Leur rencontre produit des étincelles depuis 10 ans. À la veille de la sortie de Menteur, leur quatrième long métrage ensemble, nous avons réuni Louis-José Houde et Émile Gaudreault pour jouer franc jeu.

La Presse : Votre première collaboration remonte à De père en flic. Vous vous êtes ensuite retrouvés pour Le sens de l’humour, De père en flic 2 et maintenant Menteur. Pourquoi ça marche si bien entre vous ?

Émile Gaudreault : Quand j’ai eu l’idée de De père en flic, j’ai tout de suite pensé à Louis-José et à Michel Côté. Tout simplement parce que ce sont les personnes les plus drôles de leur génération. Quand tu écris une franche comédie, tu as envie de travailler avec des gens qui ont naturellement le don de faire rire, et à qui tu n’auras jamais à expliquer comment être drôle. Louis-José a ce talent inné. Je sais qu’il va rendre mes textes meilleurs, que son charisme va faire en sorte que le public va embarquer. Je ne pourrais pas l’expliquer autrement.

Louis-José Houde : Je pense aussi que l’expérience de scène d’Émile [NDLR : au sein du Groupe sanguin] fait en sorte qu’on parle pas mal le même langage, même s’il n’en fait plus et qu’il se consacre au cinéma depuis longtemps. On dirait qu’il sait comment me parler pour que je comprenne vraiment ce qu’il souhaite sur le plan de l’énergie, de la nuance. En fait, je sens qu’il comprend mon système comique. Il sait quoi me dire pour obtenir la bonne chose.

La Presse : Pouviez-vous deviner dès le départ que cette relation serait si féconde ?

L.-J.H. : Pour moi, c’est difficile à dire parce qu’avant De père en flic, je n’avais aucune expérience de cinéma, sinon deux ou trois petites participations. Dès le premier moment, j’ai quand même eu le sentiment que ça se passait bien entre nous, autant sur le plan professionnel que personnel. Je ne me suis jamais dit qu’on allait faire plusieurs autres films ensemble, mais ça ne m’étonne pas que cette collaboration se poursuive 10 ans plus tard.

É.G. : On s’améliore au fil des ans, toi comme moi ! De père en flic était mon premier « gros » film et, pour toi, un premier grand rôle au cinéma. Ce que j’aime de notre collaboration, c’est que nous progressons l’un comme l’autre. Dans Le sens de l’humour, le personnage de Louis-José était un laconique misanthrope, très loin de ton personnage comique naturel. Quand on a fait une première lecture de table (je pense que je ne te l’ai jamais dit), je me suis aperçu que le personnage – silencieux, amer – était tellement loin de toi que je me suis tourné vers Denise Robert [la productrice] en lui disant qu’on aurait quasiment dû prendre Patrick Huard ! Denise a alors suggéré qu’on envoie Louis-José voir une coach, Johanne-Marie Tremblay, à qui j’ai donné quelques indications à propos de ce qu’on recherchait pour ce personnage. Je les ai laissés travailler, sans me mêler de rien ni même savoir ce qu’ils faisaient ou comment ça se passait.

La Presse : Louis-José, aimeriez-vous que le cinéma soit plus présent dans votre vie ?

L.-J.H. : Je ne cours pas après les projets. Pour moi, le cinéma est davantage une question de plaisir et d’intérêt qu’une question de vie ou de mort. Il faut que les circonstances s’y prêtent et que le tournage puisse s’insérer dans mon horaire de tournée, auquel s’ajoute la préparation du Gala de l’ADISQ. Ce n’est pas simple. J’ai déjà passé six ans sans tourner de film. Mais je souhaite faire du cinéma tout au long de ma carrière.

É.G. : Qu’un comédien comme Louis-José passe six ans sans tourner, c’est un scandale ! Ça indique en tout cas que quelque chose ne fonctionne pas dans notre cinéma. On compte peu d’acteurs ou d’actrices qui, comme lui, peuvent porter un film.

L.-J.H. : Le rapport que nous avons au Québec avec la comédie au cinéma n’est pas le même non plus, je pense. Peut-être est-ce à cause de l’espace démesuré qu’occupe l’humour sur scène chez nous, si on compare à ce qui se passe aux États-Unis et en Europe. Peut-être est-ce un symptôme, mais on dirait qu’au cinéma, nous sommes moins portés à produire de pures comédies. C’est peut-être pour ça qu’on me sollicite moins qu’un humoriste qui occuperait la même position dans un autre pays. Pis c’est correct. Le rire étant déjà très bien servi au Québec, je comprends qu’il y en ait moins au cinéma.

La Presse : Émile, pourquoi êtes-vous pratiquement le seul à occuper le créneau de la comédie populaire dans notre cinéma ?

É.G. : Honnêtement, je trouve que ça n’a pas de bon sens. Il devrait y avoir des trentenaires pour qui ça devrait être une passion d’écrire des comédies pour le cinéma. Mais ça s’est perdu à un moment donné. Une espèce de vide est survenu à une époque où les institutions semblaient moins s’y intéresser.

Les gens qui font de la comédie et qui sont bons se sont tournés vers la télé parce qu’ils n’ont pas été accueillis à bras ouverts par le cinéma. Pendant longtemps, il n’y a pas eu cette préoccupation d’offrir aussi cinq ou six longs métrages plus universels chaque année.

Émile Gaudreault

Le cinéma est ma passion. Quand j’ai une idée de film, j’ai la chance et le privilège de pouvoir l’écrire et de la faire aboutir. Je suis encore un maniaque du cinéma en salle.

La Presse : Louis-José, vous êtes reconnu pour votre sens méticuleux de la préparation, qu’il s’agisse de vos spectacles ou du numéro d’ouverture à l’ADISQ. Au cinéma, vous livrez des dialogues que vous n’avez pas écrits. Comment abordez-vous cette dynamique particulière ?

L.-J.H. : Si j’ai le temps, oui, je me prépare de façon aussi maniaque. Sur le plateau de Menteur, j’ai parfois eu des problèmes de mémoire parce qu’il y a beaucoup de dialogues.

É.G. : Il est pratiquement de toutes les scènes !

L.-J.H. : Au milieu du tournage, c’est comme si mon cerveau n’était plus capable d’emmagasiner. Mais j’apprends les dialogues, d’abord pour ne pas faire perdre de temps à personne. Émile réserve mes gros plans à la fin parce qu’il sait que ça me prend plusieurs prises avant d’atteindre le niveau de confort que je peux avoir sur scène. Une fois que c’est atteint, je peux refaire la même séquence 150 fois, ça ne me dérange pas !

É.G. : À la première prise, c’est toujours pas bon ! [rires] Mais c’est un fait qu’avec Louis-José, c’est souvent pas bon au début. Mais il en vient progressivement à intégrer le texte dans son corps, sans y penser.

L.-J.H. : C’est un peu la même chose quand on casse du matériel sur scène. Tu écris quelque chose sur papier, mais tu ne peux pas savoir ce que ça donne avant de le faire devant un public. Au cinéma, j’ai beau apprendre les textes chez moi, les répéter 10 fois, quand j’arrive sur le plateau pour tourner la première prise, ça ne fonctionne pas. Il faut que je joue la scène de façon concrète avant d’y arriver.

É.G. : Avec ta manière de travailler, je dois faire un concentré en deux ou trois heures de ce que tu répètes 20 ou 30 fois quand tu prépares ton animation de l’ADISQ. J’ai aussi développé cette méthode avec Michel Côté sur Le sens de l’humour parce que son personnage était très complexe. Chez certains acteurs, faire beaucoup de prises leur permet de sortir de leur tête, d’arrêter de penser et d’arrêter de se juger. Ils tombent alors dans le ressenti, presque par étourdissement. Avec Louis-José, on est allés plus loin au gré des films, alors que De père en flic avait été écrit sur mesure pour sa personnalité d’humoriste. Il faut s’ajuster à chaque acteur. Certains arrivent très en confiance mais se décomposent à la 10e prise. Avec Louis-José, il n’y a pas de limites. Ça s’améliore chaque fois.

La Presse : Louis-José, quand Émile vous propose quelque chose, acceptez-vous d’emblée ?

L.-J.H. : Quand j’apprends qu’il a écrit un scénario sur mesure pour moi, bien sûr, ça me rend heureux et je suis flatté, honoré et souriant. Je réfléchis quand même à ce qu’il me propose, mais jusqu’à maintenant, j’ai tout accepté !

É.G. : J’ai été très stressé parce que, évidemment, j’espérais que ça lui plairait, mais il n’y a rien d’automatique. Je lui ai envoyé un texto auquel il n’a jamais répondu !

L.-J.H. : Mais je ne réponds jamais ! [rires]

É.G. : Un jour, j’ai seulement reçu un petit message de Louis-José qui disait : rencontrons-nous mercredi, genre. Rien de plus. Je lui envoie une première version du scénario de Menteur et il reporte alors notre rendez-vous à la semaine suivante, sans que je sache s’il l’a lue ou pas. J’ai pensé qu’il avait haï ça pour mourir ! Au point où je me suis mis à envisager un autre acteur. Mais qui d’autre pourrait jouer ça ?

L.-J.H. : Je ne suis visiblement pas né à la bonne époque. Je suis plus cérémonial. On va s’asseoir, on va s’en parler en détail et on va se dire bravo. Mais je n’écris pas ce genre de chose dans un texto !

Menteur prend l’affiche mercredi prochain.