Très admiratif du travail que Stanley Kubrick a fait en portant à l’écran The Shining, aussi très fan de Stephen King, l’auteur du roman insatisfait de l’adaptation de Kubrick, le réalisateur Mike Flanagan a tenté de rétablir les ponts entre les deux créateurs, près de 40 ans plus tard. Le résultat ? Doctor Sleep, une suite dont le romancier est heureux, même si elle est davantage en continuité avec le film. Nous avons joint le cinéaste à Toronto.

Comment en êtes-vous venu à être impliqué dans ce projet dont vous signez la réalisation et le montage, en plus d’avoir tiré vous-même le scénario du roman de Stephen King, Doctor Sleep ?

Dès le premier jour de la publication du roman, construit autour du personnage du petit garçon de The Shining maintenant adulte, j’ai couru à la librairie et je l’ai lu tout de suite. C’était en 2013. J’adorais la nouvelle histoire que Stephen King a écrite, mais à la lecture, il me revenait aussi à l’esprit plein d’images du film de Kubrick. J’imaginais bien qu’un film allait en être tiré un jour, mais jamais je n’aurais pu imaginer que j’en assumerais la réalisation. Pendant des années, j’ai demandé à mon agent de s’informer si un projet était sur les rails, et on me répondait toujours qu’il n’y en avait pas. Mais un jour, par pure coïncidence, le producteur Jon Berg m’a convoqué pour parler d’un éventuel projet issu de l’univers de DC Comics. La conversation s’est cependant vite engagée sur notre amour mutuel pour les romans de Stephen King. Et comme le studio Warner Bros. était en train d’essayer de trouver un moyen de porter Doctor Sleep à l’écran, je lui ai spontanément dit ce que j’en ferais. Je n’ai même pas eu le temps de me rendre à ma voiture que Stephen King avait déjà été contacté !

Bande-annonce de Doctor Sleep

The Shining occupe une place importante dans l’histoire du cinéma, tant pour les adeptes de films d’horreur que pour les admirateurs du cinéma de Stanley Kubrick. Accepte-t-on d’emblée le mandat de porter cette suite à l’écran ?

J’ai beaucoup hésité. J’ai aussi eu beaucoup de nausées et j’ai passé plusieurs nuits d’insomnie. Doctor Sleep est de loin le projet le plus intimidant de ma carrière. Mais, ultimement, je suis tellement admiratif de Stanley Kubrick et j’ai tellement étudié The Shining en tant que film que je n’ai vraiment pas pu résister à l’envie de m’y coller. Je ne pouvais pas laisser passer cette occasion de célébrer le cinéma de Kubrick et son film The Shining à travers cette nouvelle et belle histoire écrite par Stephen King. Comment aurais-je pu faire autrement ?

PHOTO MARIO ANZUONI, REUTERS

Rebecca Ferguson et Ewan McGregor entourent le réalisateur Mike Flanagan lors de la première de Doctor Sleep à Los Angeles. 

Vous admirez le film que Stanley Kubrick a tiré du roman de Stephen King et vous admirez également l’œuvre de l’auteur. Or, il est de notoriété publique que ce dernier n’a pas aimé l’adaptation que Kubrick a faite de son roman. Comment vous situez-vous entre les deux ?

Il me fallait d’abord avoir l’autorisation et la bénédiction de Stephen King. Sinon, je n’aurais pas fait Doctor Sleep. J’ai été capable de lui dire que le film The Shining est tellement présent dans l’imaginaire collectif qu’il amène forcément un langage visuel qu’on ne peut écarter. Je crois l’avoir convaincu en lui disant être probablement en mesure de réconcilier le monde de Kubrick et le sien. Nous allions célébrer Kubrick de façon non équivoque, mais je pouvais aussi faire référence à des éléments du roman de King que Kubrick a mis de côté. Je vois davantage Doctor Sleep comme un descendant de The Shining plutôt qu’une suite à proprement parler. Comme si ce long métrage était un enfant né du film original, dans lequel il y a bien sûr l’ADN des parents — King et Kubrick — et je voulais honorer les deux. Stephen King a été d’accord avec cette idée.

Stanley Kubrick n’étant plus de ce monde, avez-vous dû aussi convaincre ses ayants droit de votre démarche ?

Ce fut la deuxième partie terrifiante de l’histoire. J’avais l’espoir de célébrer les deux univers et c’est un peu ce qui est arrivé. Une fois le film terminé, Stephen King l’a beaucoup aimé et les héritiers de Stanley Kubrick aussi ! Pour moi, ce sont les deux avis qui comptaient le plus. Peu importe le destin de ce film maintenant, je suis ravi qu’il plaise aux deux parties. J’ai enfin pu dormir pour la première fois en deux ans.

Est-ce que Stephen King a été présent tout au long du processus ?

Une fois qu’il a donné son accord, Stephen n’est intervenu d’aucune façon. Il ne voulait pas. Il dit clairement que le roman lui appartient, mais le film qui en est tiré appartient au cinéaste. C’est à la fois formidable et terrifiant. Terrifiant parce que vous savez qu’il verra le film un jour et qu’il ne se gênera pas pour dire tout le mal qu’il en pense si jamais il ne lui plaît pas. La première fois que Stephen a vu Doctor Sleep, j’étais assis à côté de lui dans la salle. À la fin, il s’est penché vers moi, m’a touché l’épaule en me disant que j’avais fait un travail magnifique. J’ai failli m’évanouir !

Doctor Sleep est actuellement à l’affiche.