Il a vécu dans sa jeunesse des années turbulentes, marquées par la peur au ventre et l'envie de mordre. Leonard Cohen l'a sauvé. Le jeu aussi. À 43 ans, Patrick Hivon, lointain descendant d'un guérisseur breton, vit maintenant des jours plus paisibles en assumant pleinement les paradoxes de la condition humaine.

On lui confie souvent des rôles d'écorchés vifs. Comme celui qu'il joue dans Nous sommes Gold. Dans ce film d'Éric Morin, aujourd'hui à l'affiche, il incarne Kevin, seul survivant de l'effondrement d'une mine ayant eu lieu 10 ans plus tôt dans une petite ville d'Abitibi. Sa performance, tendue sur un fil, exprime toute la rage intérieure - et parfois extérieure - d'un homme à jamais troublé par sa propre survie.

Dans la vie, Patrick Hivon n'a plus la rage qui l'a consumé intérieurement pendant des années. Pourtant, et bien qu'il soit maintenant serein, des réflexes de cette époque surgissent encore parfois. Par exemple, il ne peut monter à vélo pour faire tranquillement une petite promenade au grand air. « C'est comme si je me méfiais toujours. Je regarde à gauche, à droite, et je pédale dans le tapis, comme si j'étais poursuivi et que je devais me sauver. Je ne peux pas faire autrement ! »

Jean qui pleure et Jean qui rit

Le jour de notre rencontre, l'acteur portait un chandail à capuchon sur lequel figure l'image d'un visage de squelette avec de grosses oreilles de souris fleuries. Parce que, dit-il, cette image illustre ce qu'il vit en permanence.

« Depuis toujours, la mort est très présente dans mon esprit. Pas une journée ne passe sans que j'y pense. On passe beaucoup de temps à essayer de s'engourdir pour ne pas la voir. Mais si tu as peur de la mort, c'est que tu as peur aussi de la vie. Il faut trouver l'équilibre entre ça, l'accepter. Et ça m'aide dans mon métier. Donc, cette image, c'est mon Jean qui pleure et mon Jean qui rit, mais trash ! »

L'enfant turbulent, issu d'un quartier populaire du nord de la ville, s'est très vite trouvé une aptitude pour le dessin, et surtout, une propension à « faire du beau avec du laid ». Même s'il était entouré d'amour, Patrick Hivon a vécu sa jeunesse dans un milieu social difficile, mais « correct » à ses yeux, n'ayant alors aucun point de comparaison avec lequel mesurer ce genre de chose.

« Quand j'ai vu Cité de Dieu [Fernando Meirelles, 2002], j'ai eu un choc parce que je me suis parfaitement reconnu dans ce film. Même si l'histoire se passait dans un bidonville au Brésil, je me sentais exactement comme ça à l'époque où j'ai grandi dans le quartier Saint-Michel. »

- Patrick Hivon 

« J'avais peur de tout. D'être attaqué, "taxé", humilié... Je me sentais différent, pas viril, faible. Je ne cherchais pas la bataille du tout, mais je l'attirais, poursuit-il. Je me suis ensuite mis à aller au-devant des coups en l'initiant. Comme une façon d'exprimer une vraie détresse. Mon désir d'être acteur provient d'abord d'un besoin d'attention. Je voulais aussi être reconnu et me trouver une place. »

Un don de naissance

La vie de ce lointain descendant d'Yves Phlem, guérisseur de chancres breton qui ne parlait pas le français à son arrivée en Nouvelle-France, a basculé le jour où, à 15 ans, il a entendu une chanson de Leonard Cohen pour la première fois.

« Ça a tout changé, explique-t-il. À travers son oeuvre, Leonard Cohen m'a appris une vision plus zen de la vie. Grâce à ses références judaïques, il m'a aussi initié à la culture juive, que je trouve magnifique. Il m'a ouvert les portes du monde de l'art en général. Leonard Cohen a été un sauveur pour moi. Quant à mon ancêtre, il a été poursuivi par [les autorités en place] pour charlatanisme, mais il avait l'appui de toute la communauté de Sainte-Anne-de-la-Pérade. Il disait avoir eu un don à la naissance. D'une certaine façon, c'est un peu mon cas aussi, de façon différente. Je me sens tellement gâté ! »

Au début de sa carrière d'acteur, son faciès, « doux et délicat », décrit-il, lui a valu plusieurs rôles de fils à papa, même si tout bouillait à l'intérieur. Autrement dit, les rôles qu'on lui confiait à cette époque correspondaient rarement à ce qu'il avait envie d'exprimer.

« Je n'étais pas en accord avec ce que la vie m'offrait. Je me brouillais avec tout le monde et ça m'a valu une mauvaise réputation. Personne ne voulait plus m'embaucher. La série Providence m'a sauvé le cul sur tous les plans, tant du côté de ma vie familiale que sur le plan financier. »

Une approche modeste

Révélé grâce à Lance et compte, Patrick Hivon a aussi dû apprendre à composer avec la notoriété.

« J'ai trouvé ça difficile au début, mais j'en suis venu à l'apprécier et à trouver ça beau. »

« Je crois qu'on peut faire du bien aux gens. Nous sommes un peu des guérisseurs, comme l'était mon ancêtre ! Mais étant issu d'un milieu modeste, je suis atteint du complexe de ceux qui ne veulent surtout pas faire étalage de leur nouvelle situation. C'est une question de respect et de dignité envers des gens qui ont ben de la misère. Je n'aime pas l'idolâtrie non plus. J'ai toujours fait attention à ne pas me "croire" là-dedans. »

Du théâtre, toujours

Animé d'une « peur bleue » du regard des autres, Patrick Hivon s'oblige à remonter sur les planches de temps à autre. Celui qui a marqué les esprits en se glissant dans la peau de Stanley Kowalski, dans Un tramway nommé Désir, répète actuellement La nuit où Laurier Gaudreault s'est réveillé, nouvelle pièce de Michel Marc Bouchard.

« Le théâtre est l'art d'où part tout ce que je fais ailleurs. Jamais je ne le lâcherai. Je dois m'y affronter, même si ce n'est pas toujours facile. J'ai mis beaucoup de temps à me dire acteur, mais là, je l'assume. Je me suis laissé bercer en me disant que ma place allait se dessiner un peu toute seule dans la ruche. C'est ce qui est arrivé. Mon besoin d'attention et de reconnaissance est apaisé. Il y a maintenant longtemps, j'ai décidé de ne plus avoir peur de vivre. Je veux me sentir bien et j'ai le goût de faire attention à ce qui m'entoure. »

Nous sommes Gold est actuellement à l'affiche. La nuit où Laurier Gaudreault s'est réveillé, de Michel Marc Bouchard, sera à l'affiche du Théâtre du Nouveau Monde dès le 14 mai. La date de sortie de La femme de mon frère n'est pas encore fixée.

Cinq rôles marquants

Les feluettes (2003)

« Serge Denoncourt a mis en scène cette pièce de Michel Marc Bouchard, dans laquelle j'avalais du feu. C'était un rôle flamboyant. Je brûlais en dedans. C'était peut-être trop. J'aurais sans doute dû mettre un peu d'eau pour tempérer les choses ! »

Providence (2005)

« Quand j'ai commencé, j'ai joué au pur qui ne voulait faire que du théâtre et du cinéma. Jusqu'à ce que je me rende compte qu'il me restait encore un tas de choses à apprendre. Même si le personnage que j'ai joué dans Providence me tapait sur les nerfs, il reste que c'est là que j'ai véritablement appris mon métier, notamment à jouer devant une caméra en l'oubliant. »

À l'origine d'un cri (2010)

« Robin Aubert m'a offert mon premier grand rôle au cinéma. Il m'a dévoilé, en quelque sorte. Robin est un être foncièrement bon, qui a mis beaucoup d'ordre dans sa vie, lui aussi. Il mûrit bien, je trouve ! »

Nouvelle adresse (2014)

« J'ai beaucoup aimé ce personnage. De tous ceux que j'ai joués, Olivier est probablement celui qui me ressemble le plus. Je dirais même qu'il est foncièrement moi. Je suis un homme très doux, au fond. »

La femme de mon frère (2019)

« Monia Chokri a été ma soeur dans Nouvelle adresse, et elle est mon amie dans Nous sommes Gold. Il y a quelque chose de très fraternel entre nous. La femme de mon frère est son premier long métrage comme réalisatrice et, sincèrement, j'ai été soufflé par ce qu'elle a fait. Elle savait exactement ce qu'elle voulait et j'ai trouvé ça très beau. Ce film ne ressemble à rien de ce que j'ai déjà vu. Je n'en revenais pas ! »