. L’idée du film a germé dans l’esprit de la réalisatrice après que l’artiste lui eut envoyé un message sur Facebook.

« C’était à l’époque où Claude se préparait pour l’exposition du Musée des religions du monde à Nicolet », rappelle-t-elle.

PHOTO FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Lafortune en papier est le deuxième documentaire que réalise Tanya Lapointe.

En me retrouvant dans son atelier, je me suis rendu compte qu’il était toujours très actif, très prolifique. J’ai été interpellée par la passion d’un homme de 81 ans pour une forme d’art qu’il a inventée, qui était maintenant beaucoup plus élaborée, encore plus raffinée que celle dont je gardais le souvenir.

Tanya Lapointe, réalisatrice de Lafortune en papier

« J’avais le sentiment d’une histoire à raconter, d’autant qu’à mon sens, Claude n’a pas eu toute la reconnaissance qu’il méritait. J’ai commencé par assister au vernissage et le film s’est ensuite pratiquement porté par lui-même », ajoute-t-elle.

Une validation tardive

Cette validation plus tardive, due notamment à Jean-François Royal, directeur du Musée de Nicolet, est d’ailleurs l’un des axes narratifs principaux du film. Au cours d’une conversation avec son amie Marie Eykel, Claude Lafortune se fait même un peu gentiment gronder quand elle l’entend parler avec trop de modestie des « bonhommes » qu’il dessine et qu’il fabrique. Elle l’invite même à répéter : « Je suis un artiste, mes sculptures en papier sont formidables, et je suis merveilleux ! »

« Jean-François Royal lui a aussi fait comprendre qu’il était bien plus qu’un “bricoleur”, plutôt un artiste à part entière, ajoute Tanya Lapointe. Claude était beaucoup dans l’attente de validation de ses amis et de ceux à qui il envoyait des photos de ses nouvelles œuvres, un peu comme un enfant qui veut savoir si son dessin est beau. Au-delà de l’histoire de Claude, une question plus large se pose dans mon film : qu’est-ce que l’art ? Et qui décide ce qui en est ou pas ? »

Même si les parcours des deux hommes ont été complètement différents, on peut aussi aisément tracer un parallèle entre l’impact qu’a eu Claude Lafortune chez les francophones et celui qu’a eu Mister Rogers auprès des anglophones. Dans son émission Parcelles de soleil, l’artiste se faisait un point d’honneur d’inviter dans son univers des enfants malades, handicapés ou différents, et de leur faire parler de leur condition, sans complaisance ni faux-fuyants. Deux idoles qui, aux yeux de Tanya Lapointe, sont « touchantes et inspirantes ».

Le produit de son époque

Claude Lafortune est aussi le produit de son époque, dans la mesure où ses émissions ont été produites dans un contexte bien différent, alors que Radio-Canada mettait de grandes ressources dans le secteur de ses émissions jeunesse. Un tel personnage pourrait-il s’épanouir de la même façon aujourd’hui ?

Il est vrai que Claude est issu d’une époque où les enfants n’avaient pas accès à 300 chaînes ni au web, et où les tablettes numériques n’existaient pas. Mais il reste que Claude a proposé quelque chose d’unique. Il a parlé de religion à une époque où ça n’était pas du tout tendance et il est devenu une figure emblématique de notre télévision.

Tanya Lapointe, réalisatrice de Lafortune en papier

« Je ne sais si quelqu’un comme lui pourrait se faire valoir de la même façon aujourd’hui, mais quand je vois le succès de la nouvelle mouture de Passe-Partout, je me dis que c’est peut-être encore possible », dit Tanya Lapointe.

Ayant quitté le métier de journaliste il y a cinq ans pour devenir productrice et réalisatrice, Tanya Lapointe, qui signe ici sa deuxième réalisation après le documentaire 50/50, confie ne s’être jamais autant investie humainement dans un projet.

« Claude et moi, on s’est écrit chaque semaine pendant deux ans, explique-t-elle. C’est devenu un ami. En faisant ce film, je me suis senti une responsabilité envers lui et ce qu’il a représenté dans notre culture. Je suis aussi étonnée des échos que je reçois de la part des anglophones jusqu’à maintenant. Même s’ils ne l’ont pas connu du tout, ils sont quand même émus par cet homme. Cela me ravit, car je tenais à ce que ce film ait un caractère universel. »

Au Festival de Whistler

Lafortune en papier pourra être vu en ligne sur la plateforme du Festival du film de Whistler le 10 décembre. Pour l’instant, aucune autre date n’est fixée pour une diffusion en salle ou sur une autre plateforme.

Soulignons par ailleurs la sélection de trois autres films québécois au Festival du film de Whistler. Tu te souviendras de moi, d’Éric Tessier, et La marina, d’Étienne Galloy et Christophe Levac, ont été retenus dans la compétition officielle. Québexit, de Joshua Demers, une satire politique réalisée avec un micro-budget, est inscrite dans la section New Voices. Plusieurs de ces films (pas tous) seront offerts en ligne. Le 20e Festival de Whistler se déroule jusqu’au 20 décembre. Lafortune en papier (The Paper Man est le titre en anglais) sera offert en ligne sur la plateforme du festival du 10 au 31 décembre.

> Consultez le site officiel du Festival du film de Whistler