Ayant fait sa marque en tant que scénariste et productrice de Sex and the City, Cindy Chupack revient à New York pour raconter une autre histoire. Celle d’Otherhood. Là où les mamans acceptent difficilement que leurs p’tits gars quittent le nid familial. Les Louboutin sont inclus. Les Birkenstock aussi.

« Tout le monde connaît la ville qui ne dort jamais. Mais qui a entendu parler de ces mères qui font de l’insomnie parce que leurs fils y ont déménagé, dans cette ville, et qu’ils ont cessé de les appeler ? »

En deux phrases de narration d’introduction, le ton d’Otherhood est donné. Il sera léger, nostalgique, sympathique, familial, féminin. Ce sera une histoire (new-yorkaise, on l’aura compris) faite de malentendus, de chicanes, de rabibochages, de rigolades et de beaucoup, beaucoup d’amour maternel. Le titre est d’ailleurs un jeu de mots avec « mère » et « étrangère » (enlevez un « m » à « mother » et vous obtiendrez « other »).

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Cindy Chupack, scénariste, productrice et réalisatrice d’Otherhood

« Ce n’est pas parce qu’un fils est proche de sa maman qu’il est un fils à maman », résume Cindy Chupack lorsque nous la rencontrons au moment de son récent passage au festival Just For Laughs. Et ce n’est pas parce qu’un film traite de ce thème qu’il ne touche pas à d’autres sujets. Dans le cas qui nous intéresse : à l’importance d’avoir du plaisir, à la nécessité de se défaire de son passé, à l’avantage qu’il y a à bien s’entourer. À l’amitié. « Dans la vie, nous devons constamment nous réinventer. Quand nous nous séparons, quand nous nous marions, quand nous perdons l’un de nos proches, énumère la scénariste et réalisatrice cinquantenaire. J’ai souhaité parler de la façon dont nous traversons ces moments. Avec l’aide de notre tribu. »

Celle au cœur d’Otherhood est composée de trois actrices renommées. Il y a d’abord Felicity Huffman, qui incarne une femme qui « ne vieillit jamais ou du moins, pas en public », et qui enchaîne les joutes verbales avec son fils borné et indépendant. Puis, Patricia Arquette, qui joue la génitrice légèrement envahissante, arrangeant des rancards (ratés) pour son garçon au cœur brisé. Et enfin, Angela Bassett, parfaite dans le rôle de la femme blessée qui s’envoie des fleurs (au sens propre, pas figuré) parce que son garçon, directeur artistique pour un magazine de fitness, est trop occupé pour y penser. À ses bouquets, elle joint des notes : « Tu es la meilleure maman du monde. »

Poussées par leur affection, leur déception, leur peine, et une bonne dose de bourbon, les trois copines mettent un jour le cap sur la Grosse Pomme, bien décidées à se faire apprécier à leur juste valeur par leur progéniture. « Être mère, c’est un verbe ! Ça requiert de l’action ! »

En route vers son premier film

Avant de crier elle-même « Action ! », Cindy Chupack a attendu qu’un autre cinéaste s’intéresse à son Otherhood. Plus précisément, au scénario qu’elle avait tiré du roman de l’auteur londonien William Sutcliffe. Elle a attendu, et attendu, et attendu encore. Finalement, elle a décidé de le réaliser elle-même. Netflix a proposé de le diffuser. Enfin. En tout et pour tout, le processus aura pris… une décennie. 

Autrefois, je ne comprenais pas pourquoi c’était si long avant qu’un projet de film aboutisse. Maintenant, si quelqu’un me dit qu’il a mis 10 ans à faire le sien, je le félicite ! Dix ans seulement ? Bravo ! Il y a tant de déceptions, de défis, de soucis de financement qui se dressent sur le chemin d’un cinéaste…

Cindy Chupack, réalisatrice d’Otherhood

Mais Cindy Chupack les a surmontés, ces obstacles. Et là voilà enfin, sa comédie dramatique de type feelgood. La productrice et scénariste aguerrie affirme d’ailleurs s’être très bien sentie à la mise en scène.

Elle a adoré s’entourer d’une équipe, faire du repérage, expérimenter avec les éclairages. Notamment dans cette séquence tournée au club 1 OAK. Une boîte de nuit stylée, au design signé par l’artiste contemporain israélien Roy Nachum (la pochette de l’album Anti de Rihanna, c’est lui). C’est là qu’elle a dirigé ses actrices dans des moments de danse, de shooters et de bonheur. « Amusez-vous ! », leur a-t-elle intimé. Chose qui a poussé Patricia Arquette à se lancer dans une chorégraphie élaborée (ça se discute) de breakdance.

C’est une autre Patricia, Field de son nom de famille, qui a quant à elle eu l’idée de faire porter à l’actrice oscarisée pour Boyhood des Birkenstock, alias la sandale du confort. Pat Field s’y connaît question costumes : c’est elle qui s’est chargée de ceux, mémorables, de Carrie, Samantha et Cie dans Sex and the City. Épaulée dans cette mission par Molly Rogers. Même duo, autre processus. C’est pourquoi, dans Otherhood, Felicity Huffman arbore certes de chics escarpins à semelles rouges. Mais ses acolytes ont un look plus classique, plus terre à terre. « Je souhaitais que ces mères soient bien habillées, sans que les vêtements soient haute couture pour autant. Sans qu’ils prennent non plus le dessus sur l’histoire. Après tout, dans Sex…, ils étaient presque un personnage à part entière. »

Aparté : Cindy Chupack avoue qu’elle ne connaissait rien à rien à la mode en embarquant dans la scénarisation de l’iconique série de HBO. « J’ai grandi à Tulsa, en Oklahoma. Je magasinais dans de grandes chaînes, je n’aurais pas pu nommer un seul designer. C’est vraiment Patricia et Sarah Jessica Parker qui m’ont permis de réaliser que la mode est un art, que les vêtements sont des témoins de notre époque et que les créateurs s’expriment de façon magnifique.

Revenant à Otherhood et à l’idée du « protagoniste à part entière » (une formule souvent utilisée par les réalisateurs), elle s’applique ici au lieu de tournage. New York est, pour vrai, un personnage. La cinéaste rappelle par contre que dans le livre, l’action se déroulait en Grande-Bretagne. Et qu’au fil du temps, « d’autres actrices célèbres » se sont montrées intéressées par son film… à condition de transposer l’action à Los Angeles. Mais Cindy Chupack tenait à son lieu branché. « Cette ville est plus grande que n’importe quel grand nom ! s’exclame-t-elle. Elle donne un tel cachet à l’image ! »

Et puis, ajoute-t-elle, si ces mères avaient vécu à L.A., la folie des clubs, les restos, les soirées, tout aurait été différent. « Elles auraient été au volant de leur voiture, coincées dans la circulation, pendant la moitié du film, s’amuse-t-elle. Tandis qu’à New York, tout est possible ! On décide de sortir sur un coup de tête, on s’habille, on attrape un taxi et voilà ! »

Ou l’on reste chez soi, et on « Netflix et chille », comme le veut l’expression consacrée. Devant Otherhood, par exemple.

Sur Netflix, dès le 2 août