Après deux longs métrages hollywoodiens, Delivery Man et Unfinished Business, le Québécois Ken Scott propose maintenant une production franco-indienne tournée en Inde et en Europe avec une distribution internationale dominée par Dhanush, une superstar en son pays.

La semaine dernière, le Times of India a publié une interview de Ken Scott. La photo accompagnant l’article, captée au moment du tournage de L’extraordinaire voyage du fakir, montre le cinéaste québécois en train de discuter avec Dhanush, la star du film. Il porte une veste de cuir, a les deux mains dans les poches, un casque d’écoute autour du cou, et il porte une casquette affichant le logo… des Expos de Montréal !

Ken Scott s’amuse quand on lui fait remarquer ce détail. « Je l’ai fait exprès parce que j’avais envie de faire un clin d’œil aux gens d’ici, dit-il. J’ai joué au baseball quand j’étais jeune et j’étais très fan des Expos. Je verrais bien leur retour, mais à la condition que l’argent public investi, si c’est le cas, puisse être récupéré. Une équipe de sport professionnel dans une ville est une richesse. Tous les jours, partout en Amérique du Nord, on parlerait de Montréal, souvent avec des images. J’y vois d’ailleurs un parallèle avec le cinéma. Rien de mieux que des films qui voyagent pour faire connaître une ville au monde. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE 

Ken Scott signe la réalisation de L’extraordinaire voyage du fakir, une adaptation cinématographique du roman de Romain Puértolas.

Un timing parfait

La métropole québécoise ne figure pas sur l’itinéraire du fakir autour duquel le récit de son plus récent film est construit, mais cette adaptation cinématographique de L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire IKEA, un roman écrit par Romain Puértolas, donne à voyager, dans la tête et dans le cœur. Ce projet a été offert au réalisateur de Starbuck un peu sur un coup de chance.

« Le timing était parfait, explique-t-il. Quand le producteur français Luc Bossi m’a contacté, un projet que je devais faire venait de tomber à l’eau. S’il m’avait appelé une semaine plus tôt, j’aurais été obligé de refuser. On m’a envoyé le livre, avec une première version du scénario que je pouvais mettre à ma main. Ensuite, je suis allé en Inde – pour la première fois de ma vie ! – pour rencontrer Dhanush et discuter de son personnage. »

Révélé à l’âge de 18 ans chez lui, Dhanush, aujourd’hui dans la trentaine, est une superstar nationale, dans un pays où les chiffres prennent toujours des dimensions astronomiques. Le clip de sa chanson Why This Kolaveri Di a été vu 184 millions de fois. La bande-annonce de The Extraordinary Journey of the Fakir, lancée il y a deux semaines à peine en Inde, frôle déjà les 12 millions de visionnements. Le Times of India, premier journal anglophone d’importance au pays du cinéma bollywoodien, est tiré à plus de 3 millions d’exemplaires. Il s’adonne que le film, lancé en France l’an dernier, prend l’affiche là-bas le 21 juin, tout comme au Québec, au Royaume-Uni et aux États-Unis. Entre autres.

« Je fais du cinéma pour que mes films soient vus, fait remarquer Ken Scott. Depuis sa sortie en France il y a un an, pas une journée n’est passée sans que le Fakir soit à l’affiche quelque part dans le monde. Mais il est certain que la sortie en Inde constitue quelque chose d’un peu spécial. D’ailleurs, j’y étais la semaine dernière. Comme il s’agit du premier film international de Dhanush, ses compatriotes sont très curieux de la perception que nous avons de lui à l’étranger, et de leur culture en général. Dhanush est une telle vedette en Inde qu’il a fallu garder les lieux de tournage secrets pour éviter d’ameuter les gens. Avec interdiction formelle d’en parler sur les médias sociaux ! »

Une démarche cohérente

Sur le ton d’un conte destiné à toute la famille, L’extraordinaire voyage du fakir relate les aventures d’un jeune arnaqueur de Bombay qui, à la mort de sa mère, décide de partir à la recherche d’un père français qu’il n’a jamais connu. Outre Dhanush, le long métrage met en vedette Bérénice Bejo, Erin Moriarty, Ben Miller, Gérard Jugnot et Barkhad Abdi. Même s’il n’en est pas à l’origine, Ken Scott estime que ce long métrage s’inscrit de façon parfaitement cohérente dans une filmographie qui compte notamment La grande séduction, dont il a écrit le scénario, et Starbuck. Ce dernier titre a d’ailleurs fait l’objet de plusieurs remakes dans le monde, y compris à Hollywood, où on lui a donné l’occasion de le signer lui-même.

« J’essaie de trouver des histoires que j’ai envie de raconter. L’extraordinaire voyage du fakir est une fable humaniste qui aborde de vrais sujets. C’est aussi une comédie complètement dénuée de cynisme. J’aimerais que les gens sortent de la projection avec un sourire et qu’il leur en reste quelque chose. »

Il n’y a rien de politique dans la façon d’aborder l’immigration dans cette histoire. On voit simplement dans l’autre une autre version de soi-même. Si on regardait les migrants avec ce regard empathique, le monde serait probablement à une meilleure place.

Ken Scott

Le cinéaste n’a par ailleurs rien tourné au Québec depuis Starbuck, au tournant de la décennie.

« C’est un peu flippant quand j’y pense, car je n’ai pas du tout vu passer les neuf dernières années. J’ai envie de tourner au Québec, bien sûr. Sur un plateau de cinéma, seule l’histoire que tu veux raconter importe. Ce n’est pas l’ampleur du budget ni le nombre de camions qu’il y a dans la rue », dit-il en évoquant son expérience américaine.

Jamais parti

Assez peu visible sur le plan médiatique, Ken Scott n’a jamais fait étalage de ses projets internationaux, autant par pudeur – il est naturellement discret – que par crainte d’une certaine perception.

« Je reste discret, car je n’aimerais pas qu’on me pense installé ailleurs et non disponible, lance le cinéaste. J’habite Montréal, ma maison est ici, je ne suis jamais parti. Ça fait un peu bizarre parce que, au fil des ans, je me rends bien compte que les gens pensent que je vis à l’étranger quand même ! Mon but, simplement, est de trouver les meilleures histoires à raconter. »

Le cinéaste n’a pas encore de projets précis, mais il s’est beaucoup concentré sur l’écriture au cours de la dernière année. Il a notamment planché sur l’adaptation du roman de l’auteure française Diane Ducret L’homme idéal existe : il est québécois.

« J’ai écrit deux scénarios différents, en fait, précise-t-il. L’un est en français, l’autre en anglais. Je compte aussi développer quelque chose pour la télé. Les possibilités sont maintenant multiples et certaines histoires se prêtent mieux au format d’une série. Cependant, je crois encore fermement aux vertus du grand écran. C’est là que doit être vu un film de cinéma. Il y a, dans une salle, une communion qu’on ne peut recréer chez soi. J’espère que nous ne sommes pas en train de fragiliser cette expérience-là. »

En salle le 21 juin