Son cinéma est intimement lié à la ville de New York, mais pour porter à l'écran le parcours inusité de Percy Fawcett, l'un des grands explorateurs du début du XXe siècle, James Gray n'a pas hésité à s'engager dans un tournage cauchemardesque, au beau milieu de la jungle amazonienne.

Tout le monde lui disait qu'il était fou. Même Matt Reeves, son meilleur ami cinéaste, lui a dit qu'il en mourrait probablement s'il décidait de porter à l'écran le scénario qu'il lui a fait lire. James Gray en a pourtant fait à sa tête. Le réalisateur de The Yards ne regrette pas son aventure cauchemardesque aujourd'hui, mais il jure qu'on ne l'y reprendra plus.

«Sergio Leone disait que réaliser un film est absolument terrible, mais que de l'avoir fait est délicieux, a fait valoir le cinéaste au cours d'un entretien accordé la semaine dernière à La Presse. Je ne sais pas à quoi ont pensé les gens de la société Plan B quand ils m'ont fait parvenir le livre de David Grann alors qu'il n'était même pas encore publié - sur la foi de Two Lovers, qui n'a rien à voir! -, mais le fait est que j'ai développé une véritable obsession envers ce projet. Je voyais dans le parcours de Percy Fawcett une quête similaire à la mienne en tant que cinéaste. Même si c'est parfois douloureux, tu es toujours poussé à vouloir retourner sur un plateau pour essayer de faire le grand film dont tu rêves. Et que tu ne feras probablement jamais. Et tu laisses sur la route tous les autres aspects de ta vie pour ça.»

Au nom du cinéma

Révélée en 2005 dans un best-seller, l'histoire de Percy Fawcett fait partie de celles dont peuvent se nourrir les films épiques. Ce jeune colonel britannique, interprété par Charlie Hunnam, a d'abord été envoyé en Amazonie en 1906 afin de cartographier les frontières entre le Brésil et la Bolivie.

Sur place, l'explorateur a découvert des traces de ce qu'il pensait être une cité perdue très ancienne. Développant une véritable obsession, il est retourné en Amazonie quelques fois pour de longs séjours, laissant toujours derrière lui une femme indépendante d'esprit (Sienna Miller), qu'il admirait, et un fils né en son absence. En 1925, Fawcett est disparu de façon mystérieuse, tout comme son fils (Tom Holland), qui l'a accompagné dans ce voyage ultime.

On s'en doute, la réalisation d'un film dans les endroits les plus reculés de la forêt amazonienne pose des problèmes de logistique plus rapidement qu'il n'en faut pour dire Fitzcarraldo ou Apocalypse Now. Même si l'approche plus intimiste de Gray ne s'apparente pas à celle de Herzog ou de Coppola, il reste que le simple fait de tourner dans un environnement aussi naturellement hostile peut très vite virer à l'épreuve.

«Au moment d'écrire le scénario, j'ai complètement fait abstraction des problèmes que nous pourrions éventuellement rencontrer pendant le tournage, car je n'aurais jamais pu écrire ni avoir envie de faire le film, explique le cinéaste. Je n'aurais même probablement plus été capable de sortir de mon lit ! Et puis, pour une question d'authenticité, je tenais à tourner le film sur pellicule 35 mm. Cela impliquait d'envoyer les bobines par avion à Londres pour les faire développer et de les revoir ensuite seulement une semaine plus tard. Sans parler de l'équipement, forcément plus lourd.»

Une vision d'auteur

Très apprécié en Europe, particulièrement en France, le cinéma de James Gray a toujours eu un peu plus de mal à trouver un public en Amérique du Nord. Le cinéaste estime toutefois que la situation semble vouloir se régulariser depuis ses deux derniers films.

«Two Lovers et The Immigrant ont quand même été mieux accueillis par la critique américaine, fait-il remarquer. Je sens encore de l'hostilité, cependant. Bien des gens pensent - à raison ou à tort - que je suis un mauvais cinéaste. Cela a probablement à voir avec le fait que ce que j'aime au cinéma n'est pas nécessairement en phase avec ce qu'aiment certains cercles cinéphiles américains. Alors forcément, ils ne sont pas fous de mes films.»

«On me considère comme un cinéaste classique, ce qui est faux, à mon avis. Mon style est peut-être classique, mais j'essaie toujours d'aborder les thèmes de façon bien contemporaine. C'est aussi le cas dans The Lost City of Z

Les grands studios ont tout détruit

Reconnu aussi pour son pessimisme notoire, le cinéaste estime que le cinéma n'a plus du tout aujourd'hui la même pertinence qu'il y a 30 ou 40 ans. À ses yeux, les grands studios ont tout détruit.

«Quand tu ne proposes plus qu'un seul genre de film, ceux qui n'apprécient pas ce genre changent forcément leurs habitudes. Il n'y a plus de pertinence culturelle dans ce système. Les studios l'ont mis à terre en misant sur des superhéros jusqu'à ce que tout le monde en soit malade! Les cinéphiles ne se déplacent plus dans les salles, car à leurs yeux, tout est de la merde. Même s'il y a un ou deux bons films qui parviennent à se glisser, ils ne le sauront pas et n'iront pas. Parce que l'habitude n'y est plus. C'est une vraie tristesse.»

Dans cette nouvelle mouvance, le cinéaste dit quand même être ravi d'avoir été repêché par la société Amazon, détentrice des droits d'exploitation de The Lost City of Z.

«Ceux qui gèrent l'entreprise sont des gens de qualité, qui croient encore à l'exploitation d'un bon film en salle, contrairement à Netflix, souligne James Gray. Ils me font un peu penser à la United Artists des années 70. Leur modèle d'affaires fait en sorte que la carrière en salle est moins importante, mais ils tiennent à ce que les films qu'ils acquièrent en aient une. Évidemment, mon regret est que, même si toutes les décisions artistiques ont été prises en fonction d'une projection en salle, il y aura probablement plus de spectateurs qui verront mon film sur leur téléphone plutôt que sur grand écran. Mais bon, nous en sommes là.»

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The Lost City of Z prendra l'affiche le 21 avril en version originale anglaise.

Les frais de voyage ont été payés par Entract Films.