Le deuxième long métrage d'Éric Morin, Nous sommes Gold, mettant en vedette Monia Chokri, Patrick Hivon et Emmanuel Schwartz, prend l'affiche vendredi. Pendant un an, au moment des balbutiements du projet, notre chroniqueur a rendu compte, à intervalles réguliers, de sa progression, en compagnie du cinéaste. Bilan.

Marc Cassivi: Je profite de la sortie de ton film pour revenir sur son processus de création. Ça fait plus de cinq ans que tu travailles sur Nous sommes Gold. Ton premier long métrage (Chasse au Godard d'Abbittibbi) venait de prendre l'affiche lorsque nous en avons parlé pour la première fois. As-tu eu l'impression que ce fut long?

Éric Morin: Oui et non. Le temps passe vite! C'est toujours un mélange de «ça passe vite» et «ça passe très lentement». C'est un projet que je n'ai pas eu le choix de mettre sur la glace par moments, d'une certaine façon. Je n'ai jamais eu autant à réécrire un projet. Avant d'aboutir à un financement officiel, ç'a été un peu plus long que ce que j'imaginais, mais j'étais constamment dans le travail de réflexion sur le film.

Marc Cassivi: Donc, ce n'était pas une mauvaise chose qu'on te renvoie à ta table de travail...

Éric Morin: Tellement pas! Je suis en faveur de ce processus-là. Pour Chasse au Godard, c'était un trip très conceptuel. Tant mieux qu'on puisse produire des films comme ça. Mais avec Gold, je voulais vraiment une histoire touchante qui, narrativement, permette de s'évader et d'entrer dans un univers. C'est avec ce travail de scénarisation, pendant trois ans, que ça s'est fait. Avec des collaborations de lecteurs commentateurs, qui m'ont permis de pousser le scénario plus loin. Je ne me suis jamais considéré comme un scénariste. Je suis un réalisateur, notamment de films.

Marc Cassivi: J'ai vu un premier montage du film il y a plusieurs mois. J'ai participé à une discussion de groupe par la suite et j'ai constaté que certaines de nos suggestions avaient été retenues. D'autres seraient moins ouverts à ce genre de commentaires...

Éric Morin: Pour moi, le cinéma, c'est un art collaboratif. J'ai une relation de collaboration artistique avec mes producteurs, qui sont eux-mêmes des réalisateurs. Je reste toujours ouvert aux propositions des acteurs, où ils veulent amener leurs personnages, etc. Mais je garde toujours le cap, qui est très précis.

Marc Cassivi: La musique est au coeur de ton film. Dès le départ, il y avait cette volonté de créer une ambiance sonore...

Éric Morin: La conception des chansons avec Philippe B se faisait en même temps que l'écriture du scénario. Je voulais d'abord raconter l'histoire d'un band. Ensuite, j'ai trouvé une trame, et tout s'est imbriqué. Philippe lisait des bouts de scénario et composait de la musique. Il a interprété sa propre vision poétique du film. Je suis très content de l'avoir retrouvé. On avait un band ensemble dans les années 90 (Gwenwed). On n'avait pas la maturité dans la vingtaine pour mener à bien une collaboration! Tout était dans le conflit et dans nos idéaux différents. J'étais déjà réalisateur dans ma tête, et lui voulait faire de la musique.

Marc Cassivi: Il y a une inspiration des années 80 dans cette musique...

Éric Morin: Oui. Joy Division, The Cure... Mais Philippe a tout composé et il a monté un band pour l'enregistrement. Pour la première aux Rendez-Vous Québec Cinéma, on a interprété les chansons du film en direct. J'étais le batteur, avec Emmanuel Schwartz au chant et à la guitare. J'ai pratiqué tous les jours pendant deux semaines! Ça faisait 10 ans que je n'avais pas joué.

Marc Cassivi: Au départ, tes personnages étaient plus jeunes. Je me souviens aussi que tu avais hâte de trouver les acteurs qui allaient les incarner. Est-ce que la distribution s'est faite assez facilement?

Éric Morin: Ça a beaucoup changé. Il y a eu une vraie rencontre avec Monia Chokri, que je ne voyais pas nécessairement dans le rôle principal au départ. Puis avec Pat Hivon, que j'avais connu il y a 20 ans alors que j'étais serveur au Barbare [rue Saint-Denis] et qu'il était «busboy». Je me souvenais de son énergie de chien fou, qu'on ne voit pas nécessairement dans tous ses rôles à la télé. Avec Manu [Schwartz], qui est arrivé un peu après, j'ai vieilli mes personnages d'une dizaine d'années. Ça a amené énormément de profondeur au récit, avec ces «adulescents» maladroits et fragiles dans une petite ville. À quel âge est-ce qu'on abandonne son trip rock?

Marc Cassivi: Je t'ai interviewé pendant un an, en 2013-2014. Il y a eu des déceptions. Tu espérais tourner plus vite. Comment garde-t-on le cap lorsqu'on est devant ces contraintes?

Éric Morin: Je pense qu'il faut entrer dans un projet de long métrage en ayant des projets parallèles. Il y avait tout un choix de vie lié à mon retour en Abitibi, c'est-à-dire un peu moins de travail et un peu plus d'implication familiale. Ça concordait et ça me permettait d'être patient.

Marc Cassivi: Ce fut assez long pour que tu reviennes vivre à Montréal. C'était avant le tournage?

Éric Morin: Je suis revenu à Montréal parce que le travail m'y ramenait, mais le tournage a commencé en Abitibi dès le mois suivant! Juste pour deux semaines. Les scènes d'intérieur ont été filmées à Montréal.

Marc Cassivi: La question de partir ou rester, de suivre ou non certaines ambitions, est au coeur de ton film. Demeurer ou pas un acteur important de sa communauté. Ce sont des thèmes qui t'intéressent depuis que tu as quitté l'Abitibi pour Montréal, à 19-20 ans. Tu es retourné vivre en Abitibi combien de temps?

Éric Morin: Je suis retourné y habiter en famille pendant sept ans. On était partis seulement pour deux ans au départ. Les Abitibiens gardent toujours un lien fort avec leur région natale, je crois. Le film a pris l'affiche en Abitibi il y a deux semaines, et la réception est vraiment très bonne. Les gens ont été touchés par l'histoire, plus que par la forme. C'est la première fois que ça m'arrive. Que ce que je fais est apprécié en dehors d'une niche plus cinéphile. Ma famille a aimé ça! Ma famille m'a toujours encouragé, mais quand ma mère venait voir mon band, elle trouvait ça trop fort... [Rires]

Marc Cassivi: C'est un film abitibien, qui a bien sûr une qualité universelle. Ça aurait pu se passer dans une autre région minière, ici ou ailleurs.

Éric Morin: Je voulais que les gens se posent des questions en voyant le film. C'est vrai que l'industrie minière, quand t'es né dans une région comme l'Abitibi, a une présence incommensurable. J'ai voulu physiquement représenter le trou [d'un accident minier] comme une espèce de présence forte. Retourner vivre en Abitibi, c'est se remettre à oublier qu'une nouvelle sur trois concerne l'industrie minière. Je n'ai pas encore eu de grande discussion là-dessus. Quand j'ai présenté le film en Abitibi, on était dans l'émotion des personnages. Mais je suis prêt à avoir d'autres discussions, plus difficiles, sur ce que l'on peut et ne peut pas dire sur l'industrie.

Marc Cassivi: Ton père a travaillé dans les mines?

Éric Morin: Oui. Il a travaillé toute sa vie dans les mines. Comme la plupart des pères de mes amis. C'était à côté de chez nous. A priori, ça ne m'intéressait pas. C'était le métier de mon père. J'ai traité ça à la fois avec une distance et une émotivité profonde. Deux de mes frères ont travaillé dans les mines. C'est mystérieux pour moi, les mines, mais proche aussi. Le quartier du film, c'est le quartier de mon enfance.

Marc Cassivi: Emmanuel Schwartz joue un personnage qui est, comme lui, parfaitement bilingue...

Éric Morin: L'Abitibi, ce n'est pas le Lac-Saint-Jean! C'est à une demi-heure de l'Ontario. Il y a eu une immigration internationale dans les années 40, issue des grandes crises: des Suédois, des Norvégiens, des Lettons, des gens de l'Europe de l'Est, des Britanniques. Je suis né dans une ville bilingue et je vis dans une ville bilingue!