La réalisatrice Anaïs Barbeau-Lavalette portera Chien blanc, le roman antiraciste de Romain Gary, au grand écran.

« Après mes [trois] enfants, c’est le plus gros projet que je vais réaliser dans ma vie », s’exclame Anaïs Barbeau-Lavalette en entrevue avec La Presse, à la fois « joyeuse et fébrile ».

La cinéaste de 40 ans a eu la confirmation lundi qu’elle réalisera un film d’après son adaptation de l’œuvre de Romain Gary Chien blanc. Elle coscénarise Chien blanc avec Valérie Beaugrand-Champagne, qui a été consultante sur son précédent film, Inch’Allah, en 2012.

Anaïs Barbeau-Lavalette dit ressentir « un mélange de bonheur et de vertige ». Parce qu’elle aborde une œuvre d’un écrivain légendaire, le seul qui a reçu le prix Goncourt à deux reprises, avec, au centre, son histoire d’amour avec la célèbre et mythique actrice Jean Seberg (À bout de souffle, Bonjour tristesse).

Parmi les 12 nouveaux projets de longs métrages annoncés par la SODEC, celui de Chien blanc est le plus important. On parle d’un film d’époque (fin des années 60) et d’une coproduction d’une dizaine de millions de dollars avec la France (TS Productions financera le budget du film à 30 %), qui sera tournée dans trois pays, avec un certain Denis Villeneuve comme producteur associé. 

Il n’y a pas encore d’interprètes annoncés, mais la réalisatrice travaille avec des agences de distribution en France et ici pour trouver des acteurs internationaux.

PHOTO FOURNIE PAR LA CINÉASTE

Anaïs Barbeau-Lavalette aux côtés de Diego Gary, fils de Romain Gary, à Barcelone 

Le projet a reçu l’aval du fils de l’auteur de La promesse de l’aube et de Jean Seberg, Diego Gary, qui a les droits des livres de Romain Gary. « Quand j’ai été voir la direction de Gallimard à Paris pour leur dire que je voulais faire un film avec Chien Blanc, on m’a dit d’aller voir Diego… en me souhaitant bonne chance, car Diego vit en ermite en Espagne et il ne répond à personne. Heureusement, il y a eu une vraie rencontre entre nous », dit la réalisatrice du Ring.

Fable sur le racisme

D’après Anaïs Barbeau-Lavalette, Chien blanc est le roman le moins connu de Romain Gary, mais c’est son livre préféré, qu’elle ne cesse de relire. 

Ce que j’aime dans ce récit inspiré de la vie de Gary, c’est qu’il fait un vibrant plaidoyer contre la bêtise, teinté d’un profond humanisme. Il porte un regard très juste sur la complexité de l’humain, avec sa beauté et cruauté.

Anaïs Barbeau-Lavalette, réalisatrice et auteure

Romain Gary amorce l’écriture du livre en 1968, alors qu’il vit à Los Angeles avec son fils et sa femme. À cette époque, Jean Seberg, alors une star aux États-Unis et en Europe, est très engagée aux côtés des Noirs américains et de leurs causes, participant à diverses réunions des Black Panthers et militant auprès d’associations pour les droits civiques.

Le couple accueille chez lui un chien abandonné, un berger allemand très doux, mais qui devient furieux en présence de personnes noires. Il apprend que l’animal a été dressé pour attaquer des Noirs, d’où son surnom de « chien blanc ». Tandis que sa femme veut faire abattre le chien, Gary veut le garder pour amorcer sa « rééducation ».

Se dessine alors un conflit touchant à la fois à l’intime et à l’universel : le racisme est-il un comportement incurable ou peut-on le soigner ? Voilà en gros le questionnement à la base de Chien blanc, somptueuse fable sur le racisme américain.

Et le racisme d’aujourd’hui ?

Un demi-siècle après la parution du livre, la cinéaste croit-elle que la société américaine est moins raciste qu’à l’époque  ? « J’aimerais répondre oui, mais le sujet reste tristement d’une violente actualité. »

Le clivage entre les races, le profilage racial, le pourcentage élevé d’homicides aux États-Unis : il y a trop d’éléments qui nous rappellent, chaque jour, que les Noirs sont victimes d’injustice, malgré les combats et les gains historiques.

Anaïs Barbeau-Lavalette

Toutefois, face à la désespérance du monde, à l’instar de Romain Gary, la réalisatrice refuse de baisser les bras.

« J’ai vu beaucoup de tragédies dans ma vie. J’ai voyagé en Palestine et dans plusieurs pays en zones de guerre. Et je serai toujours indignée face à l’injustice. Or, je ne désespère jamais. Je crois que l’amour et la tendresse finissent par l’emporter sur la sauvagerie et la bêtise humaine. »

Bien sûr, l’auteure de La femme qui fuit est consciente de sa « propre chance » d’être dans un groupe et un pays privilégiés. « Avec mes films, mes scénarios et mes livres, j’essaie de faire ma petite part pour éclairer la part sombre de notre humanité. Comme artiste, j’espère arriver à aider les opprimés à garder espoir en la beauté de l’humain. »

Montage final de La déesse

PHOTO FOURNIE PAR LA CINÉASTE 

Anaïs Barbeau-Lavalette sur le plateau de tournage de son prochain film, La déesse des mouches à feu, qui met notamment en vedette la jeune actrice Kelly Dépeault.

Avant de se lancer dans Chien blanc, Anaïs Barbeau-Lavalette termine actuellement le montage de son prochain film, La déesse des mouches à feu, adaptation cinématographique du roman à succès signé Geneviève Pettersen. Le long métrage met en vedette, dans le rôle de la jeune Catherine, Kelly Dépeault (L’échappée), Caroline Néron et Normand D’Amour dans le rôle de ses parents, ainsi que le noyau d’adolescents formé par Éléonore Loiselle, Noah Parker, Robin L’Houmeau, Antoine Desrochers, Marine Johnson, Laurence Deschênes et Maxime Gibeault. Sortie en 2020.

Les autres projets de la SODEC

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

La pièce de théâtre Lignes de fuite, de l’auteure et actrice Catherine Chabot, sera adaptée au cinéma.

Fait particulier, parmi les 12 autres projets de long métrage de fiction annoncés lundi, on trouve deux pièces de théâtre (Baby-sitter, de Catherine Léger, et Lignes de fuite, de Catherine Chabot) et un spectacle de conte (L’arracheuse de temps, de Fred Pellerin). C’est Monia Chokri qui sera aux commandes de Baby-sitter. L’arracheuse de temps réunira de nouveau le réalisateur Francis Leclerc et le conteur Fred Pellerin, qui avaient travaillé ensemble sur le film Pieds nus dans l’aube. En plus de ces trois films et de Chien blanc, la SODEC financera huit projets de moins de 2,5 millions.