Trois ans après son tournage, près d’un an après son lancement au Festival de Toronto, cinq mois après qu’il eut pris l’affiche dans les salles françaises, le septième long métrage de Xavier Dolan s’apprête enfin à gagner les écrans du Québec. Au fil de l’aventure, La Presse a eu l’occasion de rencontrer deux fois Kit Harington, vedette de The Death and Life of John F. Donovan. Qui se prête dans ce film à un étonnant jeu de miroirs.

Au-delà des déboires d’un film ambitieux dont l’accouchement s’est révélé laborieux, il y a d’abord une histoire au cœur de laquelle se trouve un destin tragique. The Death and Life of John F. Donovan retrace le parcours (fictif) d’un acteur populaire qui, incapable de résister aux attaques de la presse à potins et aux rumeurs de toutes sortes entourant sa vie privée, se donne la mort en 2006, écrasé par la même machine qui l’a mené au sommet.

La relation épistolaire très innocente qu’il a entretenue pendant quelques années avec un enfant, qui a fait scandale, est racontée 12 ans plus tard par ce dernier, devenu adulte et acteur (Ben Schnetzer).

Dans cette histoire où Xavier Dolan a mis beaucoup de lui-même, il y a à la fois tout et rien de Kit Harington. La vie de l’acteur de 32 ans n’affiche aucune similitude avec celle de Donovan sur le plan intime, mais certaines résonances relèvent quand même de l’évidence pour celui qui, pendant les huit saisons de Game of Thrones, a captivé des millions de téléspectateurs grâce à son personnage de Jon Snow.

« En fait, tout ce qui entoure la vie de cet homme ressemble à ce que je vis, nous avait-il confié en 2016 lors d’une visite de plateau. Qu’il s’agisse des relations avec la famille, les proches, la gestion de la notoriété et de la vie personnelle. À vrai dire, à la moitié du tournage, je tente toujours de cerner ce personnage. Je suis encore en train de différencier sa vie de la mienne ! »

PHOTO SHAYNE LAVERDIÈRE, FOURNIE PAR LES FILMS SÉVILLE

Kit Harington sur le plateau de The Death and Life of John F. Donovan

Trouver la distance

L’an dernier, au moment de la présentation du film en primeur mondiale au Festival de Toronto, Kit Harington a déclaré que cet aspect du rôle avait été le plus difficile à mesurer.

« Ma principale préoccupation était de faire en sorte que ce personnage soit assez différent de ma personne pour que je puisse m’en distancier. Jusqu’à maintenant, j’ai souvent eu la chance de jouer dans des univers fantastiques, qui n’ont aucun lien avec la réalité. Or, John F. Donovan vit dans le même environnement que le mien. Les tournages, les tapis rouges, les projecteurs, je connais. Il y a des scènes dans le film qui pourraient être tirées de ma propre vie. »

Même si la vie personnelle de Donovan, un homme gai qui a du mal à assumer sa sexualité, est différente de la mienne, j’ai aimé jouer un personnage qui, d’une certaine façon, pourrait être une version de moi-même.

Kit Harington

« Qui que tu sois, il y a une partie de toi-même qui baisse la garde seulement une fois que tu te retrouves fin seul. J’ai aimé jouer ces moments où le personnage n’est pas le John F. Donovan que tout le monde connaît. C’est un gars seul, abîmé de l’intérieur », décrit celui qui, le printemps dernier, a fréquenté un centre d’aide psychologique afin de gérer la vive émotion suscitée en lui par la fin de Game of Thrones.

PHOTO SHAYNE LAVERDIÈRE, FOURNIE PAR LES FILMS SÉVILLE

Kit Harington avec le directeur photo André Turpin sur le plateau de The Death and Life of John F. Donovan

Une vision « unique et sans gêne »

L’acteur britannique a eu vent du projet de Xavier Dolan en 2014, après que le cinéaste québécois l’eut vu dans le péplum Pompeii, qu’il avait regardé dans un avion. « Je ne connaissais alors aucun de ses films, fait remarquer l’acteur. Puis j’ai vu Mommy, Tom à la ferme, Laurence Anyways. La vision de Xavier est unique et sans gêne. Il conçoit ses films en se foutant complètement de ce que peuvent penser les autres. Laurence Anyways est l’un des plus beaux films que j’ai vus dans ma vie. »

Kit Harington voit en Xavier Dolan un cinéaste « obsessionnel », dans le sens le plus flatteur du terme. « J’ai eu l’occasion de collaborer avec plusieurs réalisateurs passionnés au fil des ans, qui sont quand même capables de décrocher une fois la journée de travail terminée. Xavier, lui, en est incapable. » 

[Xavier Dolan] vit pour ce qu’il fait. Il y met tout son être, tout son temps. Que tu apprécies son film ou pas, tu ne peux remettre en question sa passion ni son engagement.

Kit Harington

Forcément, l’exigence du cinéaste envers les acteurs et l’équipe technique est à la hauteur de son propre engagement. Kit Harington ne cache pas avoir trouvé le tournage épuisant. « Les heures étaient longues, explique-t-il. Il y a eu plusieurs changements spontanés dans le scénario et nous avons tourné beaucoup plus de scènes que ce que l’on voit dans le film. J’ai aussi trouvé difficile de rester loin de chez moi pendant une si longue période. Quand ça fait un bout de temps que tu es entouré de gens qui parlent entre eux dans une langue que tu ne comprends pas, tu peux commencer à avoir un peu le mal du pays. En fait, c’est ça qui a été le plus dur, plus que le tournage en tant que tel. »

Une expérience marquante

L’acteur a vu le résultat définitif une seule fois. La version de The Death and Life of John F. Donovan qu’il a pu visionner est celle qui a été présentée au TIFF l’an dernier, soit la même que les cinéphiles québécois pourront découvrir la semaine prochaine. Avec l’abondant matériel dont il disposait, Xavier Dolan aurait pu tirer trois films différents des scènes tournées.

« Comme il y a deux parties de l’histoire auxquelles je n’ai pas participé, j’ai été intéressé par cet aspect. Je ne savais encore rien des choix “éditoriaux” de Xavier en quelque sorte, ni ce qu’il avait gardé ou pas, indique l’acteur. J’ai évidemment constaté que Jessica [Chastain] n’était plus là, ce qui est quand même étonnant, vu le temps que nous avons mis à tourner toutes ces scènes-là, raconte-t-il en riant. Cela dit, j’ai très bien compris pourquoi Xavier avait dû se résigner à retirer ce personnage. On pourrait mettre bout à bout toutes les scènes que Jessica – qui était brillante – a tournées et ça donnerait un film, mais complètement différent de celui-là. Garder ces scènes-là aurait créé un déséquilibre. »

Peu importe le destin de cette œuvre, Kit Harington estime quand même marquante son expérience. « Il y a dans ce film de très beaux moments, que je chéris. Si je devais réaliser un petit film résumant mes 10 années de carrière, il est certain que des extraits de The Death and Life of John F. Donovan en feraient partie. »

The Death and Life of John F. Donovan (Ma vie avec John F. Donovan en version française) prendra l’affiche le 23 août.

PHOTO MICHEL EULER, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Kit Harington, Susan Sarandon et Xavier Dolan lors de la première de The Death and Life of John F. Donovan à Paris, plus tôt cette année

Une mise en marché plutôt discrète

La longue période de postproduction requise pour arriver à la version finale de The Death and Life of John F. Donovan, un film dont le budget s’élève à environ 36 millions de dollars, avait déjà alimenté bien des rumeurs. La presse anglophone lui a généralement réservé un accueil très sévère lors de sa présentation, l’an dernier, au TIFF. La critique française a été plus conciliante au moment de la sortie du film le printemps dernier, mais il reste que Ma vie avec John F. Donovan a attiré là-bas 338 904 spectateurs, soit environ trois fois moins que les deux films précédents du cinéaste québécois (Mommy et Juste la fin du monde ont tour à tour franchi la barre du million d’entrées).

Comment mettre en marché un film traînant un aussi lourd bagage, à moins de deux mois de la sortie, le 9 octobre, de Matthias et Maxime, le long métrage suivant de Xavier Dolan ?

Le distributeur québécois du film, Les Films Séville, n’a pas souhaité faire connaître les détails de sa stratégie. On sait toutefois que The Death and Life of John F. Donovan sortira vendredi prochain dans un circuit d’une quinzaine de salles, un peu partout au Québec. On mise notamment sur la prévente de billets, déjà en cours, ainsi que sur des publicités. Le film pourra être vu en version originale anglaise, en version doublée française, et certaines salles le présenteront en version originale anglaise avec des sous-titres français.

Rappelons qu’en plus de Kit Harington, le premier film en anglais de Xavier Dolan met en vedette une impressionnante distribution, dont font en outre partie Natalie Portman, Jacob Tremblay, Susan Sarandon, Kathy Bates, Thandie Newton et Michael Gambon.