D'enfant de la rue à Kinshasa, Rachel Mwanza est passée à meilleure actrice à la Berlinale pour son travail dans le film Rebelle de Kim Nguyen. Alors que certains voyaient en elle l'actrice d'un seul film, le cinéaste belge David Lambert a cru en son talent. Et lui a donné le premier rôle dans Troisièmes noces.

Le dimanche 19 février 2012, Rachel Mwanza reçoit des mains de Jake Gyllenhaal l'Ours d'argent de la meilleure actrice à la Berlinale pour son interprétation de l'enfant soldat Komona dans le film Rebelle du Québécois Kim Nguyen.

Après la cérémonie, la jeune femme échange à sa table avec Charlotte Gainsbourg. Dans les mois suivants, le film fait le tour du monde. Rachel Mwanza remporte les trophées de meilleure actrice aux prix Écrans canadiens et aux Jutra. Elle foule aussi le tapis rouge des Oscars, où Rebelle est finaliste dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère.

Pour cette adolescente sortie des rues de Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo, ce conte de fées n'allait pas être un accident de parcours. Certes, elle n'a pas joué durant quelques années, pour plusieurs raisons. «J'ai écrit un livre, j'ai fait des voyages, j'ai donné des conférences», rappelle-t-elle en entrevue.

Avec l'aide de l'équipe de Rebelle, elle a aussi quitté Kinshasa pour s'établir au Québec. 

«Depuis mon arrivée ici, j'ai fait beaucoup de bonnes choses. Je suis allée à l'école, j'ai appris à lire, j'ai appris à me connaître en tant que femme et actrice. J'ai aussi travaillé, ce qui m'a permis de connaître des jeunes de mon âge.»

Quelques scénarios lui sont parvenus, mais elle les a jugés trop étranges. «J'ai eu des propositions pour des rôles avec beaucoup trop de souffrance, estime la jeune femme au début de la vingtaine. Des rôles semblables à celui de Rebelle. Je n'avais pas envie de conserver cette image de fille dure qui ne connaît que de la tristesse. Oui, j'ai vécu des années de grande peine, mais j'ai aussi connu des années de bonheur.»

«Sa prestation m'a renversé»

Cinéaste belge ayant fait deux longs métrages en coproduction avec le Québec, Hors les murs et Je suis à toi, David Lambert n'a pas oublié Rachel. «Sa prestation dans Rebelle m'a renversé, dit-il en entrevue téléphonique. Lorsque j'ai obtenu les droits d'adaptation du roman Troisièmes noces de Tom Lanoye, j'ai tout de suite pensé à elle pour le rôle principal. C'était un gros pari. Compte tenu de son histoire, plusieurs gens de mon entourage m'ont dit qu'elle était la personne d'un seul rôle. Moi, je voyais en elle une vraie actrice.»

Troisièmes noces suit le parcours de Martin (Bouli Lanners), vieil homosexuel bourru qui, pour le compte d'un ami amoureux de Tamara (Rachel Mwanza), une jeune Africaine entrée illégalement en Belgique, contracte un mariage blanc avec cette dernière. Le fait que Martin et Tamara doivent faire la preuve qu'ils forment un vrai couple va les rapprocher dans un parcours aux aspérités loufoques.

Si ce scénario rappelle celui de Green Card (Peter Weir), on doit reconnaître que le réalisateur belge aborde ici deux thèmes déjà présents dans sa filmographie: l'homosexualité et l'immigration.

«Mes films portent aussi sur la dualité entre des personnages qui ne devraient pas se rencontrer et doivent faire l'un avec l'autre. Ils doivent parvenir à faire quelque chose ensemble alors qu'ils ne possèdent rien pour y arriver», explique David Lambert.

Le film se définit comme une comédie dramatique, au grand bonheur du réalisateur. «Je voulais, cette fois, des moments de rire plus soutenus que dans mes films précédents et explorer le passage du rire aux larmes. Cet exercice de funambule m'intéressait.»

Une dure avec de l'amour

On comprend que de jouer dans une comédie est aussi une première pour Rachel Mwanza. «J'ai beaucoup adoré», lance-t-elle avec un grand sourire.

Son personnage de Tamara est souvent drôle, tantôt attendrissant et quelquefois d'une tristesse infinie, notamment lorsqu'on aborde les questions d'immigration.

D'ailleurs, la comédienne a aussi accepté le rôle pour cette raison. «Je suis immigrante. J'ai vécu près de gens qui ont été refoulés, refusés, et d'autres vivant dans la peur de ne pas être acceptés. Ces gens ne quittent pas leur pays de gaieté de coeur, mais parce qu'ils fuient la guerre.»

Lorsqu'on lui suggère que sa Tamara est autoritaire, sa réponse jaillit avec spontanéité. «C'est vrai! Comme moi, elle est très forte [rires] et très courageuse. Elle est dure, mais elle a beaucoup d'amour. Elle aime les gens, et moi aussi.»

«Rachel ne possède pas beaucoup de techniques, mais elle est dotée de beaucoup d'instinct, dit David Lambert. Cela en fait une grande actrice. Et aussi une grande tragédienne. En même temps, elle possède un excellent décalage dans son jeu et une façon d'envoyer des punchs que je trouve très drôle.»

À noter aussi qu'avant le tournage, elle a travaillé son rôle avec Brigitte Poupart.

Dans les prochains mois, Rachel Mwanza ira tourner un autre film, en anglais, en Angleterre. Comme tout n'est pas ficelé, elle ne donne pas de détails. Par contre, elle attend avec impatience un premier rôle au Québec, au cinéma, à la télé ou en publicité. Que dirait la Rachel d'aujourd'hui à celle qui a vécu à Kinshasa? «Que je suis fière d'elle, répond l'intéressée. Fière de tout ce qu'elle a fait. Je regarde le chemin parcouru et je me dis: wow! C'est fort. Et maintenant, la vie continue.»

Troisièmes noces, en salle le 8 février.

Photo fournie par Filmoption International

Une scène de Troisièmes noces, mettant en vedette Rachel Mwanza et Bouli Lanners.