Lancé au festival de Sundance plus tôt cette année, Beatriz at Dinner offre l'occasion à Salma Hayek de camper l'un des personnages les plus marquants de sa carrière. Plusieurs observateurs américains affirment aussi que cette comédie satirique, réalisée par Miguel Arteta, constitue, en fait, la première fable de l'ère Trump au cinéma. Qu'en pense l'actrice?

Un dîner qui tourne mal. De Festen à Un air de famille en passant par tant d'autres films, le repas cristallise souvent les divergences de vues et le choc des idées entre convives. Dans Beatriz at Dinner, un film écrit par Mike White (Chuck & Buck, The School of Rock) et réalisé par Miguel Arteta (Cedar Rapids), Salma Hayek se glisse dans la peau d'une thérapeute en médecine douce, un brin ésotérique, qui ressent maintenant une fatigue intellectuelle et physique après avoir côtoyé quotidiennement des patients en fin de vie.

Par un concours de circonstances, cette femme d'origine mexicaine se retrouve invitée à un dîner offert par l'une de ses riches clientes habitant une somptueuse demeure, située à un endroit du sud de la Californie où il vaut mieux qu'une voiture ne tombe pas en panne. Beatriz se retrouve ainsi à la table d'hôtes qui célèbrent l'important contrat que vient de décrocher le maître de la maison auprès d'un nabab de l'immobilier, présent lui aussi à la fête.

«Quand Mike et Miguel, qui sont des amis, sont venus chez moi pour me faire part d'une idée de scénario qu'avait Mike, on m'a simplement dit que l'intrigue se déroulerait pendant un souper chez des bourgeois, rappelle l'actrice au cours d'un entretien téléphonique accordé à La Presse. J'ai aussi appris que mon personnage serait une mass0thérapeute, et qu'une chèvre serait aussi impliquée! J'étais bien sûr ravie, parce que ce sont des gens de talent, mais j'avais quand même du mal à imaginer comment un film pouvait prendre forme avec ce drôle de point de départ. Puis, deux semaines plus tard, à l'occasion de mon anniversaire, Mike m'a offert ce scénario, qu'il a écrit en deux semaines. J'en ai eu le souffle coupé. J'avais du mal à croire à une telle chance!»

Plus réaliste que prévu

À la lecture, l'actrice trouvait le personnage assez éloigné de sa réalité, mais au fil du travail, elle s'est rendu compte à quel point des affinités subtiles émergeaient de ce récit, gracieuseté d'un scénariste qui la connaît bien.

«En fait, je ne sais pas si cela relève d'une pure coïncidence, mais j'ai réalisé que des morceaux de ma vie s'imbriquaient dans cette histoire, fait-elle remarquer. Comme Beatriz, j'adore les animaux. Comme elle, je me suis retrouvée à vivre le deuil d'un animal que j'aimais à cause d'un voisin.»

«Quand j'ai vu le film une fois terminé, j'ai aussi été troublée de constater à quel point le décor dans lequel Beatriz a vécu son enfance au Mexique ressemblait à l'endroit où j'ai moi-même grandi. Il y a plein de points de rencontre comme ça entre ce film et ma vie.»

De fortes résonances politiques

L'inévitable confrontation entre cette immigrante, Beatriz, et un milliardaire pour qui l'argent et le pouvoir sont les seules valeurs qui comptent évoque forcément l'état d'esprit qui règne actuellement aux États-Unis. Et le fossé qui s'élargit entre les riches et les autres. Même si ce personnage, interprété par John Lithgow, a quand même une certaine classe, il est presque impossible de ne pas tracer un parallèle avec l'actuel locataire de la Maison-Blanche. 

«Honnêtement, cela ne nous a pas traversé l'esprit au moment du tournage, indique Salma Hayek. Nous étions isolés, volontairement un peu coupés du monde. Le point de vue de Beatriz découle davantage d'un cheminement personnel. Elle sent les choses et fonctionne par intuition. Elle s'inquiète aussi du sort de l'humanité et tente de faire ce qu'elle peut pour soulager ses contemporains qui souffrent. Quand nous tournions, c'est d'abord cet angle politique plus global qui nous importait. Et il dépasse largement les frontières des États-Unis. Mais là...»

Ce «là» fait bien sûr écho à l'arrivée au pouvoir de Donald Trump en janvier dernier. Qui change complètement la donne et la grille de lecture de cette histoire. 

«Que les gens voient dans ce film une fable politique ne m'étonne pas du tout, souligne l'actrice. D'autant qu'à travers le personnage de Beatriz, on évoque aussi la condition des immigrants. Ne serait-ce que sous cet angle, le film est déjà signifiant parce que l'immigration est aujourd'hui devenue un enjeu politique. Le narcissisme d'un président qui se donne tous les droits constitue forcément un autre enjeu aussi. On ne voit que lui aux nouvelles à la télé. Beatriz at Dinner aborde également de front la question environnementale et du droit des animaux. Et ce film sort juste au moment où les États-Unis se retirent de l'accord de Paris. Vraiment, avec lui, ça n'arrête pas!»

______________________________________________________________________________

Beatriz at Dinner prendra l'affiche le 23 juin.

Femme de parole

Salma Hayek, citée aux Oscars en 2003 grâce à sa composition dans Frida, est aussi productrice depuis une vingtaine d'années. Dépassant de loin l'image de la belle latina que Hollywood a tenté d'imposer, l'actrice milite en outre pour une meilleure représentation de la société américaine, beaucoup plus diverse que ce que le cinéma en montre. Elle dénonce également les inégalités entre les hommes et les femmes dans l'industrie. Lors d'une table ronde à laquelle elle participait récemment au Festival de Cannes, l'actrice n'a pas mâché ses mots. 

«Ils disent ‟trouvez-moi un singe" et peut-être que nous allons faire de l'argent. Et puis, ils se rendent compte que le singe sait compter et ils disent alors ‟tuez-le". Il est vrai que si vous êtes jolie, vous pouvez obtenir des rôles plus facilement, mais c'est très violent de penser que parce que vous êtes jolie, vous êtes forcément bête. Ils ne se rendent pas compte de l'importance du public féminin. Nous avons été négligées depuis tellement longtemps qu'ils ne savent pas ce que nous voulons voir à l'écran!»

Par ailleurs, lors de son passage au Daily Show with Trevor Noah la semaine dernière, Salma Hayek a raconté à quel point elle avait été choquée quand Donald Trump avait tenté de la séduire, alors que le nabab savait pertinemment que l'actrice était déjà en couple. «Ton copain n'est pas assez bon pour toi. Il n'est pas important, pas à ta hauteur. Tu dois sortir avec moi!», aurait-il déclaré. L'animateur a répondu à la blague que Trump avait sûrement raison, puisque l'actrice a finalement quitté cet amoureux et qu'elle a épousé plus tard le milliardaire français François-Henri Pinault! - Avec l'AFP et People

Photo fournie par Entract Films

Une scène de Beatriz at Dinner, un film de Miguel Arteta.