(Rouyn-Noranda) Déjà connue comme romancière et scénariste, Audrey Diwan propose aujourd’hui Mais vous êtes fous, son premier long métrage à titre de réalisatrice. Mettant en vedette Céline Sallette et Pio Marmaï, ce drame aborde le thème de la dépendance sous un autre angle. La première nord-américaine du film a eu lieu dimanche dernier au Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue, où nous l’avons rencontrée.

L’histoire que vous racontez dans votre film est quand même surprenante, dans la mesure où elle fait écho à celle d’un toxicomane, très amoureux des siens, qui, involontairement, contamine sa femme et ses enfants à la cocaïne. Au début du film, vous indiquez que votre film est tiré d’une histoire vraie…

Tout à fait. J’ai rencontré un jour cette femme tout à fait par hasard, par l’entremise d’une amie. Elle était alors au beau milieu de la tourmente, complètement sidérée, alors qu’une semaine plus tôt, elle menait une vie tout à fait normale, sans soupçonner le moindrement la dépendance de son mari à la drogue. Dans un cas comme celui-là, la puissance du réel est très forte et l’écriture du scénario s’est faite en deux étapes. Il a d’abord fallu coucher sur papier ce qu’il y a de vrai, et ensuite, y ajouter la part de fiction en se détachant de la réalité. Cela dit, j’ai discuté avec ceux qui ont vécu cette histoire. J’ai d’abord demandé à cette femme l’autorisation de travailler avec elle, mais elle a exigé tout de suite — et ça m’a un peu troublée — que je discute aussi avec son ex-conjoint afin que son point de vue soit également exprimé.

Très vite, j’ai su que mon film ne porterait pas sur la dépendance, mais plutôt sur l’amour au sein d’un couple. J’ai déplacé un peu les éléments pour faire un triangle amoureux où la drogue joue le rôle de la maîtresse. Elle est invisible, mais elle occupe quand même toutes les pensées du mari, et elle menace en permanence de faire exploser le cadre familial.

L’autre chose plus inédite dans votre approche réside dans le fait que ce couple, malgré le drame qui met en péril la santé d’un de ses enfants et les démêlés judiciaires qui s’ensuivent, semble vouloir se ressouder.

En effet. C’est un peu comme si cette femme et cet homme se redécouvraient dans l’adversité, après des années de vie commune au cours desquelles une certaine usure s’est installée. L’un comme l’autre vit une histoire de manque, en fait. Lui est en sevrage et tente de se défaire de sa dépendance à la drogue, et elle est en manque de lui.

Vous avez pratiqué le métier de journaliste et vous avez aussi fait votre marque à titre de romancière, notamment grâce à La fabrication d’un mensonge. Comment le cinéma est-il entré dans votre vie ?

Mon premier amour est la littérature. C’est d’abord par cette voie que passe mon imaginaire. Le chemin pour arriver au cinéma fut plutôt long, mais j’ai appris progressivement à raconter les choses non pas par ce que ressentent et intériorisent les personnages — c’est ce qu’on fait en littérature —, mais plutôt par ce qu’on montre. Ou pas. On m’a d’abord demandé d’écrire pour la télé avec Éric Rochant pour la série Mafiosa. J’ai pu ensuite faire des rencontres qui m’ont menée d’une étape à l’autre. J’ai appris comment traduire une émotion en termes visuels. Mais vous êtes fous est un peu la jonction entre les différents types d’écriture que j’ai pu expérimenter. Venant de la littérature, j’essaie justement de montrer à l’image des sentiments intérieurs, d’autant plus que cette histoire est construite sur la notion de doute.

Comment avez-vous fixé votre choix sur les acteurs ?

Céline Sallette a joué dans La French [Cédric Jimenez], un film dont j’ai coécrit le scénario. Nous nous sommes liées d’amitié et j’ai voulu écrire pour elle, surtout après l’avoir vue dans L’apollonide [Bertrand Bonello], plus précisément dans une scène où elle était sublime alors qu’elle aurait facilement pu sombrer dans le ridicule. Céline a suivi de près l’évolution du projet, mais il était clair qu’il n’y aurait pas de compromis au cas où elle ne serait pas en adéquation avec le rôle. On ne voulait pas mettre notre amitié en jeu non plus. Quant à Pio Marmaï, il me fallait quelqu’un de très solaire, à l’image de ce qu’est l’homme à qui cette histoire est réellement arrivée. Absolument personne n’aurait pu deviner qu’il était aux prises avec une telle dépendance. Le jeu de Pio est extrêmement physique. Il y a, notamment, une scène de danse à la fin, sur un rythme tribal, que nous avions répétée, mais au moment du tournage, Pio a tout improvisé et il a été magnifique. Sa palette est tellement large qu’il peut tout faire, ce qui est plutôt rare en France.

Vous êtes arrivée directement de Paris pour vous diriger d’abord vers Rouyn-Noranda, où votre film a été présenté en primeur nord-américaine dimanche dernier…

Oui, je fais les choses un peu à l’envers, dans la mesure où j’ai commencé ma tournée en Abitibi ! Mais au-delà de l’exotisme, je vis ici l’expérience de mon film d’une autre façon. Les gens sont accueillants, chaleureux, prennent plaisir à discuter avec moi. Et puis, il y a cette façon d’embrasser la culture, comme un désir de porter et de soutenir les œuvres. C’est incroyable de constater à quel point on soulève ici des montagnes pour fédérer une ville entière qui bat au rythme de son festival. À une époque où les gens désertent les salles, on a l’impression de trouver à Rouyn un endroit de résistance. Et ça, j’aime ça !

Mais vous êtes fous prend l’affiche demain.