Premier long métrage de fiction de Judith Davis, Tout ce qu’il me reste de la révolution est arrivé au grand écran en France alors que le pays était (et est encore) aspiré dans le mouvement des gilets jaunes. Faut-il en faire un parallèle ? Oui et non.

« Il existe une concordance entre l’art et ce qui peut se passer autour de nous », mentionne la réalisatrice, rencontrée au cours d’un récent passage à Montréal. « Il suffit d’être attentif aux 5, 10 ou 15 années de colère, frustration et violence derrière nous pour se rendre compte que la déshumanisation est un thème important. On ne peut pas fabriquer une société quand le seul critère est la rentabilité. Cela est inapplicable à 80 % des champs de l’activité humaine. »

On aura compris que le film traite à la fois de désillusion et d’engagement, mais aussi de la place qu’un individu occupe dans la société.

Faire un lien direct entre le film et les manifestations actuelles reste néanmoins un pas… à ne pas franchir. D’abord parce que les racines de ce long métrage remontent à une bonne dizaine d’années, plus précisément au sein du collectif de théâtre L’Avantage du doute (joli nom !) que Mme Davis a cofondé.

Aussi parce que la démarche d’engagement d’Angèle, alter ego de Judith Davis (qui en est l’interprète) dans le film, est davantage nourrie par un désir d’action que de protestation.

Et enfin parce que derrière l’engagement collectif, le personnage d’Angèle patauge dans un sérieux problème d’engagement dans la vie à deux alors qu’une occasion en or se présente. Autrement dit, on s’éloigne ici du groupe pour se concentrer sur l’individu. À ce sujet, le « me » du titre, qui aurait pu être un « nous », est assez révélateur.

Le film raconte le quotidien d’Angèle (Judith Davis), jeune urbaniste trentenaire qui rêve, comme sa mère avant elle, de construire une jolie rue entre Montreuil et Paris, deux entités séparées par le boulevard périphérique. Militante de gauche, elle s’englue toutefois dans une lourde mécanique militante pour arriver à ses fins. En parallèle, Angèle se lie lentement à Saïd (Malik Zidi), auprès de qui elle hésite à s’engager émotivement. Ses rapports avec sa famille sont tout aussi complexes.

Bonne dose d’humour

Alors que la majorité des films sur l’engagement citoyen versent dans le drame très sérieux, Tout ce qu’il me reste de la révolution est teinté, au contraire, d’une bonne dose d’humour qui frise parfois le burlesque. De sorte qu’on n’arrive pas à le placer dans une case particulière. Ce qui n’est pas ici péjoratif.

La scénariste, auteure et comédienne se dit ravie de notre observation. « Les cases font beaucoup de tort à la création, dit-elle. J’ai tenu dès le départ à parler d’un sujet très grave, mais de faire un détour nécessaire par l’humour. C’est un film qui vient d’un travail collectif, et je voulais, dans le même esprit, trouver une façon de fédérer les spectateurs. Nous sommes dans une société qui isole tellement les gens que le fait de rire ensemble de ce qui nous aliène représente, pour moi, un élément rassembleur. »

Ce n’est pas la première fois que le périph, comme l’appellent les Parisiens, se retrouve comme personnage ou élément important d’un film. Judith Davis confirme.

« Comme le dit Éric Hazan [écrivain et éditeur], Paris est construit de manière concentrique dans une logique permettant de repousser les pauvres à l’extérieur. » — Judith Davis

« Et le périphérique est une enceinte très violente, très dure. Au nord comme à l’est, il sépare la ville de la banlieue de façon très brutale ; on doit passer en dessous. Alors qu’à l’ouest [dans les banlieues plus aisées], cette autoroute est enterrée. » Autrement dit, chez les riches, on a masqué la laideur.

Judith Davis est visiblement très proche de son personnage d’Angèle, avec qui elle partage ses convictions citoyennes comme son apologie du collectivisme. Son premier film semble avoir été, en France, un bon vecteur du message, car il a connu un bon succès public et critique.

En salle le 24 mai