Clemency s’inscrit dans une lignée de drames carcéraux dans lesquels des innocents se battent pour éviter la peine de mort. Or, dans ce film, la réalisatrice Chinonye Chukwu porte un regard singulier sur cet enjeu en racontant l’histoire à travers les yeux de la directrice responsable d’un corridor de la mort. Entretien.

Au bout de sa route, la peine de mort attend Anthony Woods (Aldis Hodge), un homme noir qui a assassiné un policier. Pour Bernadine Williams (Alfre Woodward), il s’agira alors d’une 12e exécution. Or, une petite partie de Bernardine s’éteint à chaque fois qu’un condamné rend son dernier souffle sous ses yeux.

Elle est parfaite, Bernadine. Elle marche la tête haute. Elle n’hésite jamais. Elle coche avec rigueur les cases des questionnaires. Elle est froide. Un peu glaciale même avec les gens de son entourage. Et lorsqu’elle quitte le travail, elle s’effondre. Un grand verre d’alcool l’attend, au coin de la rue, dans un bar aussi triste que son bureau.

« Je vis avec une coquille vide qui est ma femme », lui lance un soir son mari dépité.

Le spectateur comprend que les exécutions signées Bernadine la détruisent à petit feu. Comme quoi personne n’est à l’abri des conséquences d’une mise à mort.

C’est cet angle des condamnations à mort qu’a voulu explorer Chinonye Chukwu dans ce film de fiction dont l’histoire a été librement inspirée de l’affaire Troy Davis, dans l’État de Géorgie.

Condamné à mort, en 1991, pour le meurtre d’un policier assassiné deux ans plus tôt, Davis, qui a toujours clamé son innocence, fut exécuté le 21 septembre 2011, tous ses recours ayant été épuisés.

« Durant les procédures, des centaines de milliers de personnes ont protesté, y compris une poignée d’anciens directeurs de prison, relate la réalisatrice jointe à Los Angeles. Ces derniers réclamaient la clémence non seulement en raison de l’innocence possible du prévenu, mais parce qu’ils connaissaient les conséquences émotionnelles et psychologiques que cela implique. Ils parlaient en connaissance de cause puisqu’ils avaient assisté à des centaines d’exécutions. »

Une actrice accomplie

Pour incarner Bernadine Williams, la réalisatrice a fait appel à une actrice accomplie : Alfre Woodward. La comédienne de 67 ans ne fait peut-être pas les manchettes des magazines, mais elle a une feuille de route éclatante. Quarante ans de métier, quatre prix Emmy, un Golden Globe, une nomination aux Oscars. Militante, elle a tourné avec Robert Altman, Spike Lee et Steve McQueen pour ne nommer que ceux-là.

« Elle est une de nos plus grandes actrices », dit la réalisatrice à propos de Mme Woodward. 

Elle est une des rares comédiennes à pouvoir raconter une histoire à travers son simple regard. Ça s’est vu à peu près à travers tous ses rôles. Elle vous jette un regard et vous décodez toute la complexité d’une situation.

Chinonye Chukwu

D’origine nigériane, Mme Chukwu a mis des années à faire son film, notamment en raison de la recherche de financement. Cela lui a permis de creuser le sujet. Elle dit avoir lu de nombreux ouvrages, interviewé des dizaines de personnes du milieu en plus de s’engager bénévolement dans des groupes de défense des droits des détenus.

« J’ai par exemple enregistré le témoignage d’une personne condamnée pour laquelle nous nous sommes battus. J’ai aussi dirigé une campagne de relations publiques dans un autre cas, une femme. Nous avons obtenu l’argent pour le film à peu près au même moment où cette prisonnière a reçu sa clémence du gouverneur de l’État où elle était incarcérée. »

Se disant elle-même contre la peine de mort, la cinéaste ne voulait toutefois pas que ses opinions interfèrent avec le scénario du film. « Je ne crois pas qu’il faille dire aux gens comment penser, lance-t-elle. Mieux vaut aborder une histoire à travers les enjeux de chacun des personnages et de l’humanité qui les habitent. C’est ainsi que l’on atteint le cœur des gens. »

Présenté il y a un an à Sundance en première mondiale, Clemency est reparti avec le Grand Prix du jury.

En salle vendredi.