Un jour, alors qu’il travaillait à son documentaire sur les hackers et la vie privée en ligne, Alexandre Sheldon a reçu un courriel étrange. Son fournisseur d’accès internet lui faisait parvenir, « à sa demande », la liste de tous ses mots de passe. Sans aucune forme de cryptage. Le problème, c’est que le réalisateur n’avait jamais fait cette « demande ». Et que son fournisseur d’accès internet lui a confirmé n’avoir aucune trace de cette curieuse transaction.

L’anecdote illustre parfaitement le propos de HAK_MTL, présenté comme une « chronique de la résistance contre la surveillance ». Le film s’ouvre sur une affirmation sans équivoque : en 2019, la vie privée n’existe plus. Les services de renseignements et les géants du web s’abreuvent à même les renseignements personnels qu’on donne en quantité, les yeux fermés, lorsqu’on utilise un service en ligne… et ceux qui sont récoltés à notre insu.

Ces données sont accumulées, analysées, vendues et achetées sans qu’on sache trop par qui ni pour quoi sur des marchés dont on ne sait pas grand-chose. Et personne ne peut garantir qu’elles ne seront jamais volées comme les mots de passe du réalisateur…

C’est ce système, que la chercheuse américaine Shoshana Zuboff appelle le « capitalisme de surveillance », qu’Alexandre Sheldon montre et interroge dans HAK_MTL. C’est aussi le combat contre ce système que montre le film, en braquant la caméra sur les cracks de l’informatique qui développent des modes de communication et des applications destinés à préserver la vie privée des utilisateurs. « Les hackers sont nos héros révolutionnaires des temps modernes », dit le réalisateur en pesant chacun de ses mots.

Une réalité banalisée

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Alexandre Sheldon, réalisateur de HAK_MTL, croit que tous les utilisateurs de l’internet devraient s’inspirer des hackers : s’interroger sur le fonctionnement et les objectifs des appareils ou technologies qu’ils utilisent.

On ne peut pas dire qu’Alexandre Sheldon soit un internaute paranoïaque. Il a une page Facebook et un compte Gmail, comme des millions d’autres personnes. Sauf que c’est un sceptique. Il s’est toujours méfié de l’enthousiasme collectif avec lequel tout le monde se dévoile en ligne. Quand Edward Snowden a révélé l’envergure des programmes de surveillance de masse aux États-Unis et en Angleterre, en 2013, il a vu ses craintes se confirmer.

« Il faut être conscient que si tu écris quelque chose sur Messenger, c’est comme si tu le chuchotais directement dans l’oreille de l’algorithme de Facebook qui est en train de construire l’intelligence artificielle qui va te cibler de manière très précise dans 20 ans », estime Alexandre Sheldon, réalisateur du documentaire HAK_MTL.

De plus en plus de gens sont au fait de cette réalité, selon lui. « Le problème, juge-t-il, c’est qu’elle est banalisée. »

Se contenter de hausser les épaules en disant qu’on n’a rien à cacher est « un point de vue de personne privilégiée », selon lui. « Pourquoi est-ce légal qu’une compagnie comme Google lise tous mes courriels ? Personne n’accepterait ça si on s’envoyait encore des lettres par la poste ! Imagine si quelqu’un ouvrait tout notre courrier pour dresser notre portrait psychologique… »

Alexandre Sheldon n’est pas très optimiste quant à la possibilité de renverser la vapeur. Il a quand même choisi de s’attarder aux initiatives constructives dans le combat pour la vie privée en ligne. Il évoque les techniques de surveillance électronique, mais aussi le développement de réseaux parallèles. Il parle de ProtonMail ou de Signal, des applications qui permettent des communications inviolables.

« On est chacun des promoteurs de ces outils alternatifs parce que, par effet de réseau, ça a un impact réel. Si je refuse de te parler par Skype parce que j’utilise Jitsi, tu vas l’apprendre. Et quand tu vas voir que c’est la même chose sans la surveillance, tu vas commencer à inviter des gens sur Jitsi, dit-il. Il y a un peu d’espoir sur ce plan-là, mais je ne me fais pas de faux espoirs. »

Avec HAK_MTL, Alexandre Sheldon veut surtout inciter les gens à réfléchir à leur utilisation de l’internet. « La vie privée, ça ne veut pas dire d’être invisible sur l’internet, fait-il valoir. La vie privée, c’est de choisir ce qu’on affiche et ce qu’on n’affiche pas. » La décision paraît cruciale au moment où on s’apprête à entrer dans l’ère des objets connectés.

À l’affiche demain au Cinéma du Parc. La séance du 17 mai a lieu en présence du réalisateur. Le 18 mai, la productrice sera accompagnée de deux membres de Crypto Québec. Le 19 mai, le réalisateur sera accompagné de la spécialiste Gabriella Coleman (discussion en anglais). Le film est à l'affiche jusqu'au 23 mai.

Consultez la page Facebook du film : https://www.facebook.com/HAKMTL/